L’important, ce n'est pas ce que vous connaissez, mais
qui vous connaissez. J’ai pu vérifier la pertinence et l’actualité de cet adage lors d’un récent voyage à Jérusalem-Est, ma ville natale. À cette occasion, j’ai demandé à ma famille et mes amis ce qu’ils pensaient de la perception selon laquelle le fait d’avoir des relations est la seule chose qui compte aujourd'hui pour trouver un emploi décent. Cette plainte est en effet récurrente parmi les jeunes du monde arabe.
En arabe, on parle de « wasta » pour désigner ces relations privilégiées avec des personnes haut placées par l'intermédiaire de membres de sa famille ou de ses amis. Cette pratique tenace existe depuis bien longtemps au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) et son importance historique est profondément enracinée dans le mode de gouvernance prévalant dans la région : la pratique de la wasta va de la confiscation du pouvoir par les élites à de nombreux aspects de la vie quotidienne, comme l'administration et la fourniture des biens et services publics, les décisions de recrutement et l'attribution des contrats.
Un rapport publié récemment par la Banque mondiale et intitulé L’emploi pour une prospérité partagée : le moment pour l'action au Moyen-Orient et en Afrique du Nord met précisément en évidence la frustration que ressent la jeunesse arabe par rapport à cette situation et les dégâts réels que la wasta provoque au sein de toute une génération en la privant des chances de vivre dignement.
Le rapport s'intéresse aux nombreux facteurs qui nuisent aux marchés du travail de la région, autant d’éléments qui se révèlent essentiels pour comprendre les multiples strates d'une exclusion qui aboutit à ceci : des taux de chômage chez les jeunes qui sont les plus élevés au monde et trois femmes sur quatre exclues de la population active.
La publication souligne également le problème spécifique du manque de méritocratie au niveau du marché du travail. En d'autres termes, les diplômes sont perçus comme jouant un rôle mineur dans les décisions de recrutement des employeurs. Il existe d'autres réseaux informels par lesquels les entreprises recrutent leurs employés.
Le rapport s'appuie sur les données d'une enquête plus ancienne* pour lever le voile sur certains de ces mécanismes. Parmi eux, la wasta occupe une place essentielle, bien qu'elle soit impalpable et officieuse. L’enquête posait notamment la question suivante : « Pour un jeune, quel est l'obstacle le plus important pour obtenir un emploi ou un meilleur emploi qui lui permette de fonder une famille ? ». En Égypte, en Tunisie et, dans une moindre mesure, en Syrie, les jeunes interrogés ont cité comme obstacle principal le manque d'emplois corrects disponibles et, dans l’ensemble de la région, une part non négligeable d’entre eux a mis en avant le fait que les bons emplois n’étaient donnés qu'aux personnes ayant des relations.
La même question a été posée à nouveau dans une enquête plus récente* réalisée par Gallup. On voit dans les deux graphiques présentés ci-dessous que les réponses des personnes interrogées dans les différents pays de la région sont sensiblement identiques d’une enquête à l’autre (figures O.1 et O.2). Environ 18 % des jeunes vivant dans les pays sondés pensent que la wasta est le principal obstacle qui les empêche de trouver un emploi.
Une autre question posée sous une forme différente reprenait le même aspect : « De façon générale, êtes-vous d'accord avec l'affirmation suivante : connaître des personnes haut placées est essentiel pour obtenir un emploi ? ». Les résultats ont été nets : plus de 60 % des personnes interrogées dans tous les pays de la région MENA ont approuvé cette affirmation, sauf au Qatar, où le pourcentage a été légèrement inférieur. Le Liban et la Jordanie se sont particulièrement distingués, avec des taux d'approbation s'élevant respectivement à près de 90 et 85 % (figure O.3).
Figure O.1 Perception des jeunes de la région MENA quant aux
obstacles à l'obtention d'un emploi, 2009
Figure O.2 Perception des jeunes de la région MENA quant aux
obstacles à l'obtention d'un emploi, 2013
Source : Enquête mondiale réalisée par Gallup
Figure O.3 « De façon générale, êtes-vous d'accord avec l'affirmation suivante : connaître des personnes bien placées est essentiel pour obtenir un emploi ? »
Source : Enquête mondiale réalisée par Gallup, 2013
Les résultats obtenus par Gallup ne surprendront pas quiconque travaille dans la région MENA ou en est originaire. Une multitude de faits anecdotiques et de données empiriques témoignent de la faible importance de la méritocratie dans les recrutements, au profit de méthodes informelles bien plus populaires.
Les raisons en sont exposées dans le rapport : structure du marché peu concurrentielle, distribution des entreprises, procédures de licenciement complexes et coûteuses, ou encore application arbitraire de la réglementation, ce point rendant d'autres aspects plus pertinents, comme la confiance.
Le fait que la perception du rôle de la wasta par la jeunesse arabe n'ait absolument pas changé pendant les années tumultueuses qui se sont écoulées entre 2009 et 2013 met en lumière sa portée réelle sur le chômage des jeunes, avec des conséquences qui se sont manifestées lors des changements radicaux qui ont secoué la région à partir de 2011.
Il est évident que la perception selon laquelle tout ce qui compte, c'est d'avoir des relations vient miner le sentiment de dignité et d'équité. Mais ce phénomène a aussi d’autres effets : il contribue à dévaluer les diplômes et à saper les incitations qui pourraient encourager les employés à être responsables et à travailler de façon honnête et efficace. Par voie de conséquence, cela a un effet néfaste sur la qualité de la fourniture des services publics, qu'il s'agisse des secteurs de la santé, de l'éducation ou de la protection sociale.
Alors que bon nombre des efforts de développement actuels ont pour principal objectif de faire baisser le chômage des jeunes dans la région MENA, il faudrait commencer par reconnaître l’importance du système officieux de la wasta et promouvoir des réformes juridiques et sociales visant à l’endiguer. Ceux qui subissent les conséquences négatives de la wasta semblent être bien plus conscients de son impact sur le système que les décideurs eux-mêmes.
En arabe, on parle de « wasta » pour désigner ces relations privilégiées avec des personnes haut placées par l'intermédiaire de membres de sa famille ou de ses amis. Cette pratique tenace existe depuis bien longtemps au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) et son importance historique est profondément enracinée dans le mode de gouvernance prévalant dans la région : la pratique de la wasta va de la confiscation du pouvoir par les élites à de nombreux aspects de la vie quotidienne, comme l'administration et la fourniture des biens et services publics, les décisions de recrutement et l'attribution des contrats.
Un rapport publié récemment par la Banque mondiale et intitulé L’emploi pour une prospérité partagée : le moment pour l'action au Moyen-Orient et en Afrique du Nord met précisément en évidence la frustration que ressent la jeunesse arabe par rapport à cette situation et les dégâts réels que la wasta provoque au sein de toute une génération en la privant des chances de vivre dignement.
Le rapport s'intéresse aux nombreux facteurs qui nuisent aux marchés du travail de la région, autant d’éléments qui se révèlent essentiels pour comprendre les multiples strates d'une exclusion qui aboutit à ceci : des taux de chômage chez les jeunes qui sont les plus élevés au monde et trois femmes sur quatre exclues de la population active.
La publication souligne également le problème spécifique du manque de méritocratie au niveau du marché du travail. En d'autres termes, les diplômes sont perçus comme jouant un rôle mineur dans les décisions de recrutement des employeurs. Il existe d'autres réseaux informels par lesquels les entreprises recrutent leurs employés.
Le rapport s'appuie sur les données d'une enquête plus ancienne* pour lever le voile sur certains de ces mécanismes. Parmi eux, la wasta occupe une place essentielle, bien qu'elle soit impalpable et officieuse. L’enquête posait notamment la question suivante : « Pour un jeune, quel est l'obstacle le plus important pour obtenir un emploi ou un meilleur emploi qui lui permette de fonder une famille ? ». En Égypte, en Tunisie et, dans une moindre mesure, en Syrie, les jeunes interrogés ont cité comme obstacle principal le manque d'emplois corrects disponibles et, dans l’ensemble de la région, une part non négligeable d’entre eux a mis en avant le fait que les bons emplois n’étaient donnés qu'aux personnes ayant des relations.
La même question a été posée à nouveau dans une enquête plus récente* réalisée par Gallup. On voit dans les deux graphiques présentés ci-dessous que les réponses des personnes interrogées dans les différents pays de la région sont sensiblement identiques d’une enquête à l’autre (figures O.1 et O.2). Environ 18 % des jeunes vivant dans les pays sondés pensent que la wasta est le principal obstacle qui les empêche de trouver un emploi.
Une autre question posée sous une forme différente reprenait le même aspect : « De façon générale, êtes-vous d'accord avec l'affirmation suivante : connaître des personnes haut placées est essentiel pour obtenir un emploi ? ». Les résultats ont été nets : plus de 60 % des personnes interrogées dans tous les pays de la région MENA ont approuvé cette affirmation, sauf au Qatar, où le pourcentage a été légèrement inférieur. Le Liban et la Jordanie se sont particulièrement distingués, avec des taux d'approbation s'élevant respectivement à près de 90 et 85 % (figure O.3).
Figure O.1 Perception des jeunes de la région MENA quant aux
obstacles à l'obtention d'un emploi, 2009
Figure O.2 Perception des jeunes de la région MENA quant aux
obstacles à l'obtention d'un emploi, 2013
Source : Enquête mondiale réalisée par Gallup
Figure O.3 « De façon générale, êtes-vous d'accord avec l'affirmation suivante : connaître des personnes bien placées est essentiel pour obtenir un emploi ? »
Source : Enquête mondiale réalisée par Gallup, 2013
Les résultats obtenus par Gallup ne surprendront pas quiconque travaille dans la région MENA ou en est originaire. Une multitude de faits anecdotiques et de données empiriques témoignent de la faible importance de la méritocratie dans les recrutements, au profit de méthodes informelles bien plus populaires.
Les raisons en sont exposées dans le rapport : structure du marché peu concurrentielle, distribution des entreprises, procédures de licenciement complexes et coûteuses, ou encore application arbitraire de la réglementation, ce point rendant d'autres aspects plus pertinents, comme la confiance.
Le fait que la perception du rôle de la wasta par la jeunesse arabe n'ait absolument pas changé pendant les années tumultueuses qui se sont écoulées entre 2009 et 2013 met en lumière sa portée réelle sur le chômage des jeunes, avec des conséquences qui se sont manifestées lors des changements radicaux qui ont secoué la région à partir de 2011.
Il est évident que la perception selon laquelle tout ce qui compte, c'est d'avoir des relations vient miner le sentiment de dignité et d'équité. Mais ce phénomène a aussi d’autres effets : il contribue à dévaluer les diplômes et à saper les incitations qui pourraient encourager les employés à être responsables et à travailler de façon honnête et efficace. Par voie de conséquence, cela a un effet néfaste sur la qualité de la fourniture des services publics, qu'il s'agisse des secteurs de la santé, de l'éducation ou de la protection sociale.
Alors que bon nombre des efforts de développement actuels ont pour principal objectif de faire baisser le chômage des jeunes dans la région MENA, il faudrait commencer par reconnaître l’importance du système officieux de la wasta et promouvoir des réformes juridiques et sociales visant à l’endiguer. Ceux qui subissent les conséquences négatives de la wasta semblent être bien plus conscients de son impact sur le système que les décideurs eux-mêmes.
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