Pour les défenseurs des droits de la femme en Tunisie, le personnage de Tahar Haddad tient une place prépondérante. Plusieurs générations de militant(e)s le considèrent comme le cœur et l’esprit à l’origine de l’évolution du statut juridique de la femme dans ce pays.
Houda Bouriel, directrice du centre culturel Tahar Haddad à Tunis, note que, pour cet homme, « une société dans laquelle les femmes ne sont pas libérées n’est pas véritablement libre ».
Cependant, Tahar Haddad a longtemps été relégué au second plan dans la culture populaire tunisienne. Certes, des écoles et des rues portent son nom, mais les véritables éloges, en matière de droits de la femme, vont généralement au premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba, qui a fait adopter le Code du statut personnel (CSP).
L’adoption du CSP, le 13 août 1956, a marqué un véritable tournant pour la législation de la Tunisie. Avant même que le pays ne soit doté d’une Constitution, le CSP entérinait des droits fondamentaux pour les femmes, et les familles, tunisiennes, dont le droit au divorce civil, le nécessaire consentement mutuel avant le mariage et l’abolition de la polygamie.
Si le CSP a fini par être accepté par l’ensemble de la société tunisienne — aujourd’hui, les partis politiques conservateurs aussi bien que libéraux s’y rallient, et l’anniversaire de la date de sa promulgation constitue même une fête nationale —, ce code a suscité une controverse phénoménale dans les années 1950. Les érudits religieux étaient partagés à son sujet, notamment sur des questions telles que la polygamie. Si cette pratique était peu courante dans le pays avant son abolition, son interdiction préoccupait les théologiens coraniques.
À de nombreux égards, Tahar Haddad avait ouvert la voie au CSP. Il a façonné de manière cruciale le débat sur l’évolution du statut juridique de la femme et ce, d’une manière qui a toujours épousé la culture tunisienne sans jamais la renier. Contrairement à d’autres militants en faveur de la libération nationale, qui adoptaient les concepts occidentaux relatifs aux droits civils, Haddad s’appuyait sur la culture arabe et les écrits islamiques, avançant l’idée que l’islam et les droits fondamentaux civiques et humains étaient indissociables.
Né en 1899 dans une famille modeste originaire du sud de la Tunisie, Tahar Haddad fréquente l’école coranique locale, les établissements officiels n’étant pas ouverts aux Tunisiens sous l’administration coloniale d’alors. Excellent élève, il entre à la Grande Mosquée de la Zitouna, le plus grand centre d’enseignement islamique du pays, et obtient son diplôme de fin d’études secondaires en 1920.
Tahar Haddad prend par la suite fait et cause pour l’indépendance tunisienne, en tant que membre de la Confédération générale tunisienne du travail, syndicat qui allait jouer un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance vis-à-vis de la France.
Tahar Haddad s’engage également, dans le plus pur esprit de sa foi, pour la cause des femmes, qu’il considère comme essentielles à l’évolution de son pays. En 1929, il publie son célèbre pamphlet Notre femme dans la loi et la société (Imra'atunâ fi'shari'a wa'l-mujtama). Aux yeux de Haddad, l’enseignement pour tous est fondamental que la Tunisie progresse, et il encourage toutes les femmes non seulement à fréquenter l’école, mais aussi à prendre une part plus active dans la société.
À une époque où les femmes se voient interdire l’accès à Harvard et où elles n’ont pas encore le droit de vote en France, les idées de Haddad semblent radicales, et source d’inspiration. « Parler du droit des femmes à cette époque était osé, rappelle Houda Bouriel. Qui plus est, il ne le faisait pas en avançant ses propres idées sur les femmes, mais à travers son savoir islamique. »
Si Tahar Haddad est mort prématurément à l’âge de 36 ans, en 1935, ses idées sont restées la pierre angulaire des travaux des leaders de l’indépendance tunisienne, et en particulier de ceux de Bourguiba. Quand Ben Ali, dictateur aujourd’hui déchu de la Tunisie, arrivera à son tour au pouvoir, il ne remettra pas en cause les droits de la femme.
Haddad, comme beaucoup des héros tunisiens d’avant l’indépendance, a été quant à lui réduit à un simple nom sur une plaque de rue.
Aujourd’hui, dans la Tunisie d’après la révolution, la cause féminine prend une dimension encore plus importante : les jeunes générations veulent inscrire davantage de droits pour les femmes dans la nouvelle Constitution et continuent d’occuper la sphère publique.
Pour trouver des idées audacieuses, les militants n’ont pas besoin d’aller chercher plus loin que celles de Tahar Haddad…
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