Le
principe du “contrat social” remonte à la Grèce antique et fait référence à l’accord implicite entre les membres d’une société qui définit leurs relations réciproques et avec l’État. Ces relations permettent d’éclaircir le mystère du « Printemps arabe ».
Les soulèvements qui ont débuté en Tunisie avant de se propager à plusieurs pays du monde arabe en 2010 et 2011 en ont surpris plus d’un chez les économistes du développement, comme moi. La plupart des indicateurs de bien-être économique étaient solides et n’avaient cessé de progressé pendant les 10 années précédentes ; le PIB augmentait à un rythme soutenu, autour de 5 % par an ; la pauvreté extrême (vivre avec 1,25 dollar par jour) était limitée et en recul ; et les mesures conventionnelles des inégalités, à l’instar du coefficient de Gini, attestaient d’une situation plus favorable que dans les autres pays à revenu intermédiaire, avec même parfois une tendance à l’amélioration. En Égypte et en Tunisie, le revenu par habitant des 40 % les plus pauvres de la population augmentait plus rapidement que la moyenne. Enfin, sur le plan du développement humain, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord détenait un record pour le recul des taux de mortalité infantile et la hausse des niveaux d’instruction.
Pourtant, comme l’attestaient plusieurs sondages Gallup (a) et enquêtes mondiales sur les valeurs (WVS), la population exprimait un mécontentement grandissant, qui a atteint son apogée dans quatre pays, théâtre d’une révolution, plusieurs autres devant affronter des manifestations populaires massives. Si bon nombre des revendications portaient sur le manque de moyens d’expression et de responsabilité de la part des dirigeants, il n’en reste pas moins surprenant de constater la profondeur de l’insatisfaction ambiante dans des pays connaissant une situation économique saine et en constante amélioration. La réponse est à chercher dans la nature du contrat social : alors qu’ils obtenaient de bons résultats économiques, attestés par les indicateurs cités plus haut, ces pays se sont montrés incapables de satisfaire les aspirations d’une classe moyenne toujours plus nombreuse et, en particulier, de ses jeunes.
Côté positif, dans pratiquement tous ces pays, l’éducation et la santé étaient gratuites ; les produits vivriers puis, ultérieurement, les carburants étaient subventionnés ; et l’emploi dans le secteur public garantissait des avantages à vie. Ce qui explique les rapides avancées sur le plan du développement humain, l’économie étant soutenue par les rentes tirées de l’extraction du pétrole et les investissements publics tandis que les subventions aux produits vivriers protégeaient les pauvres. D’où ce niveau d’inégalités faible et en recul, une pauvreté limitée et, du moins si l’on utilise la définition qu’en donne la Banque mondiale, une prospérité partagée.
Côté négatif, le caractère autoritaire de certains régimes en place, ne tolérant guère de contestation et qui, dans certains cas, déniaient les droits humains de certains groupes.
Au tournant du siècle, ce contrat social a commencé à se déliter. Déjà, plombé par des déficits budgétaires importants, le secteur public ne pouvait plus se permettre d’être « l’employeur en premier et en dernier ressort ». Il a même entamé une cure d’amaigrissement, mettant au chômage toute une génération de jeunes gens, qui avaient pourtant assidument fait des études dans l’espoir de décrocher un poste dans la fonction publique. Pire, leurs compétences n’étaient pas adaptées au secteur privé qui, de toute façon, ne se développait pas assez vite pour les absorber. C’est ainsi que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont décroché le record mondial du chômage, lequel atteignait dans le cas des jeunes et des femmes pratiquement le double du taux global. Sans compter qu’environ 80 % de la population étaient convaincus que, dans la plupart des cas, les relations importaient plus que le mérite pour décrocher un emploi — un sentiment qui a alimenté la frustration des jeunes tout juste sortis de leurs études.
Ensuite, la corrélation entre le retard du secteur privé et la nature autocratique des régimes est devenu patente. Clairement, les proches et la famille des dirigeants en place bénéficiaient de rentes de monopole sur l’industrie nationale, au détriment de la compétitivité des exportations et de la création d’emplois. En Tunisie par exemple, les « entreprises Ben Ali » captaient 21 % des profits mais n’assuraient que 0,8 % de la production industrielle. Ces firmes profitaient des règlementations limitant l’investissement étranger dans leurs secteurs d’activité (le transport, la banque et les télécommunications) avec pour effet de renchérir le prix des intrants pour les secteurs exportateurs qui, de ce fait, perdaient en compétitivité internationale. La croissance ne parvenait donc plus à absorber les flux de jeunes accédant aux marchés du travail chaque année.
Enfin, la masse de subventions, partie intégrante du contrat social, finissait par devenir plus un fardeau qu’un avantage. Les subventions aux carburants en particulier concernaient essentiellement les riches, donnant naissance à une structure économique favorisant les industries capitalistiques plutôt que les industries de main-d’œuvre. On sait aussi qu’en Égypte, les sociétés proches du pouvoir en place bénéficiaient de manière exagérée de ces subventions-là. Le système auparavant gratuit de santé et d’éducation, qui assurait toujours un niveau de prestations minimum, devenait sans cesse plus incapable d’offrir des services de qualité. L’absentéisme des enseignants et des médecins était monnaie courante. D’où l’apparition d’un secteur privé où les gens devaient payer pour des services auxquels, auparavant, ils avaient droit sans contrepartie. Pour reprendre le commentaire de cette Égyptienne, « soit vous allez dans un dispensaire privé au risque d’y laisser tout votre argent, soit vous allez dans un dispensaire public, au risque d’y laisser votre vie ».
Parallèlement à ces accrocs au contrat social, les citoyens commençaient à être de moins en moins satisfaits de leurs dirigeants, même lorsque tous les autres indicateurs économiques semblaient prometteurs. Le ressentiment a grandi au point de s’exprimer dans des manifestations massives et, dans quatre pays, d’entraîner la destitution de l’autocrate en place.
C’est en comprenant bien ces paradoxes du Printemps arabe que nous parviendrons à trouver la solution : de toute évidence, la région a besoin d’un nouveau contrat social ; elle doit adopter une politique en matière de concurrence (qui uniformise les règles) ; elle doit substituer aux subventions des transferts monétaires ciblés qui permettent aux citoyens pauvres de décider de leurs choix de consommation ; et elle doit rationaliser la fonction publique afin que celle-ci remplisse les fonctions incombant à tout gouvernement, au lieu de se contenter d’être un employeur en premier et en dernier ressort.
Les soulèvements qui ont débuté en Tunisie avant de se propager à plusieurs pays du monde arabe en 2010 et 2011 en ont surpris plus d’un chez les économistes du développement, comme moi. La plupart des indicateurs de bien-être économique étaient solides et n’avaient cessé de progressé pendant les 10 années précédentes ; le PIB augmentait à un rythme soutenu, autour de 5 % par an ; la pauvreté extrême (vivre avec 1,25 dollar par jour) était limitée et en recul ; et les mesures conventionnelles des inégalités, à l’instar du coefficient de Gini, attestaient d’une situation plus favorable que dans les autres pays à revenu intermédiaire, avec même parfois une tendance à l’amélioration. En Égypte et en Tunisie, le revenu par habitant des 40 % les plus pauvres de la population augmentait plus rapidement que la moyenne. Enfin, sur le plan du développement humain, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord détenait un record pour le recul des taux de mortalité infantile et la hausse des niveaux d’instruction.
Pourtant, comme l’attestaient plusieurs sondages Gallup (a) et enquêtes mondiales sur les valeurs (WVS), la population exprimait un mécontentement grandissant, qui a atteint son apogée dans quatre pays, théâtre d’une révolution, plusieurs autres devant affronter des manifestations populaires massives. Si bon nombre des revendications portaient sur le manque de moyens d’expression et de responsabilité de la part des dirigeants, il n’en reste pas moins surprenant de constater la profondeur de l’insatisfaction ambiante dans des pays connaissant une situation économique saine et en constante amélioration. La réponse est à chercher dans la nature du contrat social : alors qu’ils obtenaient de bons résultats économiques, attestés par les indicateurs cités plus haut, ces pays se sont montrés incapables de satisfaire les aspirations d’une classe moyenne toujours plus nombreuse et, en particulier, de ses jeunes.
Côté positif, dans pratiquement tous ces pays, l’éducation et la santé étaient gratuites ; les produits vivriers puis, ultérieurement, les carburants étaient subventionnés ; et l’emploi dans le secteur public garantissait des avantages à vie. Ce qui explique les rapides avancées sur le plan du développement humain, l’économie étant soutenue par les rentes tirées de l’extraction du pétrole et les investissements publics tandis que les subventions aux produits vivriers protégeaient les pauvres. D’où ce niveau d’inégalités faible et en recul, une pauvreté limitée et, du moins si l’on utilise la définition qu’en donne la Banque mondiale, une prospérité partagée.
Côté négatif, le caractère autoritaire de certains régimes en place, ne tolérant guère de contestation et qui, dans certains cas, déniaient les droits humains de certains groupes.
Au tournant du siècle, ce contrat social a commencé à se déliter. Déjà, plombé par des déficits budgétaires importants, le secteur public ne pouvait plus se permettre d’être « l’employeur en premier et en dernier ressort ». Il a même entamé une cure d’amaigrissement, mettant au chômage toute une génération de jeunes gens, qui avaient pourtant assidument fait des études dans l’espoir de décrocher un poste dans la fonction publique. Pire, leurs compétences n’étaient pas adaptées au secteur privé qui, de toute façon, ne se développait pas assez vite pour les absorber. C’est ainsi que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont décroché le record mondial du chômage, lequel atteignait dans le cas des jeunes et des femmes pratiquement le double du taux global. Sans compter qu’environ 80 % de la population étaient convaincus que, dans la plupart des cas, les relations importaient plus que le mérite pour décrocher un emploi — un sentiment qui a alimenté la frustration des jeunes tout juste sortis de leurs études.
Ensuite, la corrélation entre le retard du secteur privé et la nature autocratique des régimes est devenu patente. Clairement, les proches et la famille des dirigeants en place bénéficiaient de rentes de monopole sur l’industrie nationale, au détriment de la compétitivité des exportations et de la création d’emplois. En Tunisie par exemple, les « entreprises Ben Ali » captaient 21 % des profits mais n’assuraient que 0,8 % de la production industrielle. Ces firmes profitaient des règlementations limitant l’investissement étranger dans leurs secteurs d’activité (le transport, la banque et les télécommunications) avec pour effet de renchérir le prix des intrants pour les secteurs exportateurs qui, de ce fait, perdaient en compétitivité internationale. La croissance ne parvenait donc plus à absorber les flux de jeunes accédant aux marchés du travail chaque année.
Enfin, la masse de subventions, partie intégrante du contrat social, finissait par devenir plus un fardeau qu’un avantage. Les subventions aux carburants en particulier concernaient essentiellement les riches, donnant naissance à une structure économique favorisant les industries capitalistiques plutôt que les industries de main-d’œuvre. On sait aussi qu’en Égypte, les sociétés proches du pouvoir en place bénéficiaient de manière exagérée de ces subventions-là. Le système auparavant gratuit de santé et d’éducation, qui assurait toujours un niveau de prestations minimum, devenait sans cesse plus incapable d’offrir des services de qualité. L’absentéisme des enseignants et des médecins était monnaie courante. D’où l’apparition d’un secteur privé où les gens devaient payer pour des services auxquels, auparavant, ils avaient droit sans contrepartie. Pour reprendre le commentaire de cette Égyptienne, « soit vous allez dans un dispensaire privé au risque d’y laisser tout votre argent, soit vous allez dans un dispensaire public, au risque d’y laisser votre vie ».
Parallèlement à ces accrocs au contrat social, les citoyens commençaient à être de moins en moins satisfaits de leurs dirigeants, même lorsque tous les autres indicateurs économiques semblaient prometteurs. Le ressentiment a grandi au point de s’exprimer dans des manifestations massives et, dans quatre pays, d’entraîner la destitution de l’autocrate en place.
C’est en comprenant bien ces paradoxes du Printemps arabe que nous parviendrons à trouver la solution : de toute évidence, la région a besoin d’un nouveau contrat social ; elle doit adopter une politique en matière de concurrence (qui uniformise les règles) ; elle doit substituer aux subventions des transferts monétaires ciblés qui permettent aux citoyens pauvres de décider de leurs choix de consommation ; et elle doit rationaliser la fonction publique afin que celle-ci remplisse les fonctions incombant à tout gouvernement, au lieu de se contenter d’être un employeur en premier et en dernier ressort.
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