Publié sur Voix Arabes

Le Liban et la crise des réfugiés syriens : faire des jeunes des agents du changement

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Programme de service national volontaire
On aurait pu entendre une mouche voler dans l’assistance et personne ne semblait prêt à prendre la parole. J’ai reposé ma question : « Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous êtes confrontés au quotidien ? » Finalement, c’est une jeune femme d’une vingtaine d’années, qui a levé la main. Suba vit à Tripoli, l’une des régions les plus pauvres du Liban et qui compte aussi l’une des plus fortes concentrations de réfugiés syriens : « Nous n’avons pas de travail et aucun accès aux services de base. Même si la situation des réfugiés syriens nous touche, il faut reconnaître qu’ils nous prennent nos emplois. Ils reçoivent plus d’aides que nous, les Libanais. Le gouvernement et les autres bailleurs de fonds leur donnent de l’argent et d’autres formes de soutien. À cause d’eux, nos hôpitaux et nos écoles sont surchargés et nous ne pouvons plus prétendre à des services de qualité. » Des sentiments et une inquiétude partagés par les participants des groupes de discussion réunis tout au long de l’année 2016 afin de mieux comprendre les besoins et les aspirations des populations libanaises les plus démunies et les plus défavorisées et de réunir ainsi des éléments en appui aux opérations de la Banque mondiale dans le domaine de la protection sociale, du travail et de l’emploi.
 
La crise en Syrie a poussé quelque 11 millions de Syriens à fuir leur pays depuis le début de la guerre civile, en mars 2011. Au Liban, le nombre de réfugiés syriens déclarés et non déclarés dépasserait la barre des 1,5 million, soit un tiers de la population locale. Les communautés d’accueil ont bien du mal à répondre aux besoins essentiels et doivent faire face à une aggravation des tensions sur leur territoire. Malgré une intensification récente des efforts du gouvernement et d’acteurs non gouvernementaux pour s’attaquer à ces problèmes, la situation sur le plan des services essentiels reste éminemment délicate puisqu’il faut gérer des besoins extrêmement variés alors même que les problèmes structurels préexistants persistent et que les ressources sont toujours limitées.
 
La mobilisation de bonnes volontés parmi la jeunesse est un moyen efficace de soulager quelques-uns des besoins, toujours plus pressants, des réfugiés syriens et des communautés d’accueil libanaises. J’ai eu l’occasion de constater comment, en plaçant les jeunes au cœur des opérations de développement et en leur donnant les moyens d’agir, on pouvait les transformer en agents du changement et les amener ainsi à trouver des solutions aux problèmes les plus déstabilisants. La mobilisation volontaire autour d’objectifs communs permet de désamorcer une partie des tensions et, en insufflant un sentiment de citoyenneté, de bâtir des sociétés plus solidaires. D’autant qu’en les faisant travailler sans contrepartie financière, le bénévolat améliore l’employabilité de ces jeunes gens.
 
C’est en ayant ces réflexions à l’esprit que le Programme de service national volontaire a été lancé en 2011 grâce à une dotation financière du Fonds pour la construction de la paix et de l’État (SPF), dans le but de renforcer la cohésion sociale et d’améliorer l’employabilité des jeunes Libanais. Le programme sera étendu en 2017, pour une deuxième phase financée par une dotation supplémentaire du SPF. Administré par le ministère libanais des Affaires sociales, il s’adressera aux jeunes Libanais de 15 à 24 ans et comprendra deux volets : d’une part, des missions de volontariat dans les communautés d’accueil les plus fragiles et, d’autre part, des formations aux compétences relationnelles qui s’accompagneront de sessions de sensibilisation dans le champ psychosocial et d’activités destinées à améliorer la cohésion communautaire.
 
Cette deuxième phase du programme est l’un des projets les plus originaux en faveur de la jeunesse dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Déjà, les jeunes réfugiés syriens des communautés ciblées pourront se rendre utiles aux côtés des jeunes Libanais. Ensuite, bien conscient que les jeunes se heurtent à de nombreuses difficultés qui se cumulent souvent, le programme proposera aux participants un ensemble de services dont le principe et la fourniture reposent sur une collaboration intersectorielle (protection sociale, emplois, santé et éducation notamment). L’introduction d’un volet de soutien psychosocial est un élément clé, puisque c’est un moyen de sensibiliser les participants aux problèmes de santé mentale qui peuvent toucher les réfugiés syriens et de créer des occasions d’interactions entre ces jeunes, les Libanais et les réfugiés autour d’activités visant à souder la communauté. Récemment, le ministre libanais des Affaires sociales, M. Pierre Bou Assi, a déclaré lors d’une réunion que son administration était fière d’œuvrer en partenariat avec la Banque mondiale à l’extension du programme, grâce à laquelle les jeunes issus des communautés les plus vulnérables du Liban vont bénéficier d’activités de bénévolat et de possibilités de formation.
 
L’objectif de cette nouvelle phase est de s’appuyer sur les acquis. À ce jour, plus de 6 500 jeunes et 100 municipalités, ONG, écoles et universités différentes ont pris part aux activités du projet, qui a par ailleurs conduit à la création de biens publics essentiels, à savoir notamment un portail en ligne permettant aux partenaires du projet de publier des offres de bénévolat et aux jeunes d’y postuler, ainsi qu’un programme de formation aux compétences relationnelles, adapté au contexte libanais (personnages, références culturelles, dialectes, etc.) et accessible à la fois aux jeunes participant au programme sur place (formation résidentielle) et à ceux qui souhaitent suivre les sessions à distance (apprentissage en ligne). Cette formation, conçue en partenariat avec l’initiative « Youth in Development » de la Banque mondiale, sera bientôt disponible sur le site youthindev.org pour pouvoir être utilisée par des jeunes du monde entier. Enfin, le Programme de service national volontaire fait actuellement l’objet d’une évaluation d’impact rigoureuse — la première de ce type réalisée au Liban — pour vérifier les effets du volontariat et de la formation sur l’employabilité des jeunes et sur la cohésion sociale. Les principales réalisations du projet à ce jour sont résumées dans une vidéo en anglais et en arabe
 
Nous formulons le vœu que cette nouvelle phase du programme permettra à des jeunes Libanais comme Suba de devenir des agents du changement et contribuera à améliorer les services et la stabilité sociale dans tout le pays.

Auteurs

René Leon Solano

Chef du pôle du développement humain de la Banque mondiale aux Maldives, Népal et Sri Lanka

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