Ces dernières années, les graves perturbations de l'enseignement public au Liban (a) ont révélé le besoin de réformes pour améliorer l’utilisation des ressources allouées à ce secteur. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEHE) s’est engagé dans ce sens en lançant, en juin 2023, une feuille de route pour la réforme de l’éducation à l’horizon 2025. Cette dernière comprend trois volets : réformes fondamentales de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’inclusion, réformes de la gouvernance et du fonctionnement, et réformes clés pour améliorer l’efficacité et réduire les coûts.
Dans le cadre du volet consacré à l’efficacité et aux économies, le MEHE et la Banque mondiale ont mené conjointement une analyse de l’utilisation des ressources enseignantes dans le secteur de l’éducation publique (a). Cette étude repose sur les données disponibles dans le système de gestion de l’information scolaire (SIMS) du ministère pour l’année scolaire 2022-23, qui couvrent uniquement la première rotation de classe, destinée principalement aux enfants libanais. Elle révèle que le ratio élèves-enseignant au Liban est inférieur aux moyennes de l’OCDE, en particulier dans le secondaire. À l’échelle nationale, il est de 13 pour 1 dans le primaire et de 6 pour 1 dans le secondaire, alors que les moyennes de l’OCDE sont, respectivement pour les cycles primaires et secondaires, de 15 pour 1 et 13 pour 1 (a).
Le Liban a toujours eu de faibles ratios élèves-enseignant. Bien qu’un rapport peu élevé (indiquant moins d’élèves par enseignant) soit généralement considéré comme plus bénéfique pour l’apprentissage, les données corrélant ratios plus faibles et performances des élèves sont peu convaincantes (a). En outre, ce taux a un impact significatif sur les budgets du secteur de l’éducation du fait des coûts salariaux des enseignants. Par conséquent, tout bénéfice potentiel de politiques conduisant à une réduction du nombre d'élèves par enseignant doit être mis en balance avec son coût et avec les avantages d’autres investissements dans le domaine de l’éducation. Or, au Liban, la faiblesse des ratios ne s’est pas traduite par des résultats d’apprentissage satisfaisants pour les élèves (a).
Le faible nombre d’élèves par enseignant semble s’expliquer par quatre grands facteurs :
1. Alors que les réglementations spécifient le nombre d’heures d’enseignement par semaine (le nisab), il a été constaté que les enseignants fonctionnaires utilisent souvent ce temps pour effectuer d’autres tâches. Cela accroît fortement la demande d’enseignants, puisqu’il faut en recruter davantage pour compenser les heures de nisab non consacrées à l’enseignement.
2. L’effectif comprend un nombre important d’enseignants contractuels qui n’effectuent qu’un petit nombre d’heures de classe par semaine. C’est particulièrement le cas dans le secondaire, où 50 % des enseignants non titulaires sont recrutés pour enseigner 7 heures par semaine ou moins.
3. La taille des classes est, elle aussi, inférieure aux moyennes de l’OCDE. Toutefois, cette moyenne basse est due à la forte prédominance des écoles de petite taille plutôt qu’à un manque d’application des politiques existantes en matière de dimensionnement des classes.
4. L’existence de deux filières linguistiques (anglais et français), les exigences en matière de spécialisation des enseignants et les cursus spécialisés pour les élèves du secondaire contribuent également à la forte demande d’enseignants.
Compte tenu du réseau existant d’écoles publiques, des programmes actuels et de la spécialisation des enseignants, il semble possible de redimensionner l’effectif du personnel enseignant, c’est-à-dire de l’adapter aux besoins, aux ressources et aux objectifs du système éducatif.
Notre rapport recommande de prendre les mesures suivantes :
1. Accroître la productivité des enseignants actuels et futurs en appliquant le nisab et en spécifiant les heures d’enseignement pour les titulaires, et en augmentant le nombre moyen d’heures assurées par les contractuels ;
2. Mettre en œuvre des processus améliorés de planification et d’affectation, de sorte que les enseignants actuels soient utilisés au maximum de leurs capacités avant de recruter des personnels supplémentaires ;
3. Appliquer des critères de recrutement objectifs, afin que tous les enseignants qui quittent la profession ne soient pas systématiquement remplacés et que tout nouvel enseignant embauché comble des lacunes, que ce soit au sein d’une région, d’un cycle ou d’une matière donnée.
Ces actions permettraient au MEHE de capitaliser sur l’attrition naturelle des enseignants (en raison des départs à la retraite et des enseignants qui quittent la profession), ce qui faciliterait la rationalisation des effectifs du secteur de l’éducation publique sans avoir à réduire le nombre des enseignants en poste.
Sur la base des données du SIMS disponibles, on estime qu’en appliquant les recommandations ci-dessus, le MEHE économiserait jusqu’à 29 millions de dollars par an, compte tenu des taux de rémunération de 2023. Cela équivaut à près d’un dixième du budget total du MEHE en 2023, y compris l’avance de trésorerie de 150 millions de dollars. En outre, notre analyse a mis en lumière la nécessité d’optimiser le nombre d’écoles dans le système public, ce qui pourrait permettre au secteur de réaliser des économies encore plus importantes (voir, par exemple, l’optimisation du réseau d’écoles en Thaïlande [a]).
Même si de telles économies sont conséquentes, en particulier dans le contexte de la crise macroéconomique qui sévit au Liban, elles ne constituent pas une fin en soi. Au contraire, le redimensionnement de l’effectif enseignant permettrait au MEHE de dégager des moyens pour investir dans la qualité de la prestation des services éducatifs, et d’orienter les moyens disponibles sur un plus petit nombre de membres du personnel plus productifs.
En mettant en œuvre les mesures recommandées dans notre rapport (a), le Liban a la possibilité de créer un système éducatif plus durable et plus efficace pour le plus grand bien de ses élèves et de ses enseignants, de protéger le capital humain du pays et de contribuer au redressement de l’économie libanaise (a).
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