Publié sur Voix Arabes

Les fab labs, ou comment mettre la technologie au service des réfugiés en Jordanie

Loay Malahmeh, a co-founder of 3D Mena
Loay Malahmeh, cofondateur de l’entreprise 3D Mena
Renforcer les moyens d’action des réfugiés en leur donnant accès aux nouvelles technologies, et en particulier à l’impression tridimensionnelle, telle est la mission de l’organisation Refugee Open Ware (a). « Nous souhaitons faire connaître le potentiel de l’impression 3D », explique Loay Malahmeh, cofondateur de l’entreprise jordanienne 3D Mena, partenaire de l’organisation. « Ce procédé peut permettre non seulement de résoudre des difficultés très réelles mais aussi de matérialiser des possibilités immenses et encore inexploitées. » 
 
Sur la grande table de l’atelier de fabrication numérique situé dans les locaux de 3D Mena, au King Hussein Business Park de la capitale jordanienne, une mosquée miniature côtoie le prototype encore rudimentaire d’une prothèse de main. La version finale de cette prothèse appartient à présent à Zain, un jeune yéménite qui a pu expérimenter à quel point l’impression 3D peut transformer des vies. Gravement brulé dans une explosion à la bombe, l’adolescent avait perdu tous les doigts de sa main gauche. Aujourd’hui, il a retrouvé l’usage de sa main grâce à une prothèse personnalisée à l’effigie de Ben 10, son superhéros préféré.

Les combats qui sévissent dans la Syrie voisine depuis cinq ans ont coûté la vie à plus de 250 000 personnes mais aussi fait de nombreux mutilés. Alors que les besoins à cet égard sont très considérables, il s’agit d’encourager la diffusion de prothèses imprimées en 3D en appliquant la philosophie de l’ open source. La prothèse dont a bénéficié le jeune Zain a coûté 75 dollars environ, soit une infirme partie du prix d’un appareillage similaire sur le marché.
Some of the 3D-printed prosthetics
Prothèses imprimées en 3D


Loay Malahmeh et Dave Levin, l’entrepreneur social de Refugee Open Ware avec lequel il a développé cette initiative, ont rencontré Asem Hasna dans un centre de prothèses d’Amman. Ce réfugié syrien, ancien secouriste ayant perdu sa jambe en Syrie à la suite du bombardement de son ambulance, était fasciné par l’impression tridimensionnelle. En trois semaines seulement, il est parvenu à hacker une des imprimantes 3D et à imprimer un matériau qu’ils n’avaient pas été en mesure d’employer auparavant. « Asem est devenu notre coordinateur technique en un tour de main », raconte Loay Malahmeh. Aujourd’hui, il forme des spécialistes de la médecine à l’impression 3D. Il se trouve actuellement à Berlin, dans le cadre du réseau FabLab (a), et vient d’assurer sa première conférence TED (a). « C’est un domaine dans lequel on apprend très vite », commente Loay Malahmeh en souriant.   
 
L’organisation Refugee Open Ware est convaincue qu’il y a beaucoup d’autres « Asem Hasna » parmi les 635 000 réfugiés syriens en Jordanie. Il faut juste leur permettre de donner libre cours à leur créativité et les « considérer comme une chance », selon les mots de Loay Malahmeh. À ses yeux, on pourrait recourir à l’impression 3D pour faire face aux besoins essentiels qu’ont les réfugiés dans leur vie quotidienne mais aussi pour promouvoir l’innovation. Asem Hasna, par exemple, devait changer tous les six mois une petite pièce en caoutchouc servant de support à son talon et dépenser à chaque fois 35 dollars. Avec le concours de 3D Mena, il a pu créer lui-même cette pièce en une demi-heure et l’imprimer dans un matériau flexible moyennant un coût inférieur à deux dollars. « Transformer les consommateurs en producteurs et démocratiser de cette façon la chaîne de production : c’est tout le principe de notre démarche », explique Loay Malahmeh.
 
Asem Hasna n’a pas seulement résolu son problème à moindre coût, il a aussi évité les frais de logistique, ajoute un employé de 3D Mena, Tom Chidiac. Imaginons qu’il ait trouvé refuge non pas dans la capitale jordanienne mais dans le camp de Zaatari, il aurait dû non seulement payer 35 dollars pour la pièce en caoutchouc mais aussi la commander à Amman et attendre qu’elle lui soit livrée, soit autant de complications supplémentaires. En rendant l’impression 3D accessible à tous, on réduit les coûts de logistique, sachant que ceux-ci représentent entre 60 et 80 % de la facture de l’action humanitaire. « Les retombées potentielles pour le secteur de l’aide humanitaire sont immenses », avance Loay Malahmeh.
 
L’organisation Refugee Open Ware est un consortium de partenaires divers : spécialistes des technologies, praticiens de l’aide, entrepreneurs et professionnels de la santé, tous tournés vers l’innovation dans l’humanitaire. À l’origine, il s’agissait d’établir un atelier de fabrication numérique (ou fab lab) dans le camp de Zaatari, en Jordanie, qui accueille quelque 80 000 réfugiés syriens. Mais le projet a dû être abandonné en raison de problèmes de sécurité. Le consortium collabore actuellement avec l’UNICEF pour déployer deux ateliers d’innovation mobiles, soit concrètement deux petits camions qui apporteront des outils de fabrication numérique à des populations qui ne peuvent pas y accéder autrement. Il espère être en mesure de former les habitants du camp à l’impression 3D et au logiciel libre. Refugee Open Ware a d’ores et déjà reçu des financements de divers acteurs, dont le Projet national syrien pour les prothèses (National Syrian Project for Prosthetic Limbs) et la Cour royale hachémite de Jordanie (Royal Hashemite Court).
 
L’objectif est de constituer un fab lab à Irbid, ville du Nord-Liban située à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la Syrie et abritant plus de 126 000 Syriens, et de le mettre en service d’ici la fin de 2016. « L’idée est de faire se rencontrer la population jordanienne et les réfugiés syriens », précise Tom Chidiac. L’incubateur en question fournira l’infrastructure et l’accès aux équipements nécessaires pour permettre à tous de fabriquer leurs propres produits ; il leur apprendra à utiliser les machines mais les formera aussi à la commercialisation, pour les accompagner du stade de la prospection à l’homologation. Il s’agit fondamentalement de constituer des écosystèmes d’innovation pour le développement du matériel libre, dont la prospérité repose sur le faire ensemble et la fabrication collaborative entre les réfugiés et ceux qui les accueillent, mais aussi de connecter ces derniers à la communauté mondiale.
 
Un autre fab lab est en cours d’installation à Amman : il se situera à deux pas des bureaux actuels et provisoires de l’entreprise, sur une surface de 500 mètres carrés. Ce centre d’innovation locale permettra à la population jordanienne et aux réfugiés d’exploiter la technologie pour résoudre leurs difficultés et inventer de nouvelles solutions. Son concept ? Rendre la technologie accessible à tous et promouvoir la démocratisation de ce que Loay Malahmeh appelle la « prochaine révolution industrielle ». « Nous avons fait l’expérience du potentiel de cette technologie et nous voulons à présent aller plus loin », conclut-il. Son coéquipier, Dave Levin, s’étend actuellement en Turquie, où il espère mettre en place un atelier à Istanbul ainsi que dans la ville de Gaziantep, à proximité de la frontière syrienne. En attendant, espèrent-ils, de pouvoir acheminer ces nouvelles technologies et les savoir-faire qui vont avec jusqu’en Syrie…

Auteurs

Christine Petré

Rédactrice en chef du site web "Your Middle East"

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