Publié sur Voix Arabes

Qui bénéficie de la hausse du salaire minimum dans le secteur public égyptien ?

Ce billet a été publié dans  Mada Masr (a)

 Mohamed KheidrL’article récent publié dans Mada Masr (a) sur les « insuffisances » du nouveau salaire minimum dans le secteur public égyptien pointe du doigt une vérité — celle que l’augmentation exacerbera les inégalités — tout en avançant une explication inexacte — celle que le nouveau salaire minimum « n’est pas appliqué au plan national ou dans tous les secteurs ». Or, près des trois quarts des travailleurs égyptiens sont de petits exploitants agricoles, travaillent à leur compte ou dans le secteur informel : autant de personnes qui seront privées de la hausse du salaire minimum, qu’elle soit restreinte au secteur public ou non. Près de 41 % des travailleurs du secteur informel ont un revenu inférieur à l’ancien salaire minimum de 700 livres égyptiennes, une proportion qui monte à 75 % si l’on considère le nouveau salaire minimum de 1 200 livres égyptiennes. Le gouvernement s’est ainsi borné à augmenter les salaires de ceux qui gagnent déjà plus que la moitié ou presque de la population active.
 
La fonction publique est également mieux payée que le secteur privé formel. L’agence égyptienne de la statistique estime que le salaire moyen est de 2 600 livres égyptiennes dans le secteur public, contre 1 600 livres égyptiennes dans le secteur privé formel. D’autres estimations, recourant à des instruments de mesure différents, indiquent toutes une « prime au fonctionnariat ». Outre une plus grande sécurité de l’emploi et des avantages plus nombreux, les fonctionnaires sont plus susceptibles de compter une deuxième source de revenus dans leur foyer.
 
En outre, du point de vue de la « justice sociale », cette hausse aura pour effet d’exercer une pression sur le secteur privé formel et de développer le secteur informel. Le secteur privé formel et le secteur public puisent dans le même bassin de travailleurs. Même limitée au secteur public, une hausse du salaire minimum contraindra le secteur privé à proposer des salaires plus élevés pour attirer des travailleurs, ce qui entravera davantage la compétitivité de l’Égypte sur les marchés internationaux. Le secteur privé continuera ainsi de basculer dans l’économie informelle, comme en 2003, lorsque l’Égypte avait gelé les embauches dans le secteur public.
 
Enfin, si la hausse du salaire minimum est étendue au secteur privé, on assistera à des destructions d’emplois dans le secteur formel. Les grands groupes qui réalisent d’importantes marges de profit et proposent des salaires avoisinant le nouveau salaire minimum pourront absorber cette hausse sans réduire leurs effectifs. Cependant, 95 % des entreprises égyptiennes emploient moins de 10 travailleurs, dont la plupart perçoivent un salaire très inférieur à 1 200 livres égyptiennes. Imaginons que les entrepreneurs décident d’aligner les salaires de ceux qui gagnent 900 livres égyptiennes ou plus sur le nouveau salaire minimum et remercient ceux dont le revenu est inférieur à 900 livres égyptiennes (contribuant ainsi à la détérioration du secteur formel), au motif que l’augmentation coûte trop cher à l’entreprise. Si l’on considère ensuite la répartition des salaires au sein d’une entreprise de 100 employés, près de 20 salariés verraient ainsi leur salaire augmenter en moyenne de 177 livres égyptiennes par mois, alors que 38 de leurs collègues perdraient leur emploi formel (soit une augmentation pour deux licenciements ou presque).
 
Au lieu d’accroître le salaire minimum, le gouvernement pourrait envisager d’autres dispositifs éprouvés qui profitent aux travailleurs, notamment pauvres. Le financement par l’État de programmes de développement de la communauté et de prestations de service peut créer de l’emploi, notamment pour les jeunes de milieu urbain, à l’exemple de ce qui s’est fait dans les pays développés, comme aux États-Unis ou au Canada.
 
Dans les zones rurales, les projets de travaux publics choisis par la communauté, à l’instar du Programme national de garantie d’emploi en milieu rural de l’État indien, sont largement porteurs d’emploi pour les jeunes peu qualifiés de zones défavorisées. D’ailleurs, la Banque mondiale et d’autres partenaires de développement soutiennent de telles initiatives, par le biais du Fonds social pour le développement et de certaines ONG qui donnent à de jeunes demandeurs d’emploi, notamment en Haute-Égypte, la possibilité de travailler plusieurs mois par an. Devant l’importance du secteur informel, des programmes qui proposeraient des formations professionnelles aux travailleurs indépendants ou aux micro-entreprises bénéficieraient à une grande partie des actifs, de la même manière qu’ils ont profité au Pérou et à l’Amérique centrale.
 
Dans le secteur formel, une subvention salariale temporaire et ciblée (en vérifiant si celle-ci conduit réellement à des créations nettes d’emplois) est préférable à une hausse du salaire minimum, même si ces programmes peuvent également être assez onéreux. Enfin, un programme gouvernemental qui permettrait une meilleure adéquation entre main-d’œuvre et emploi servirait à pourvoir les quelque 600 000 postes vacants en Égypte et à satisfaire les demandeurs d’emploi relativement éduqués.

Auteurs

Shanta Devarajan

Teaching Professor of the Practice Chair, International Development Concentration, Georgetown University

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