Publié sur Opinions

Les conséquences du conflit russo-ukrainien sur les remises migratoires vers l’Ukraine et l’Asie centrale

Conséquences pour l’Ukraine

Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus d’un million d’Ukrainiens auraient fui leur pays à la date du 3 mars 2022, c’est-à-dire juste sept jours après le commencement de la guerre . Dans les prochains mois, sans doute migreront-ils encore par millions vers la Pologne ou vers d’autres pays européens, ou y chercheront-ils asile. Depuis 2015, on avait assisté à une modification des flux migratoires en provenance de l’Ukraine : autrefois principale destination des migrants ukrainiens, la Russie cédait la place à la Pologne ou d’autres pays d’Europe. D'après les rares données dont on dispose à ce sujet, 2 à 3 millions d’Ukrainiens vivent en Russie, soit 5 à 7 % de leur population d'origine.   

Selon de nouvelles données issues de la Banque nationale d’Ukraine, les remises migratoires vers ce pays ont dépassé 19 milliards de dollars en 2021. Ces transferts de fonds se sont maintenus malgré la crise de la COVID-19. Après une baisse modérée de 3,6 % en 2020, ils sont remontés en 2021 dans une proportion plus élevée que prévu : +28,3 %. Pour cette même année, les remises migratoires ont représenté quelque 12 % du PIB ukrainien, soit près de trois fois le total de l’investissement direct étranger. 

D’après nos estimations, les transferts d'argent des migrants vers l’Ukraine devraient augmenter de 8 % au moins en 2022, voire plus très probablement. La proportion de transferts reçus de Russie diminue régulièrement depuis quelques années : de 27 % en 2015, elle n’était plus que de 5 % en 2021 (voir la note d’information no 17 du KNOMAD [a]). En raison des sanctions imposées à la Russie, dont les systèmes de règlement sont désormais exclus du réseau SWIFT, il faut s'attendre à de fortes perturbations des envois de fonds depuis ce pays. Cependant, cette baisse devrait être plus que compensée par l’augmentation des remises migratoires depuis la Pologne ou d’autres pays. De 2015 à 2021, la part des transferts d'argent en provenance de Pologne est passée de 19 % à 39 %. Les Ukrainiens qui avaient déjà émigré vont probablement expédier des sommes plus importantes pour aider leur famille restée dans leur pays en guerre. En outre, les nouveaux migrants ukrainiens, partis pour l’Europe ou ailleurs, devraient eux aussi envoyer des fonds pour soutenir leurs proches.

Conséquences pour l'Asie centrale

Contrairement à l’Ukraine, de nombreux pays d’Asie centrale dépendent fortement des remises migratoires en provenance de Russie. Au Kirghizistan par exemple, ces transferts ont représenté 83 % du total des envois de fonds des migrants pour les trois premiers trimestres 2021 (tableau 1). Pendant cette même période, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan ont reçu de Russie plus de 50 % de leurs remises migratoires. Pour beaucoup de ces pays, ces transferts d’argent constituent un soutien financier vital. Par exemple, les remises migratoires ont représenté en 2020 31 % et 27 % du PIB du Kirghizistan et du Tadjikistan respectivement, entrées comparables voire supérieures à celles procurées par les exportations de biens et services de ces deux pays.

Il est à prévoir que le conflit aura un effet défavorable sur les envois de fonds destinés à de nombreux pays d’Asie centrale.  Selon une première évaluation des effets d’un amoindrissement de l'activité économique en Russie et d’un affaiblissement du cours du rouble par rapport au dollar, les projections de croissance des remises migratoires en Asie centrale ont été fortement revues à la baisse pour 2022, avec un écart de -25 points de pourcentage en moyenne par rapport aux prévisions initiales (tableau 1). Par exemple, au Kirghizistan, dont 83 % des remises migratoires perçues de janvier à septembre 2021 provenaient de Russie, les transferts d’argent devraient diminuer de 33 %, alors que les prévisions initiales étaient de 3 % d’augmentation. L’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan risquent eux aussi de connaître une forte baisse des fonds envoyés par les migrants en 2022.  


Tableau 1. Conséquences du conflit russo-ukrainien sur les remises migratoires : prévision de hausse vers l’Ukraine et de baisse vers les pays d’Asie centrale

 Tableau 1. Conséquences du conflit russo-ukrainien sur les remises migratoires : prévision de hausse vers l?Ukraine et de baisse vers les pays d?Asie centrale

Sources : Banque de Russie et KNOMAD-Banque mondiale
Notes : * Dans l'hypothèse d'une baisse de 40 % des remises migratoires provenant de Russie. On suppose que les prévisions pour les envois de fonds en provenance d'autres pays restent identiques à celles présentées dans la note d’information n° 35 sur les migrations et le développement (a) (KNOMAD-Banque mondiale, novembre 2021). ** Les données pour la Géorgie proviennent de la Banque nationale de Géorgie. Le montant des remises migratoires de la Russie vers la Géorgie est disponible pour les quatre trimestres de 2021.


L’impact du conflit sur les remises migratoires à destination d’Asie centrale s’exercera à travers deux courroies de transmission. D’une part, le ralentissement de l’activité économique en Russie devrait affecter l’emploi et les revenus des travailleurs émigrés et donc leur capacité à envoyer des fonds. D’autre part, l’affaiblissement du rouble par rapport au dollar devrait réduire la valeur nominale en dollars des envois de fonds effectués en roubles. Au 3 mars 2022, la devise russe avait chuté de près de 25 % par rapport à la devise américaine. Il est à prévoir que le rouble va continuer à baisser en 2022,  malgré la récente et brutale hausse des cours du pétrole. Contrairement à ce que l’on observait auparavant, les cours respectifs du rouble et du pétrole semblent dissociés depuis la fin 2020.

Les sanctions appliquées au système bancaire russe sous la forme d’une exclusion du réseau SWIFT devraient avoir des répercussions directes sur les transferts de fonds effectués via les canaux officiels, dont une partie pourrait se déplacer vers d’autres canaux, indirects et non officiels. Les sanctions, si elles réduisent l’emploi et les revenus des travailleurs migrants en Russie, risquent également d’avoir des effets indirects sur leurs envois de fonds. 

Ces projections à court terme présentent un degré élevé d’incertitude, qui dépend de l’ampleur du conflit militaire en Ukraine et des conséquences effectives des sanctions sur les paiements émis de Russie. 

Vous trouverez plus de détails et de recommandations dans la dernière note d’information du KNOMAD (a).


Auteurs

Dilip Ratha

Économiste principal et conseiller de l’Agence multilatérale de garantie des investissements

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000