Publié sur Voix Arabes

Le chômage risque de se traduire dans quelques années par une proportion très élevée de jeunes dans la population égyptienne

«  Le destin s’écrit dans la démographie », citation attribuée à Auguste Comte.
 
Après avoir diminué pendant de nombreuses années, les taux de fécondité remontent depuis peu en Égypte. À l’âge de 25 ans, une femme née dans les années 1960 avait en moyenne 1,4 enfant. Un net recul des naissances est ensuite survenu, et cette moyenne est tombée à près de 1,1 enfant par femme pour les femmes nées à la fin des années 1970. Mais depuis, la fécondité est repartie à la hausse, avec, en moyenne, 1,2 enfant par femme pour les femmes nées entre le milieu et la fin des années 1990.
 
Image
Source : Egyptian Labor Market Panel Survey, 2012

ImagePlusieurs facteurs pourraient expliquer cette tendance. En tant qu’économiste, je recherche systématiquement des éléments d’explication dans l’économie. Je me suis ainsi intéressé à l’influence potentielle des opportunités d’emploi pour les femmes sur les taux de fécondité. En Égypte (comme presque partout dans le monde), ce sont généralement les femmes qui passent le plus de temps à s’occuper des enfants. Il est difficile de commencer une carrière lorsque l’on a un enfant en bas âge, et plus une femme a d’enfants, plus cela devient difficile. L’augmentation des taux de fécondité pourrait donc s’expliquer par le fait que les Égyptiennes ont bénéficié par le passé d’un bon accès à l’emploi mais que cet accès s’est réduit pour les générations les plus jeunes.
 
Il semble que ce soit exactement ce qui s’est produit en Égypte. En 1964, le gouvernement a mis en place une politique garantissant un emploi à tous les diplômés de l’enseignement secondaire, hommes et femmes. Cette politique a fini par ne plus avoir les moyens de son ambition (en particulier à cause de l’explosion du nombre de ces diplômés) et a progressivement été abandonnée. En témoigne le nombre d’Égyptiens qui disposaient d’un emploi dans le secteur public à l’âge de 25 ans : parmi les diplômés de l’enseignement secondaire, plus de la moitié de ceux nés à la fin des années 1950 travaillaient dans la fonction publique, contre moins de 1 sur 7 pour les générations les plus jeunes.
 
Image
Source : Egyptian Labor Market Panel Survey, 2012

Si l’on compare les taux de fécondité des femmes diplômées et des non-diplômées de l’enseignement secondaire, il apparaît que les opportunités d’emploi pourraient fournir au moins une partie de l’explication : les taux de fécondité progressent à la fois parmi les diplômées et les non-diplômées, mais, globalement, cette augmentation est due aux femmes qui ont fait des études. Même si ces dernières ont, dans l’ensemble, moins d’enfants, c’est à elles que l’on doit la plus forte hausse récente de la natalité. Le plus frappant, c’est que les Égyptiennes qui ont fait des études n’ont pas du tout connu de baisse de leur fécondité sur les 40 dernières années. Cette tendance pourrait s’expliquer par la dégradation continue de leurs perspectives sur le marché de l’emploi.
 
Image
Source : Egyptian Labor Market Panel Survey, 2012
 
La question la plus importante est « pourquoi faudrait-il s’en soucier ? ». Ce n’est pas à moi de dire aux familles égyptiennes combien elles devraient avoir d’enfants, ou qu’elles ont trop d’enfants ou pas assez. Cependant, la situation de l’Égypte est unique. À un moment ou à un autre, nombre de pays ont connu une surreprésentation des jeunes dans la population. Aux États-Unis, par exemple, un tel phénomène s’est produit il y a une trentaine d’années, quand la génération née après la Seconde Guerre mondiale (les très nombreux « baby-boomers ») a commencé à grandir.
 
Image
Source: Current Population Survey

À l’instar de ce qui s’est passé aux États-Unis et dans la plupart des autres pays riches il y a plusieurs décennies, cette poussée démographique touche aujourd’hui à sa fin en Égypte. Mais, sous l’effet de la remontée de ses taux de fécondité, le pays va connaître d’ici quelques années une deuxième vague d’augmentation, encore plus forte, de la proportion de jeunes. Il faudrait que la politique publique qui sera élaborée au cours des prochaines années en tienne compte.
 
Image
Source: Egyptian Labor Market Panel Survey 2012

Auteurs

Jacob Goldston

Enseignant à l’université de Caroline du Sud

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000