Depuis cinq ans,
la mer, ce petit mot composé de trois lettres, est devenue un lieu de souffrance pour les Syriennes et les Syriens .
Oum Mohammad et Oum Issa n’avaient cependant pas prévu pareille fatalité. La première fuyait l’enfer des barils explosifs, lancés sur la ville de Darayya ; quant à la seconde, elle avait choisi l’exil en raison des services sécuritaires du régime qui harcelaient son fils pour l’enrôler de force dans l’armée du régime. En Syrie, les fils et les mères n’ont plus leur place .
Oum Mohammad et Oum Issa ont fait connaissance sur un littoral sombre et perdu de la mer Égée, où les avait guidées un étranger, elles et leur fils, dans l’attente d’une traversée vers la rive opposée. La mer et ses passeurs sont aussi despotiques qu’un régime qui tue sans relâche les Syriennes et leurs enfants . Cent mains, grandes et petites, cinq cents doigts noués ont tenté d’empêcher le canot pneumatique, peut-être le plus célèbre et le plus tragique de l’histoire du monde, de sombrer. Mais ni les doigts ni les prières n’ont suffi à dompter la mer et à épargner le canot pneumatique vétuste. Les passagers se sont vite rendu compte que le rembourrage de leurs gilets de sauvetage était en éponge. L’eau de mer absorbée par les gilets des enfants était salée et lourde. Très lourde.
Oum Mohammad et Oum Issa ont dû garder leurs enfants près d’elles et éviter qu’ils soient piétinés. Quand le canot a chaviré et que tout le monde a été précipité à la mer, elles ont expliqué à leurs enfants que la mer n’est bienveillante et généreuse que dans les livres d’écolier et qu’elle a un autre visage, féroce, égoïste et traître.
Quarante ans durant, ces deux femmes ont usé d’énormes quantités d’eau pour nettoyer la maison, faire la vaisselle et donner le bain aux enfants. Elles qui maîtrisaient parfaitement l’usage quotidien de l’eau étaient incapables d’apprivoiser cette eau salée ou de surnager dans cette mer déchaînée et aveugle.
Pendant des heures interminables, bien loin de nos heures tranquilles, le souffle coupé, elles ont tenté de rassurer leurs enfants, en versant des larmes plus salées que l’eau de mer, à l’idée de perdre leurs enfants. La mer a fini par avoir ce qu’elle voulait, tout comme ces deux mères. Brusquement, les houles ont cessé et les flots se sont assagis.
La mer avait épargné les naufragés pour leur éviter une noyade assurée ; peu de temps après, Oum Mohammad et Oum Issa sont arrivées sur la rive grecque avec tous leurs enfants.
Ce jour-là, une nouvelle vie avait commencé.
Je viens d’un pays où le destin sauve les femmes tout comme il se charge de les tuer. Je viens d’un pays régi par la colère et la folie. Un pays où les femmes ont parfois la chance d’échapper à une mort physique, spirituelle, intellectuelle, alors que d’autres sont broyées par la guerre, les prisons, l’assujettissement, l’extrémisme — le lot commun de mon pays.
Je viens d’un pays où la vie des femmes est liée aux humeurs changeantes .
Les femmes peuvent être opprimées mais elles ne seront jamais vaincues . Dans Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway, un vieux pêcheur s’enorgueillit du marlin géant qu’il a capturé. Sur le chemin du retour, sa prise est dévorée par un groupe de requins qui tournent autour de sa barque. Il ne reste en définitive que la victoire du vieillard sur le poisson.
Aujourd’hui, qui écrit l’histoire de ces femmes qui bravent la mer et le désert , pour assurer un meilleur avenir à leurs fils et à leurs filles ? Qui raconte leurs traversées, pour échapper aux dictatures et à l’autoritarisme ? Des régimes qui, depuis quarante ans, violent les femmes en s’en servant de faire-valoir pour leurs agences gouvernementales puis en affichant leurs photos dans les médias pour convaincre le monde de leurs slogans creux et de leur rhétorique futile.
Pendant quarante ans au moins, les femmes ont été réprimées et marginalisées en Syrie comme dans l’ensemble de la région , jugées incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Hormis quelques associations féminines de façade, la société n’a pas été préparée à accorder un rôle actif à la femme. La société marche sur une jambe, après s’être tiré une balle dans l’autre. Puis au premier choc émotionnel et humanitaire, elle s’est effondrée.
À l’occasion de la Journée internationale de la femme, je ne peux me représenter l’histoire d’Oum Mohammad et d’Oum Issa que comme le reflet des manquements de notre société, le reflet d’une indicible amertume, oppressante et suffocante. Je ne peux imaginer la mer que comme une passerelle entre deux types de vie : l’une dépourvue de sens, et l’autre pleine de sens. Je ne peux que penser à l’injustice frappant toutes les catégories sociales, hommes, enfants et femmes, sous le joug de régimes autoritaires qui les ont trop longtemps privés de liberté et de tranquillité.
S’il fallait agir aujourd’hui pour éviter d’assister dans quarante ans à de nouvelles vagues de femmes luttant contre la mer, affrontant à la mort, et remettant leur vie au destin, alors luttons pour protéger avant tout la liberté de choisir .
En aucun cas, les femmes ne sauraient être privées du droit de décider de leur vie. Et comme, il est personne ne peut exercer son libre arbitre sous un joug despotique, soulevons-nous contre la dictature. Et abolissons tous les régimes politiques, sociaux, et économiques fondés sur l’autoritarisme, pour que triomphe la liberté.
Bénies soient les femmes de mon pays.
Bénies soient toutes les femmes qui luttent contre la laideur de ce monde, pour la liberté .
Oum Mohammad et Oum Issa n’avaient cependant pas prévu pareille fatalité. La première fuyait l’enfer des barils explosifs, lancés sur la ville de Darayya ; quant à la seconde, elle avait choisi l’exil en raison des services sécuritaires du régime qui harcelaient son fils pour l’enrôler de force dans l’armée du régime. En Syrie, les fils et les mères n’ont plus leur place .
Oum Mohammad et Oum Issa ont fait connaissance sur un littoral sombre et perdu de la mer Égée, où les avait guidées un étranger, elles et leur fils, dans l’attente d’une traversée vers la rive opposée. La mer et ses passeurs sont aussi despotiques qu’un régime qui tue sans relâche les Syriennes et leurs enfants . Cent mains, grandes et petites, cinq cents doigts noués ont tenté d’empêcher le canot pneumatique, peut-être le plus célèbre et le plus tragique de l’histoire du monde, de sombrer. Mais ni les doigts ni les prières n’ont suffi à dompter la mer et à épargner le canot pneumatique vétuste. Les passagers se sont vite rendu compte que le rembourrage de leurs gilets de sauvetage était en éponge. L’eau de mer absorbée par les gilets des enfants était salée et lourde. Très lourde.
Oum Mohammad et Oum Issa ont dû garder leurs enfants près d’elles et éviter qu’ils soient piétinés. Quand le canot a chaviré et que tout le monde a été précipité à la mer, elles ont expliqué à leurs enfants que la mer n’est bienveillante et généreuse que dans les livres d’écolier et qu’elle a un autre visage, féroce, égoïste et traître.
Quarante ans durant, ces deux femmes ont usé d’énormes quantités d’eau pour nettoyer la maison, faire la vaisselle et donner le bain aux enfants. Elles qui maîtrisaient parfaitement l’usage quotidien de l’eau étaient incapables d’apprivoiser cette eau salée ou de surnager dans cette mer déchaînée et aveugle.
Pendant des heures interminables, bien loin de nos heures tranquilles, le souffle coupé, elles ont tenté de rassurer leurs enfants, en versant des larmes plus salées que l’eau de mer, à l’idée de perdre leurs enfants. La mer a fini par avoir ce qu’elle voulait, tout comme ces deux mères. Brusquement, les houles ont cessé et les flots se sont assagis.
La mer avait épargné les naufragés pour leur éviter une noyade assurée ; peu de temps après, Oum Mohammad et Oum Issa sont arrivées sur la rive grecque avec tous leurs enfants.
Ce jour-là, une nouvelle vie avait commencé.
Je viens d’un pays où le destin sauve les femmes tout comme il se charge de les tuer. Je viens d’un pays régi par la colère et la folie. Un pays où les femmes ont parfois la chance d’échapper à une mort physique, spirituelle, intellectuelle, alors que d’autres sont broyées par la guerre, les prisons, l’assujettissement, l’extrémisme — le lot commun de mon pays.
Je viens d’un pays où la vie des femmes est liée aux humeurs changeantes .
Les femmes peuvent être opprimées mais elles ne seront jamais vaincues . Dans Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway, un vieux pêcheur s’enorgueillit du marlin géant qu’il a capturé. Sur le chemin du retour, sa prise est dévorée par un groupe de requins qui tournent autour de sa barque. Il ne reste en définitive que la victoire du vieillard sur le poisson.
Aujourd’hui, qui écrit l’histoire de ces femmes qui bravent la mer et le désert , pour assurer un meilleur avenir à leurs fils et à leurs filles ? Qui raconte leurs traversées, pour échapper aux dictatures et à l’autoritarisme ? Des régimes qui, depuis quarante ans, violent les femmes en s’en servant de faire-valoir pour leurs agences gouvernementales puis en affichant leurs photos dans les médias pour convaincre le monde de leurs slogans creux et de leur rhétorique futile.
Pendant quarante ans au moins, les femmes ont été réprimées et marginalisées en Syrie comme dans l’ensemble de la région , jugées incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Hormis quelques associations féminines de façade, la société n’a pas été préparée à accorder un rôle actif à la femme. La société marche sur une jambe, après s’être tiré une balle dans l’autre. Puis au premier choc émotionnel et humanitaire, elle s’est effondrée.
À l’occasion de la Journée internationale de la femme, je ne peux me représenter l’histoire d’Oum Mohammad et d’Oum Issa que comme le reflet des manquements de notre société, le reflet d’une indicible amertume, oppressante et suffocante. Je ne peux imaginer la mer que comme une passerelle entre deux types de vie : l’une dépourvue de sens, et l’autre pleine de sens. Je ne peux que penser à l’injustice frappant toutes les catégories sociales, hommes, enfants et femmes, sous le joug de régimes autoritaires qui les ont trop longtemps privés de liberté et de tranquillité.
S’il fallait agir aujourd’hui pour éviter d’assister dans quarante ans à de nouvelles vagues de femmes luttant contre la mer, affrontant à la mort, et remettant leur vie au destin, alors luttons pour protéger avant tout la liberté de choisir .
En aucun cas, les femmes ne sauraient être privées du droit de décider de leur vie. Et comme, il est personne ne peut exercer son libre arbitre sous un joug despotique, soulevons-nous contre la dictature. Et abolissons tous les régimes politiques, sociaux, et économiques fondés sur l’autoritarisme, pour que triomphe la liberté.
Bénies soient les femmes de mon pays.
Bénies soient toutes les femmes qui luttent contre la laideur de ce monde, pour la liberté .
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