La paix suffit-elle pour restaurer la prospérité dans un pays qui a souffert de fragilité, de conflit et de violence ? L’Irak a connu près de quarante ans de perturbations continues. La défaite de l'État islamique en 2017 a convaincu de nombreux Irakiens que la situation sécuritaire s'améliorait au point où une vie normale pourrait reprendre. Pourtant, en octobre 2019, des manifestations massives contre le gouvernement montrent du doigt un taux de chômage toujours élevé et une faible prestation des services publiques de base.
Le nouveau rapport intitulé «Sortir de la fragilité : un mémorandum économique national pour la diversification et la croissance en Irak» souligne l’importance de la croissance et de la diversification du commerce pour soutenir la croissance et la prospérité nationales. Cependant, l'héritage de décennies de conflit a laissé l'Irak dans une situation unique en matière de commerce et de politique commerciale.
En premier lieu, l’Irak est l’un des pays exportateurs les moins diversifiés au monde. En 2018, seulement 4,1% des exportations de l’Irak portaient sur des produits autres que le pétrole brut - contre 8,5% en 2004. L’abandon des fermes et des usines pendant les années de conflit a considérablement réduit la capacité de production de l’Irak. En conséquence, la part combinée de l’agriculture et de l’industrie manufacturière dans le PIB irakien a chuté d’environ trois quarts depuis la fin des années 80. Il est difficile d'exporter ce qui n'est pas produit.
Deuxièmement, l'Irak réglemente fortement les importations. On estime que les trois quarts des importations de l’Irak nécessitent un permis spécial, ainsi qu’une autorisation pour obtenir les devises nécessaires à l’importation. Le ministère irakien du commerce est le seul au monde responsable du rationnement alimentaire général de la population, héritage de la période des sanctions internationales dans les années 1990 et du programme ‘pétrole contre nourriture’ des Nations unies qui a pris fin en 2003. Une multitude d’entreprises publiques réglementent divers aspects de l'importation. Le système est sujet à la corruption et aux abus - de fausses demandes d'importation peuvent être utilisées pour évacuer des devises hors du pays, limitant le montant disponible à la portée des entreprises légitimes pour obtenir des biens intermédiaires et des équipements importés.
Troisièmement, les frontières de l’Irak sont à la fois difficiles à naviguer dans certains endroits et poreuses dans d’autres. Lorsque les points de contrôle aux frontières ont été rouverts, les commerçants ont été confrontés à de longs délais, à des frais de conformité élevés et à la charge de soumettre des documents en version papier. Les procédures sont incohérentes et le manque de coordination entre les agences de conformité aux frontières aggrave les retards. Les douanes et autres agences de conformité frontalières sont perçues comme étant corrompues et manquant de formation professionnelle. La détérioration des routes et des autoroutes augmente encore davantage les coûts de transport. En même temps, les marchandises traversent les frontières de manière informelle dans d'autres endroits, en particulier tout au long de la frontière avec l'Iran, où les incitations à un commerce non transparent pour éviter les sanctions sont fortes.
Pour compliquer davantage la situation à la frontière, l'Irak a deux régimes douaniers de facto, l'un dans la région autonome kurde et l'autre couvrant le reste du pays. Les barèmes tarifaires et les procédures frontalières sont différents dans les deux régions. Ces situations ont donné lieu à des points de contrôle autoroutiers internes qui entravent la circulation des camions entre les deux régions.
Néanmoins, un certain nombre de mesures peuvent être prises pour réduire les coûts commerciaux et soutenir la diversification des exportations :
Premièrement, le maintien de la paix et de la stabilité peut, en soi, largement contribuer à la diversification des exportations. L'Irak a une longue liste d'exportations héritées pour lesquelles des connaissances latentes sur la production sont toujours présentes dans l'économie. Les produits fréquemment exportés dans le passé comprennent le riz, les fruits secs, les lampes électriques, les distillats de goudron de houille, la pierre concassée, la laine, les peaux et les cuirs, les produits en cuivre, les produits chimiques polymérisés, les camions et les pièces de véhicules automobiles, entre autres. Certains de ces produits réapparaîtront probablement avec l'amélioration de la sécurité et de la transparence du gouvernement. Comme l'a exprimé l'économiste français du XIXe siècle, Frédéric Bastiat, « Si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront ». La réduction des conflits stimulera naturellement la productivité au niveau des exportations. De plus, la réduction des coûts commerciaux à la frontière est également susceptible de soutenir la diversification des exportations.
Deuxièmement, les douanes irakiennes devraient être modernisées pour promouvoir l'intégrité et le professionnalisme du service. Des politiques de facilitation des échanges conformes aux meilleures pratiques devraient être adoptées, suivant l'approche du ‘gouvernement unique’ et l'harmonisation des politiques entre toutes les agences d'inspection aux frontières. Au-delà de la nécessité apparente d'améliorer les installations de gestion des frontières, les processus et procédures commerciaux devraient être simplifiés et numérisés grâce à l'utilisation appropriée de la technologie commerciale. Les techniques modernes de gestion des risques peuvent conduire à des inspections des cargaisons plus sélectives et accélérer les échanges à la frontière. Les efforts récents du gouvernement pour rétablir le contrôle de l'État sur les passages frontaliers et réduire le rôle des milices et des « mafias de la corruption » sont un signe prometteur.
Troisièmement, l'Irak devrait poursuivre sa tentative récemment relancée d'adhérer à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le processus d'adhésion requiert l'engagement soutenu de tous les acteurs nationaux, une véritable plateforme de collaboration entre les ministères et avec le secteur privé. Cela comprend la réunification du territoire douanier et le partage équitable des revenus, ainsi qu’une transparence accrue des procédures d'administration des importations. La coopération avec le Groupe de travail de l’OMC peut aider à faire valoir le point de vue des partenaires commerciaux de l’Irak face à ces mêmes problèmes. En outre, l’utilisation des principes de l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges comme modèle pourra aider à attirer des ressources et un appui technique dans la volonté de l’Irak de moderniser ses propres procédures frontalières, même avant l’adhésion officielle à l’OMC.
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