Faire confiance aux statistiques : un aspect vital dans une démocratie moderne
Chacun sait que l’on ne peut trouver de solutions efficaces tant que les problèmes n’ont pas été clairement définis. Si cette règle empirique est sensée, elle peut apparaître comme un horizon lointain dans un contexte où les faits sont présentés de manière biaisée et où il n’existe aucune méthode de mesure acceptée de tous.
Pendant des décennies, les Tunisiens ont été abreuvés de données qui n’avaient rien à voir avec leur vécu. Aux yeux du monde extérieur, les statistiques ne permettaient guère d’étayer le mécontentement de la population devant l’absence de débouchés économiques. Le régime de Zine el-Abidine Ben Ali contrôlait les informations officielles afin de pouvoir dissimuler des vérités dérangeantes.
Inaccessibles à l’examen du public, les indicateurs clés du pays affichaient des valeurs correspondant à la version des autorités plutôt qu’à la réalité économique. Des rapports qui n’entretenaient qu’une relation distante avec une interprétation avisée des données empiriques — comme celui de l’Institut national de la statistique (INS) présentant en 2005 un taux de pauvreté de 3,8 % — étaient diffusés sans pratiquement aucun commentaire sur la signification de ces chiffres en termes de bien-être de la population.
Comme on ignorait tout des méthodes de mesure et des données sous-jacentes, personne ne pouvait remettre en cause ces informations.
La révolution qui a renversé le régime de Ben Ali offre à la Tunisie une occasion incroyable : celle de lever le voile entourant la production des statistiques nationales et d’organiser, enfin, un débat public et étayé sur la réduction de la pauvreté et des inégalités régionales.
Avec la divulgation des données publiques, les Tunisiens sont en passe de découvrir leur pays sous un jour totalement nouveau. Une telle mesure jette une lumière crue sur la plupart des problèmes auxquels ils sont confrontés et dont la gravité est bien plus profonde qu’ils ne le soupçonnaient. Les chiffres et les méthodes sont en cours de révision pour se plier aux meilleures pratiques internationales et les aligner ainsi sur la réalité d’un pays à revenu intermédiaire — ce qu’est la Tunisie — et les perceptions de ses citoyens. Ce travail de révision n’est que le début du processus long et complexe qui permettra de venir à bout de l’héritage du régime précédent.
Le nouveau gouvernement s’est engagé à lutter contre la pauvreté des Tunisiens, à s’attaquer aux immenses écarts qui séparent les régions du pays et à s’atteler à d’autres grandes urgences sociales. Les politiques retenues seront fondées sur une appréciation rigoureuse de la nature des problèmes et l’examen des solutions optimales pour y remédier. Pour que cette stratégie réussisse, il faut que les institutions en charge de la production des données aient les moyens et le savoir-faire nécessaires qui garantiront un travail précis et bien documenté. C’est ainsi que les autorités surmonteront la méfiance généralisée de la population à l’égard des statistiques officielles et des organismes qui en ont eu la charge pendant des décennies, jusqu’à la révolution de 2011.
Le gouvernement de transition a demandé l’aide de la Banque mondiale pour mener à bien une tâche aussi fondamentale. Une équipe est donc à pied d’œuvre, qui travaille avec l’INS pour remettre à plat la méthode d’évaluation de la pauvreté et lui transmettre les meilleures pratiques adoptées ailleurs dans le monde. La Banque africaine de développement (BAD) collabore à ce travail et les trois institutions agiront ensemble pour mettre au point une méthodologie révisée qui traduise bien la nature réelle de la pauvreté dans la Tunisie moderne.
Cette nouvelle méthode ne sera efficace que si elle est bien comprise et acceptée de tous, autorités et société civile. À cet effet, l’INS a institué un comité de pilotage qui devra veiller à la rigueur théorique des nouvelles estimations de la pauvreté. Ce comité réunit des représentants du gouvernement, des organisations de la société civile et des universitaires. Conformément à la volonté des autorités tunisiennes de garantir la transparence et d’encourager la participation citoyenne, chaque étape du processus de révision et les détails techniques seront publiés en ligne et accessibles gratuitement.
La confiance dans les institutions officielles et la liberté d’information sont essentielles pour parvenir à une démocratie vivante. Renouer avec ces fondamentaux de la confiance est un processus de longue haleine, dans lequel la Tunisie s’est désormais engagée. Nous nous réjouissons d’être à ses côtés.
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