Publié sur Voix Arabes

En Tunisie, des jeunes entrepreneurs s’efforcent de faire évoluer le rapport au travail

Young entrepreneurs - Courtesy of Christine Petre« Un entrepreneur, ça n’a pas de weekends », nous déclare tout sourire Hamdy Ben Salah, 24 ans. En ce samedi matin, le soleil brille mais il est chez lui, au travail, avec deux de ses cinq collègues, Elyes Labidi et Boulabiar Marwen, les yeux rivés sur leurs écrans d’ordinateur. La petite pièce où ils sont installés est un ancien débarras. Après un petit coup de peinture et l’ajout de quelques meubles, c’est désormais le siège d’ AlphaLab.
 
Ce sont eux, ces jeunes entrepreneurs, qui veulent changer la scène technologique tunisienne, en proposant des solutions numériques aux problèmes locaux. Cette équipe de freelances, qui a créé six nouvelles applications ces 12 derniers mois, constitue désormais une entreprise à part entière : son statut a été officialisé la veille de notre rencontre ! Son but ? Inventer des solutions mobiles pour aider les citoyens à résoudre les problèmes du quotidien.
 
Nous sommes à Soliman, une cité industrielle de 30 000 habitants environ, située au sud-est de Tunis. Hamdy Ben Salah me fait visiter sa ville natale et me raconte comment son équipe et lui ont refusé des propositions pour s’installer dans la capitale, à une heure de là : « Même si nous nous développons, nous garderons toujours un bureau ici, à Soliman », affirme-t-il avec conviction. Pour lui, c’est important de prouver que la vocation d’un entrepreneur, ce n’est pas uniquement de faire de l’argent ou d’avoir une adresse à Tunis.
 
Au quotidien, les Tunisiens n’utilisent pas encore vraiment les solutions technologiques, mais l’équipe d’AlphaLab est convaincue que c’est simplement un problème d’offre : « Nous aimerions faire de Soliman un laboratoire de technologie, qui deviendrait un modèle pour le reste du pays », poursuit le jeune homme.
 
L’équipe ne manque pas d’idées, comme cette appli pour faire ses courses. À Soliman, des tas de gens se rendent tous les jours chez leur épicier. En imaginant une appli qui mettrait en avant les promotions, AlphaLab les aideraient à gagner du temps et de l’argent.
 
« Nous voulons proposer des solutions qui facilitent la vie quotidienne », renchérit Boulabiar Marwen, 22 ans, lui aussi originaire de la ville. L’idée est de commencer petit avant d’essaimer dans le reste de la Tunisie.
 
​​​​Young entrepreneurs - Courtesy of Christine PetreLes jeunes gens voudraient aussi moderniser et optimiser l’activité dans le bassin industriel de Soliman. Mais nos jeunes « geeks » ont un peu de mal à convaincre les travailleurs du secteur, plus âgés et instinctivement hostiles aux applications mobiles. Hamdy Ben Salah le sait : les choses vont prendre du temps. Petit à petit, les entreprises commencent à entendre les arguments de l’équipe. « Nous devons leur prouver qu’ils ont besoin de nous », conclut-il.
 
La vie d’un entrepreneur tunisien n’est pas toujours un long fleuve tranquille ... Rien que les démarches d’immatriculation peuvent décourager les meilleures volontés : Hamdy Ben Salah estime qu’il leur aura fallu 15 jours pour franchir toutes les étapes (cinq au total), avec les innombrables documents à fournir et à remplir. Il me montre le dossier contenant tous les documents à présenter. « Le pire est derrière nous », plaisante-t-il… Mais il n’y a pas que la paperasse à gérer : il faut aussi se rendre à Tunis pour des rendez-vous incontournables. Quand vous habitez loin, ça peut devenir difficile. Résultat, « beaucoup abandonnent en cours de route ».
 
En plus des difficultés d’enregistrement, l’équipe s’est heurtée aux restrictions concernant les systèmes de paiement électronique, qui suscitent un vif débat dans le pays. À l’heure actuelle, les services internationaux de type PayPal sont interdits en Tunisie , ce qui empêche les entrepreneurs locaux de toucher des clients au-delà des frontières. Sans compter que le dinar tunisien est une monnaie non convertible : elle n’a pas cours à l’extérieur du pays et les Tunisiens n’ont droit qu’à un montant limité d’achat de devises par an.
 
Cinq ans après la révolution politique, le gouvernement a pris conscience des difficultés économiques du pays, dont le manque d’investissements étrangers et le niveau de chômage. De nombreux Tunisiens appellent à une deuxième révolution, économique cette fois-ci , pour ouvrir le champ des possibles et soutenir notamment la création d’entreprises dans le but de créer des emplois.
Hamdy Ben Salah
Selon Hamdy Ben Salah, « les jeunes ne
sont pas prêts à prendre des risques ou
n’en ont pas l’habitude. »

Hamdy Ben Salah fait partie de ceux qui se battent pour faire de son pays un pôle entrepreneurial  ce qui passe, d’après lui, par une coopération accrue entre entreprises locales, sur la base de leurs complémentarités : « Leur réussite sera aussi bénéfique pour nous », plaide-t-il.
 
Mais rares sont les jeunes Tunisiens à envisager de créer leur propre entreprise . Beaucoup préfèrent emprunter une route plus conventionnelle pour trouver un emploi. « Les jeunes ne sont pas prêts à prendre des risques ou n’en ont pas l’habitude. L’initiative ne fait pas partie des mentalités », conclut le jeune homme.
 
En Tunisie, un ingénieur peut gagner jusqu’à 570 dollars par mois , ce qui constitue un salaire acceptable, explique Elyes Labidi du haut de ses 19 ans, mais pour quelle carrière ? C’est tout le problème. Parallèlement à son cursus à l’Institut supérieur d'informatique Ariana, Elyes Labidi travaille avec Hamdy Ben Salah : « j’ai toujours voulu devenir ingénieur », explique-t-il, même s’il se voit travailler encore longtemps pour AlphaLab.
 
« Un salarié, ce n’est jamais qu’un outil », analyse Hamdy Ben Salah, qui estime qu’en Tunisie, les critères de réussite — basés sur un emploi stable, à plein temps, huit heures par jour — sont obsolètes. « Les gens suivent le mouvement, ils ne prennent pas d’initiatives », déplore-t-il.
 
Pourtant, c’est en travaillant dur que l’on peut faire bouger les choses : « Je fonctionne à la motivation ». Dès qu’il le peut, il prend la parole lors de manifestations publiques, pour inciter les gens à bouger. Et lui, comment il se motive ? Quand il a besoin d’un coup de fouet, ce n’est pas vers une tasse de café qu’il se tourne, mais plutôt vers Marc Zuckerberg ou Steve Jobs, dont il apprécie le discours. Ça ne coûte rien. Et d’ailleurs, « ce n’est pas l’argent qui m’intéresse, mais le défi ».

Auteurs

Christine Petré

Rédactrice en chef du site web "Your Middle East"

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