Jean, chrétien catholique, Graziella, chrétienne orthodoxe, Ali, musulman chiite, Roukaya, musulmane sunnite, et Ashraf, druze, se sont rencontrés pour la première fois le jour où ils se sont engagés à travailler ensemble sur un projet communautaire. Ce projet figurait parmi les 22 initiatives financées au titre de la première phase du Programme national de volontariat du Liban, en 2015, qui ont bénéficié à quelque 1 300 jeunes dans tout le pays.
Mis en œuvre par des ONG locales, ces projets concernaient des campagnes de sensibilisation à la santé ou à la gestion des déchets solides, la prise en charge des personnes âgées et des handicapés, le nettoyage et la remise en état des jardins publics, des terrains de foot et des sentiers de randonnée ou encore l’organisation d’activités artistiques et sportives ouvertes à tous, pour ne prendre que quelques exemples.
Rassembler des jeunes autour d’une initiative communautaire, ça semble assez simple, non ?
Pas au Liban ! Avec 18 confessions différentes, le pays n’offre guère d’occasions aux jeunes d'horizons divers d’interagir entre eux. La polarisation du système politique en fonction de l’appartenance religieuse exacerbe les tensions sociales dans tout le pays et ne facilite pas les contacts, déjà limités, avec les « autres ». Au Liban comme dans de nombreux autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, les responsables publics ont cherché à comprendre les causes profondes des tensions sociales pour y remédier, mais sans véritable succès.
La première phase du Programme national de volontariat, déployée entre 2013 et 2016 grâce à un don du Fonds pour la construction de la paix et de l’État (SPF), s’est attelée au problème. Le but était de renforcer la cohésion sociale en mobilisant les jeunes Libanais âgés de 15 à 24 ans. Le programme proposait un certain nombre de projets d’engagement citoyen et des formations relationnelles. L’une de ses grandes originalités tenait au fait qu’au moins 20 % des jeunes gens engagés dans un projet financé dans ce cadre devaient être issus de communautés non concernées par l’opération. Pour les psychologues du développement, en effet, se porter volontaire en dehors de son milieu habituel fait partie des pratiques idéales : le fait de quitter son environnement est une condition préalable indispensable pour renforcer la confiance, le respect et la coopération entre individus de milieux différents.
Une expérience pilote aussi « limitée » peut-elle vraiment contribuer à la construction de sociétés intégratrices, surtout lorsque les tensions sociales sont aussi prégnantes ? Les données recueillies à ce jour prouvent que le programme a eu un impact statistiquement significatif sur la cohésion sociale au Liban. L’évaluation d’impact, la première menée dans le pays et qui vient d’être achevée, montre qu’après une année de participation au programme, les jeunes ont davantage tendance à afficher des valeurs de tolérance et à éprouver un sentiment plus fort d’appartenance à la communauté libanaise.
À ce jour, près de 7 150 jeunes et pratiquement 150 municipalités, ONG, écoles et universités différentes ont participé de manière directe aux activités du programme, dont 3 600 jeunes engagés dans la mise en œuvre de 58 projets de volontariat dans tout le pays.
Avec la crise des réfugiés syriens, les tensions sociales, déjà très prononcées au Liban, ont monté d’un cran. Et l’arrivée de plus de 1,5 million de personnes fuyant leur pays a aggravé la concurrence pour des ressources rares. Conscient de ce phénomène, le SPF a approuvé en 2016 un deuxième don en faveur du Programme national de volontariat, pour conforter les fragiles relations intercommunautaires et apaiser les tensions entre Libanais et réfugiés syriens dans les communautés d’accueil concernées. Cette deuxième phase, qui arrive prochainement à son terme, a elle aussi produit des résultats impressionnants, au point de pousser le gouvernement libanais à solliciter une assistance technique et financière supplémentaire pour en institutionnaliser le principe dans les programmes gouvernementaux.
Cet engagement bénévole de la jeunesse s’est révélé très efficace pour améliorer les rapports intercommunautaires et pourrait parfaitement servir de modèle aux gouvernements du monde entier soucieux de rétablir la confiance et de renouveler leur contrat social. En plus d’accroître la participation et l’expression des jeunes, c’est un moyen d’améliorer les services rendus aux populations locales. En permettant à des jeunes comme Jean, Graziella, Ali, Roukaya et Ashraf de continuer à œuvrer ensemble pour faire émerger un Liban plus solidaire, l’institutionnalisation du Programme national de volontariat aidera le gouvernement libanais à atteindre durablement ces objectifs. D’ailleurs, les jeunes qui ont pris part au programme semblent avoir attrapé le virus du bénévolat — preuve que le programme a des effets durables puisqu’il contribue à instiller une culture du volontariat essentielle pour induire des changements sociaux dans un pays à l’extraordinaire potentiel !
Prenez part au débat