Publié sur Voix Arabes

Pourquoi une femme est-elle obligée d’abandonner sa maison ?

 Sarah Al Bayya l World BankJe reviens tout juste d’une mission en Palestine. Lors de mon séjour, j’ai rencontré Fatima, une femme mariée et comblée jusqu’à l’été dernier, où elle a tout perdu.

Elle habitait jusqu’alors avec son mari et son beau-fils dans la ville de Gaza. Les deux époux ont un emploi décent ; au regard des critères locaux, leur foyer appartient à la classe moyenne. Leur garçon de 11 ans adore le football et la musique. Il y a quelques années, le couple a acheté un appartement dans un bon quartier de Gaza. Le bien n’est déclaré qu’au nom du mari, comme il est d’usage à Gaza et dans presque tout le Moyen-Orient. Mais leur mariage est solide, et Fatima se sent en sécurité.

Tout bascule lors de l’offensive israélienne contre Gaza, à l’été 2014. Un tir de roquette atteint leur appartement, tuant son mari. Son beau-fils et elle en réchappent miraculeusement. Tous les médias, y compris israéliens, rapportent que cette attaque résulte d’une erreur : son époux n’était pas la cible visée. Le pourquoi du comment importe peu. Ce qui compte, c’est que le mari de Fatima est mort.

La guerre prend fin, et vient le moment de procéder à la répartition de la succession. Parce que le nom de Fatima ne figure pas sur le titre de propriété de l’appartement, et parce qu’aucun enfant n’est né de l’union avec son mari, elle ne peut pas recevoir ce bien en héritage. Elle doit non seulement quitter les lieux mais aussi abandonner à un oncle la garde de son beau-fils, qu’elle a pourtant élevé des années durant. Fatima a perdu tout ce qui lui était cher.

Si le droit prévoit généralement d’inclure le nom des deux conjoints sur un titre de propriété d’un bien foncier ou immobilier, en Palestine et dans de nombreux autres pays, les hommes refusent traditionnellement de faire apparaître le nom de leurs épouses sur les actes officiels, alors même que celles-ci travaillent tout autant pour financer cet investissement. Fatima a subi le sort de milliers d’autres femmes dans le monde, au décès de leur mari ou à la suite d’un divorce.

Certains pays ont cependant réalisé des progrès pour remédier à cet état de fait. Au Vietnam, par exemple, le nom des deux époux figure désormais sur le titre de propriété. Les autorités vietnamiennes ont repensé le formulaire de l’acte pour ménager un espace suffisant qui puisse contenir les deux noms. Le Laos et le Cambodge ont suivi cet exemple. Au Laos, dans le cadre d’un projet d’immatriculation foncière appuyé par la Banque mondiale, le gouvernement a décidé d’intégrer l’Union des femmes laotiennes dans l’équipe responsable des attributions afin d’expliquer aux femmes leurs droits lors de l’enregistrement au cadastre.

Aujourd’hui, toute propriété acquise par un couple marié est déclarée au nom des deux conjoints, et les femmes sont plus nombreuses que les hommes à détenir un titre en leur nom propre. Dans d’autres pays, les droits des femmes sont garantis par le droit de la famille, et les biens matrimoniaux sont divisés à parts égales, même si le nom de l’épouse ne figure pas sur l’acte.

Lors des consultations menées par la Banque mondiale en vue de l’élaboration de sa nouvelle stratégie en matière d’égalité des sexes, la question de l’accès à la propriété foncière et immobilière est apparue comme l’un des principaux freins à l’avancement de la condition économique des femmes. L’évaluation de l’incidence de certains projets portant sur l’enregistrement de biens fonciers au cadastre a, en fait, révélé que les femmes sont plus susceptibles d’utiliser leur titre de propriété pour solliciter un emprunt destiné au lancement d’une nouvelle activité professionnelle ou à l’agrandissement d’une entreprise existante. Le droit à la propriété ne fait donc pas que protéger les femmes en cas de décès du conjoint ou de divorce : il a aussi d’autres répercussions sur le plan économique, au bénéfice des femmes, de leur famille et des personnes qu’elles pourraient employer si elles géraient leur propre entreprise.

La question, aujourd’hui, est de savoir comment expliquer à des femmes comme Fatima que leur nom doit à tout prix figurer sur le titre de propriété d’un bien foncier ou immobilier. Pour y parvenir, il faudra peut-être commencer par sensibiliser les hommes et leur faire comprendre, qu’en cas de malheur, leur épouse et leur famille risquent d’être expropriées.

Auteurs

Wael Zakout

Expert mondial, Politique foncière et géomatique

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