Publié sur Voix Arabes

Tawasol et l’exemple stimulant d'Oum Rania

La semaine dernière, trois entités m'ont demandé de promouvoir la Journée internationale des femmes pour donner de l’inspiration à d'autres. J'ai trouvé un peu étrange que ce soit moi qui sois saluée à cette occasion, alors qu’Oum Rania (que j’appelle Affaf) ou d’autres femmes auraient tout le mérite de l’être. 

Affaf était novice lorsqu’elle est entrée au centre de couture de Moqattam en 2005. Elle est aujourd’hui responsable de la structure : elle s'occupe des clients et de leurs devis ; elle supervise les employées et résout leurs problèmes ; et elle répartit le travail, sans jamais se départir de son sourire et de sa gratitude. Elle travaille dur pour faire vivre sa famille. 

Affaf a pourtant traversé beaucoup d’épreuves au cours des dix dernières années. Avec un mari peintre en bâtiment et en difficulté professionnelle, elle a dû pourvoir seule aux besoins de ses quatre enfants , prendre en charge le loyer et les frais de scolarité, et contribuer au mariage de sa fille. Après avoir effectué une demande d'appartement, elle a versé un apport en le déclarant au nom de son époux, dans le respect des normes culturelles de notre pays. L'endettement chronique de son mari lui a valu d'être écroué à plusieurs reprises. 

À l’une de ses sorties de prison, il revend l'appartement à l’insu d’Attaf pour « payer ses dettes ». Une décision loin d’être judicieuse : en Égypte, les intérêts de tout prêt contracté s’élèvent à près de 30 %. En cas de retard de paiement, ce taux augmente et l’emprunt devient très difficile à rembourser. On finit alors en prison, à cause des lettres de change signées par l’emprunteur.
Affaf est anéantie et ne sait pas comment faire obstacle à son époux, parce que la loi lui interdit tout recours : elle ne peut reconnaître le caractère exceptionnel de la situation d'Attaf, même si l’apport provenait exclusivement de l’épargne qu’elle s’était constituée. 

Son mari avait le droit de revendre l'appartement, puisqu'il était à son nom, Attaf s’étant conformée aux règles d’une société dominée par les hommes.

C’est alors que son époux Moustafa est frappé d’une crise cardiaque subite et doit séjourner à l'hôpital al-Hussein pendant plusieurs jours. Attaf dort auprès de lui, à même le sol. Elle veille jour et nuit sur son mari, réduit à un état de paralysie quasi totale, dans l’appartement qu’ils louent. Elle doit encore aujourd’hui s'occuper de lui, avec tout ce que cela implique sur le plan financier. 

Lorsqu'un prétendant a demandé la main de sa deuxième fille Dalia, elle a prié pour qu'il ne se rétracte pas au vu de leur situation familiale. Elle a prié pour que le mariage soit hâté, avant une nouvelle arrestation de Moustafa. Aujourd’hui, Dalia est la mère d’un petit Youssef. Mais Attaf a dû sacrifier toutes ses économies pour le mariage de sa fille. Elle a aussi dû s’endetter. Au cours des quatre derniers mois, son père et son frère sont décédés, et il lui incombe désormais d’apurer leurs dettes. 

Chaque fois que je l'appelle, elle répond toujours d’une voix apaisante, joyeuse et optimiste. Affaf est une femme qui mérite la reconnaissance de tous. 

L’histoire d’Affaf rappelle celle de nombreuses femmes qui se battent pour survivre et pourvoir aux besoins de leur famille.  

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Old Cairo

Jamais je n’aurais pensé qu'une question changerait ma vie : en 1997, un des gardiens de l'Université américaine du Caire a formulé une demande qui a influé définitivement sur ma façon de penser. J'étais assise sur les marches qui mènent à l’Ewart Hall et j’aidais le fils de mon professeur d’études folkloriques à faire ses devoirs quand soudain un homme m’a demandé si je pouvais lui apprendre à lire et à écrire pour qu’il puisse étudier avec ses enfants. « Oui, je peux vous aider. Oui, j'ai du temps libre. Oui, je peux trouver une salle à l'université pour faire cours aux employés. Oui, je peux mobiliser mes amis autour de ce projet pour servir le plus grand nombre et faire bouger les lignes. »

Après un certain temps, je me suis rendu compte que rien n’est plus gratifiant que d’être utile et de changer le cours d’une vie. Tout a été fait sans argent. Il n’a rien fallu d’autre que du temps, des efforts et un réseau de relations.

Une fois mon diplôme en poche, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale. Deux sentiments m’animaient alors.

Le premier, c’était que j'avais de la chance : parce que ma famille était bien mieux lotie que beaucoup d'autres, il me fallait aider les moins fortunés en essayant de leur procurer une meilleure source de revenus. Le second était lié aux turbulences que traversait notre entreprise. Mais plus la situation était difficile, plus j’avais l’impression qu'il m’incombait de travailler pour les nécessiteux, afin que Dieu allège le fardeau qui pesait sur notre entreprise et aplanisse les difficultés pour le bien de notre activité.

Mon projet est né en 2000 : je souhaitais apporter une source de revenus aux femmes qui doivent subvenir aux besoins de leur famille. Comme j’étais jeune diplômée et inexpérimentée, je me suis laissée guider par la rue, les marchés, les gens et les situations. Nous avons mis sur pied un centre de couture. Et cette entreprise a été avant tout une aventure éducative, avec tout un travail sur l'identité, la qualité, le goût, la production, la gestion...
L’enjeu était (et est encore) de trouver un produit à l'identité égyptienne, fabriqué par des femmes défavorisées et répondant au goût des acheteurs pour pouvoir accroître nos ventes et notre production.

Au fil du temps, il est apparu évident que nous devions commencer dès le plus jeune âge à offrir une éducation de qualité si nous voulions que notre action porte ses fruits à long terme.  Nous avons donc fondé une école pour les enfants qui n'ont jamais été scolarisés, en raison du contexte social et économique dans lequel sont plongées leurs familles à Ezbet Khairalla, l'un des plus grands bidonvilles du Caire. Nous avons également ouvert un centre de formation professionnelle en vue d’accroître les revenus des familles et de former les élèves à un métier qui pourrait leur assurer un revenu. Je crois aussi que les enfants s’approprient réellement l'école dès lors qu’ils peuvent trouver une forme d’épanouissement sur scène, grâce au travail du département des arts du spectacle associé à l'école.

En réponse à la question qui m'a interrompue en 1997 sur les escaliers de l'Ewart Hall, j’ai donné naissance à Tawasol, un projet cher à mon cœur.


Auteurs

Yasmina Abou Youssef

Vice President for Procurement, Marketing, and Communications for Shores Hotels

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