Récemment, mon collègue et ami Naif présentait les principales conclusions de la Conférence du dialogue national qui s’est tenue au Yémen. Cet expert d’habitude si calme couvrait avec une certaine frénésie le tableau de conférence de schémas. Pourquoi ? Parce que ce dialogue, clé de voûte du processus de restructuration de l’État yéménite qui a rassemblé les composantes les plus hétérogènes de la population du pays (les Houthis au Nord-Ouest, les Hadhramis à l’Est et les Hirak au Sud), a débouché sur l’adoption de principes directeurs visant à garantir les droits et les libertés fondamentaux, desserrer l’étau de l’État central, endiguer la corruption et émanciper les femmes et les jeunes. Qui plus est et malgré de multiples réticences, la conférence est parvenue à valider une nouvelle structure fédérale reposant sur trois niveaux de gouvernement et six régions, dans le but de répondre aux demandes d’autonomie régionale accrue et de permettre aux aspirations locales de s’exprimer. Toutes ces décisions seront inscrites dans une nouvelle Constitution, censée fixer le cap de ce nouvel État.
Mais les Yéménites ne sont pas au bout de leurs peines... La question du partage des ressources naturelles dans la nouvelle configuration fédérale du pays promet de susciter encore de nombreux débats — entre le gaz et le pétrole de l’Hadramaout, une région peu peuplée, les ressources minières de l’Azal et les ressources marines et halieutiques des régions d’Aden, Janad et Tahama, dans un pays où les réserves en eau sont rares (le Yémen ne dispose que d’environ 125 m 3 d’eau douce par personne et par an, quand la norme mondiale se situe autour de 1 000 m 3).
Mais a-t-on jamais vu coïncider les frontières politiques et hydrologiques ? Rarement. La nouvelle Constitution devra donc prévoir des dispositions relatives à la réglementation et la gestion des cours d’eau transrégionaux et aux modalités de répartition d’une ressource disputée. Dans certains pays, les ressources en eau relèvent de la compétence exclusive de l’État fédéral ou d’une compétence résiduelle qui octroie à ce dernier la fonction principale. Dans d’autres, ces responsabilités sont partagées entre plusieurs échelons de gouvernement, qui doivent donc se mettre d’accord ; enfin, d’autres pays se sont dotés de commissions de l’eau indépendantes.
Il va par ailleurs s’agir de garantir l’approvisionnement en eau des villes et des villages et une utilisation judicieuse de cette ressource par les agriculteurs. Pendant longtemps, les communautés isolées du Yémen ont géré elles-mêmes leur eau. Les futures dispositions de cogestion devront les mettre en relation avec les administrations locales afin de garantir une allocation et une utilisation viables des ressources et de responsabiliser les prestataires de ces services.
Autre casse-tête à venir, celui des industries minières, du fait de l’extrême volatilité des cours des matières premières mais aussi des enjeux économiques et technologiques complexes liés à l’extraction de ces ressources épuisables. Les sites sont souvent concentrés dans des régions peu peuplées et soumises à la juridiction d’un petit nombre d’entités infranationales. Et quid des revenus — une autre question épineuse — entre rentrées fiscales, redevances et bénéfices pétroliers ? Sans oublier les aspects environnementaux, l’extraction des hydrocarbures allant souvent de pair avec des externalités écologiques et sociales négatives.
Comment le pays va-t-il organiser la gestion de sa rente pétrolière et gazière, essentielle pour son économie ? Quel niveau de gouvernement sera chargé de collecter et gérer les recettes ? Celles-ci seront-elles équitablement partagées entre toutes les provinces ou bien faudra-t-il prévoir une compensation spécifique pour les régions productrices ? Comment garantir la transparence et la responsabilité des dispositions de partage des recettes ? Comment utiliser les bénéfices retirés de l’exploitation du gaz et du pétrole au profit du bien public ?
Le Yémen n’est pas le seul pays confronté à ce type de dilemme. Le Brésil, les Émirats arabes unis, l’Indonésie, le Nigéria ou encore la Russie ont dû trouver des solutions. Dans la plupart des cas, surtout s’il s’agit de fédérations, il existe une certaine concurrence entre les différents niveaux de gouvernement, qui s’appuient sur des dispositions institutionnelles et de suivi distinctes.
L’attribution des responsabilités en matière de dépenses et la répartition des recettes vont elles aussi soulever des problèmes. Certains secteurs (l’éducation) suscitent des passions quand d’autres (les transports) relèvent plutôt de considérations techniques, économiques et matérielles. La grande difficulté consistera à s’assurer que les nouveaux accords de prestation de services sont efficaces et, plus généralement, que le gouvernement est représentatif, réactif et redevable vis-à-vis des citoyens. Pour un pays où les autorités centrales avaient la mainmise sur la plupart des dépenses et des recettes publiques, sans pour autant assurer un minimum de services aux populations, l’enjeu sera de taille.
Au vu du passé du Yémen, la décentralisation pourra-t-elle s’arrêter à l’échelon des gouvernorats, dont l’incurie est avérée, ou bien faudra-t-il reconnaître et renforcer les gouvernements de district ? Les collectivités locales sont un échelon vital, pour quatre grandes raisons : proches des citoyens, elles peuvent être plus facilement tenues comptables de leurs résultats ; par ailleurs, elles connaissent mieux les attentes de leurs administrés quant aux types et niveaux de services exigés ; de plus, elles peuvent contribuer à l’émergence d’une classe politique du cru dont certains membres, à terme, grimperont les échelons ; enfin, dans des pays touchés par des conflits, elles peuvent servir d’espaces privilégiés pour résoudre les litiges et rebondir après une crise. On a pu l’observer au Népal, au Cambodge ou, plus récemment, en Jordanie.
Toute la question est de savoir si le Yémen peut effectivement supporter quatre échelons de gouvernement… Décentraliser exige de pouvoir déployer des ingénieurs, des médecins et des enseignants dans les territoires les plus isolés, pour assurer la continuité des services. Que deviendront les ministères centraux actuels, aux effectifs pléthoriques ? Ce personnel pourra-t-il être affecté dans des organes infranationaux moins bien lotis ? En Asie de l’Est par exemple, la part des employés dans des structures infranationales va de 19 % en Thaïlande à 90 % en Chine. L’Indonésie et la Philippines ont transféré, avec un succès mitigé, un nombre important d’employés des ministères centraux dans les régions. La question soulèvera forcément des difficultés au Yémen. Enfin, la constitution d’un corps de fonctionnaires infranationaux capable prend du temps et de l’argent et exige un engagement durable. Ce tout jeune État aura-t-il les moyens de cette ambition ?
Ces problèmes, sur fond d’aggravation de l’environnement politique et sécuritaire, de contraintes macrobudgétaires graves ou encore de pénuries de carburant, mettent la patience des Yéménites à rude épreuve.
Début juin, une équipe restreinte de la Banque mondiale était invitée à présenter aux 17 membres du Comité de rédaction de la Constitution l’expérience de l’institution en la matière. Cette rencontre, organisée par la coopération allemande, s’est tenue à Berlin, une ville qui a eu son lot de bouleversements historiques… Ce fut l’occasion de ressentir directement l’intensité des problèmes, individuels et collectifs, auxquels les Yéménites sont confrontés au moment de jeter les bases constitutionnelles de leur nouvel État. Si nous leur avons communiqué tout ce que nous savons sur le fédéralisme budgétaire, le partage des ressources, la décentralisation et la prestation de services, nous ne leur avons pas imposé une solution idéale pour le Yémen. Cette responsabilité historique leur incombe.
Mais les Yéménites ne sont pas au bout de leurs peines... La question du partage des ressources naturelles dans la nouvelle configuration fédérale du pays promet de susciter encore de nombreux débats — entre le gaz et le pétrole de l’Hadramaout, une région peu peuplée, les ressources minières de l’Azal et les ressources marines et halieutiques des régions d’Aden, Janad et Tahama, dans un pays où les réserves en eau sont rares (le Yémen ne dispose que d’environ 125 m 3 d’eau douce par personne et par an, quand la norme mondiale se situe autour de 1 000 m 3).
Mais a-t-on jamais vu coïncider les frontières politiques et hydrologiques ? Rarement. La nouvelle Constitution devra donc prévoir des dispositions relatives à la réglementation et la gestion des cours d’eau transrégionaux et aux modalités de répartition d’une ressource disputée. Dans certains pays, les ressources en eau relèvent de la compétence exclusive de l’État fédéral ou d’une compétence résiduelle qui octroie à ce dernier la fonction principale. Dans d’autres, ces responsabilités sont partagées entre plusieurs échelons de gouvernement, qui doivent donc se mettre d’accord ; enfin, d’autres pays se sont dotés de commissions de l’eau indépendantes.
Il va par ailleurs s’agir de garantir l’approvisionnement en eau des villes et des villages et une utilisation judicieuse de cette ressource par les agriculteurs. Pendant longtemps, les communautés isolées du Yémen ont géré elles-mêmes leur eau. Les futures dispositions de cogestion devront les mettre en relation avec les administrations locales afin de garantir une allocation et une utilisation viables des ressources et de responsabiliser les prestataires de ces services.
Autre casse-tête à venir, celui des industries minières, du fait de l’extrême volatilité des cours des matières premières mais aussi des enjeux économiques et technologiques complexes liés à l’extraction de ces ressources épuisables. Les sites sont souvent concentrés dans des régions peu peuplées et soumises à la juridiction d’un petit nombre d’entités infranationales. Et quid des revenus — une autre question épineuse — entre rentrées fiscales, redevances et bénéfices pétroliers ? Sans oublier les aspects environnementaux, l’extraction des hydrocarbures allant souvent de pair avec des externalités écologiques et sociales négatives.
Comment le pays va-t-il organiser la gestion de sa rente pétrolière et gazière, essentielle pour son économie ? Quel niveau de gouvernement sera chargé de collecter et gérer les recettes ? Celles-ci seront-elles équitablement partagées entre toutes les provinces ou bien faudra-t-il prévoir une compensation spécifique pour les régions productrices ? Comment garantir la transparence et la responsabilité des dispositions de partage des recettes ? Comment utiliser les bénéfices retirés de l’exploitation du gaz et du pétrole au profit du bien public ?
Le Yémen n’est pas le seul pays confronté à ce type de dilemme. Le Brésil, les Émirats arabes unis, l’Indonésie, le Nigéria ou encore la Russie ont dû trouver des solutions. Dans la plupart des cas, surtout s’il s’agit de fédérations, il existe une certaine concurrence entre les différents niveaux de gouvernement, qui s’appuient sur des dispositions institutionnelles et de suivi distinctes.
L’attribution des responsabilités en matière de dépenses et la répartition des recettes vont elles aussi soulever des problèmes. Certains secteurs (l’éducation) suscitent des passions quand d’autres (les transports) relèvent plutôt de considérations techniques, économiques et matérielles. La grande difficulté consistera à s’assurer que les nouveaux accords de prestation de services sont efficaces et, plus généralement, que le gouvernement est représentatif, réactif et redevable vis-à-vis des citoyens. Pour un pays où les autorités centrales avaient la mainmise sur la plupart des dépenses et des recettes publiques, sans pour autant assurer un minimum de services aux populations, l’enjeu sera de taille.
Au vu du passé du Yémen, la décentralisation pourra-t-elle s’arrêter à l’échelon des gouvernorats, dont l’incurie est avérée, ou bien faudra-t-il reconnaître et renforcer les gouvernements de district ? Les collectivités locales sont un échelon vital, pour quatre grandes raisons : proches des citoyens, elles peuvent être plus facilement tenues comptables de leurs résultats ; par ailleurs, elles connaissent mieux les attentes de leurs administrés quant aux types et niveaux de services exigés ; de plus, elles peuvent contribuer à l’émergence d’une classe politique du cru dont certains membres, à terme, grimperont les échelons ; enfin, dans des pays touchés par des conflits, elles peuvent servir d’espaces privilégiés pour résoudre les litiges et rebondir après une crise. On a pu l’observer au Népal, au Cambodge ou, plus récemment, en Jordanie.
Toute la question est de savoir si le Yémen peut effectivement supporter quatre échelons de gouvernement… Décentraliser exige de pouvoir déployer des ingénieurs, des médecins et des enseignants dans les territoires les plus isolés, pour assurer la continuité des services. Que deviendront les ministères centraux actuels, aux effectifs pléthoriques ? Ce personnel pourra-t-il être affecté dans des organes infranationaux moins bien lotis ? En Asie de l’Est par exemple, la part des employés dans des structures infranationales va de 19 % en Thaïlande à 90 % en Chine. L’Indonésie et la Philippines ont transféré, avec un succès mitigé, un nombre important d’employés des ministères centraux dans les régions. La question soulèvera forcément des difficultés au Yémen. Enfin, la constitution d’un corps de fonctionnaires infranationaux capable prend du temps et de l’argent et exige un engagement durable. Ce tout jeune État aura-t-il les moyens de cette ambition ?
Ces problèmes, sur fond d’aggravation de l’environnement politique et sécuritaire, de contraintes macrobudgétaires graves ou encore de pénuries de carburant, mettent la patience des Yéménites à rude épreuve.
Début juin, une équipe restreinte de la Banque mondiale était invitée à présenter aux 17 membres du Comité de rédaction de la Constitution l’expérience de l’institution en la matière. Cette rencontre, organisée par la coopération allemande, s’est tenue à Berlin, une ville qui a eu son lot de bouleversements historiques… Ce fut l’occasion de ressentir directement l’intensité des problèmes, individuels et collectifs, auxquels les Yéménites sont confrontés au moment de jeter les bases constitutionnelles de leur nouvel État. Si nous leur avons communiqué tout ce que nous savons sur le fédéralisme budgétaire, le partage des ressources, la décentralisation et la prestation de services, nous ne leur avons pas imposé une solution idéale pour le Yémen. Cette responsabilité historique leur incombe.
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