Avant la survenue de la pandémie de COVID-19, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) devait affronter un grand nombre de défis : faible croissance du produit intérieur brut (PIB), chômage élevé, en particulier chez les jeunes et les femmes, piètre climat d’investissement et niveaux d’endettement croissants. Les déséquilibres budgétaires poussaient de nombreux gouvernements à réformer leurs programmes de subventions — souvent destinées à l’énergie, l’eau et l’alimentation — et à déployer des filets de protection sociale plus vastes et mieux ciblés. Au début de l’année 2020, ces réformes étaient en cours. Mais lorsque le virus a frappé, les pays ne disposaient ni de la marge de manœuvre budgétaire ni des filets sociaux nécessaires pour atténuer le choc subi par les habitants de la région.
Dans son édition d’avril 2021, le Bulletin d’information économique de la région MENA s’est penché sur les ravages économiques de la COVID-19 : selon ces estimations, l'économie régionale s’est contractée de 3,8 % en 2020, induisant un coût cumulé de la pandémie en termes de pertes de PIB à la fin de 2021 chiffré à 227 milliards de dollars. Un nouveau rapport, attendu à l’automne, analyse l’impact de la COVID-19 sur la pauvreté dans les pays de la région MENA. En s’appuyant sur des données tirées d’entretiens téléphoniques, associées à des techniques de micro‑simulation, les auteurs du rapport dressent un tableau général de l’incidence de la pandémie sur le bien-être des individus et des ménages.
Les résultats sont éloquents : ils mettent en évidence un fort repli de l’emploi, de sérieuses déperditions de revenu, une reprise inégale et un accès limité aux filets sociaux. Les simulations traduisent ces résultats en estimations de l’impact probable sur la pauvreté. S’il est d’ampleur variable selon les pays, cet impact est toujours négatif et non négligeable. En Tunisie par exemple, le taux national de pauvreté qui ressortait autour de 15 % en 2015 devrait passer à 22 ou 27 % en 2021. En Palestine, où les niveaux initiaux de pauvreté étaient déjà élevés, le rapport anticipe une aggravation supplémentaire en Cisjordanie et à Gaza de 35 et 59 % respectivement.
Les conséquences les plus dévastatrices concernent de loin des économies déjà en difficulté : l’Iran, qui doit lutter contre l’inflation en même temps que la pandémie, devrait voir son taux de pauvreté plus que doubler, pour atteindre 35 %. Les prévisions des niveaux de pauvreté pour le Liban sont difficiles à effectuer, en raison de données d’enquête obsolètes et d’une économie en chute libre : les auteurs du rapport à paraître anticipent néanmoins une augmentation de la pauvreté de 38 points de pourcentage par rapport au niveau pré-pandémie. Le tableau est pire encore pour les groupes vulnérables, notamment les réfugiés, avec une hausse estimée à 52 points.
Une aggravation de la pauvreté peut sembler inévitable à la suite d’un effondrement économique aussi brutal. Des données récentes en provenance des États-Unis suggèrent pourtant le contraire : le choc y a été aussi dévastateur que dans la région MENA — avec par exemple un taux de chômage mensuel record en avril 2020, à 14,7 % — mais le nombre d’Américains pauvres devrait avoir reculé de près de 20 millions par rapport aux niveaux de 2018, soit une baisse de pratiquement 45 %. Jamais les États-Unis n’étaient parvenus à faire reculer autant la pauvreté dans un laps de temps aussi court. Comment y sont-ils parvenus?
Trois programmes ont été particulièrement efficaces : la distribution de chèques de relance, l’augmentation des coupons alimentaires et l’extension de l’assurance chômage. Le pays a pu mettre en place ces aides parce qu’il disposait de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire et parce qu’il pouvait compter sur des registres et des bases de données exhaustifs pour cibler les bénéficiaires.
Comme le souligne le rapport à paraître, les niveaux élevés d’emploi informel dans les pays de la région MENA et les registres incomplets dont ils disposent ont compliqué le déploiement de filets sociaux renforcés. Et quand bien même ces registres auraient existé, les gouvernements n’auraient pas eu la marge de manœuvre budgétaire requise pour étendre suffisamment les filets de protection sociale et endiguer l’aggravation de la pauvreté.
Tant que ces problèmes ne sont pas résolus, les habitants de la région resteront extrêmement vulnérables aux chocs à venir, après la pandémie — dont la fréquence risque malheureusement de s’accélérer en raison du changement climatique.
L’expérience des États-Unis est riche d’autres enseignements. Déjà, les mesures liées à la COVID‑19 ont une durée limitée et devraient disparaître une fois l’économie rétablie, ce qui n’est pas le cas des approches souvent adoptées par les économies de la région MENA. Ainsi, la création d’emplois supplémentaires dans la fonction publique, les salaires élevés dans l’administration et les programmes de subvention permanents et non ciblés constituent des mesures de protection sociale moins adaptées, d’abord car elles sont difficiles à inverser, ensuite car elles faussent la concurrence et enfin car elles ponctionnent les finances publiques. Si elles peuvent contribuer à réduire la pauvreté pendant un certain temps, elles sont toutefois intenables dans la durée, comme en témoigne la situation en Tunisie.
Tant que la COVID-19 sévira, il faudra continuer de privilégier le déploiement des programmes de vaccination et le redémarrage de l’économie. Mais une fois la pandémie derrière nous, il s’agira de veiller à garantir des équilibres macroéconomiques sains et à mettre en place des filets de protection sociale soigneusement pensés.
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