À Gaza, l'eau potable a le goût de l'eau de mer. Des années de négligence et de mauvaise gestion, dues en grande partie à des conflits répétitifs, ont conduit à l'épuisement constant de l'aquifère naturel de Gaza. L'aquifère vide a été envahi par l'eau de mer et - alarmant pour la santé publique - les eaux usées non traitées.
Une série de sécheresses qui ont frappé la Syrie depuis 2006 ont détruit les moyens de subsistance de millions de syriens qui dépendaient sur l'agriculture. Les Nations Unies (ONU) ont estimé qu'entre 2008 et 2011, la sécheresse a affecté 1,3 million de personnes, dont 800000 "gravement touchées". Les populations ont été chassées de leurs terres, le niveau de pauvreté a augmenté et une partie de la population a été plongée dans une profonde insécurité alimentaire.
Un cercle vicieux
Aucune de ces graves crises de l’eau n’est la cause de l’instabilité qui règne à Gaza et en Syrie. Le conflit à Gaza a empiré une situation déjà désastreuse ; empêchant la gestion d'une ressource naturelle vitale qui a mené à une catastrophe environnementale. Des mesures visant à atténuer certains des effets de la sécheresse en Syrie auraient pu permettre aux individus de rester sur leurs terres et les empêcher de sombrer dans la pauvreté. Bien qu'aucune de ces crises ne soit une cause directe de conflit, elles alimentent pourtant les frustrations à l'origine de l'instabilité.
La rareté de l'eau et l'instabilité se nourrissent mutuellement. Les crises de l'eau affaiblissent la capacité des individus et des sociétés à préserver leurs moyens de subsistance et la stabilité politique. Des situations fragiles - caractérisées par des institutions faibles et inefficaces, des antécédents de conflit, des systèmes de subsistance non durables et des infrastructures endommagées ou inexistantes - ont un effet multiplicateur de défis à la gestion durable de l’eau. La nature complexe de l'eau et de la fragilité donnent naissance à un cercle vicieux, comme illustré ci-dessous, chacun renforçant l'autre dans une spirale dangereuse.
La bonne nouvelle serait que ce cercle vicieux soit brisé. Ce ne sera pas rapide ou facile, mais les mesures visant à préserver et à mieux gérer les ressources naturelles en eau qui s’épuisent dans la région contribueront également à jeter les bases de la stabilité. Les décideurs politiques, les praticiens et les chercheurs de la région doivent concentrer leur attention sur le rôle de l'eau en tant que facteur de risque dans les systèmes fragiles et adopter les politiques qui convertissent la gestion et l'allocation des ressources en eau en une force qui lie les sociétés entre elles. La population croissante et l'urbanisation rapide de la région ont entraîné une demande toujours plus grande en eau, tandis que les dommages climatiques rendent la pénurie d'eau de plus en plus grave. Il n'y a plus de temps à perdre.
Construire la résilience
La sécurité de l’eau dans la région nécessite d’aller au-delà de l’approvisionnement immédiat en eau pour mettre l’accent sur la gestion durable des ressources et la prestation de services efficaces et abordables. Une telle approche équilibrée renforcerait la capacité à résister aux chocs et aux crises prolongées, comme la sécheresse, les conflits ou l’afflux de réfugiés, tout en répondant aux besoins immédiats tels que la sécurité alimentaire.
Une usine de traitement des eaux récemment achevée, située au nord de Gaza et financée par la Banque Mondiale, permettra de faire face à la menace que représentent pour la santé publique les eaux usées non traitées. Ainsi, l'eau traitée sera utilisée pour reconstituer l'aquifère de Gaza et créer une ressource en eau pour l'agriculture.
Les interventions de gestion de l'eau doivent s'articuler autour de l'augmentation des revenus, de la résilience des systèmes alimentaires et du renforcement de l'accès aux marchés, afin que les populations puissent obtenir des aliments sains et nutritifs, même si une crise les empêche de produire suffisamment de nourriture par eux-mêmes.
En Jordanie, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a soutenu l'amélioration des moyens de subsistance ruraux des communautés confrontées à des problèmes d'environnement et de pénurie d'eau grâce à un projet visant à accroître l'accès des petits producteurs, des communautés et des populations déplacées aux moyens de subsistance basés sur l'agriculture et aux possibilités d'emploi. Le projet a permis de reconstituer le tissu social et de créer une relation positive entre les populations locales et les réfugiés.
Une cause commune
Du moment que les problèmes d’eau et d’agriculture sont tous essentiellement locaux, la consultation, la participation et l’appropriation par la communauté sont vitales, tout comme le fait de travailler avec un gouvernement local qui se trouve sur le terrain. Par ailleurs, investir dans des politiques et des pratiques innovantes sera extrêmement bénéfique. La recherche, le développement et le transfert de technologie peuvent apporter des améliorations supplémentaires à l'efficacité de l'eau et à la productivité des cultures dans la région. Compte tenu de l’ampleur et des similitudes des défis de nombreux pays de la région et de la nature transfrontalière de questions importantes telles que le changement climatique et les ressources en eau partagées, l’action collective et les partenariats sont essentiels ; ils contribueront tous les deux à la stabilité locale et régionale.
Ces rapports entre la gestion de l’eau, la fragilité et les conflits sont abordés dans le rapport conjoint de l’ONU et de la Banque Mondiale intitulé « Gestion de l’eau dans les systèmes fragiles », qui examine comment les investissements dans l’eau peuvent contribuer à la stabilité en répondant aux besoins de moyens de subsistance à court terme et aux défis de durabilité à long terme.
Anders Jagerskog est spécialiste principal de la gestion des ressources en eau à la Banque Mondiale et Pasquale Steduto est responsable de la mise en œuvre de l'Initiative régionale de rareté de l'eau et coordinateur des programmes régionaux au Bureau régional de la FAO pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord.
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