Qui sont les jeunes vulnérables ? C’est pour tenter d’apporter des réponses plus satisfaisantes à cette question que nous nous sommes rendues, en 2013, au Libéria (a). Nous voulions donner un visage à des statistiques qui montraient que certains jeunes étaient plus vulnérables que d’autres, notamment les jeunes vivant en milieu rural, les jeunes mères, les anciens combattants, les pauvres et ceux qui n’ont pas assez d’instruction.
Nous avons rencontré Moussa, une jeune femme de 19 ans qui n’est jamais allée à l’école et a déjà trois enfants. Elle aimerait bien les scolariser, mais l’établissement est trop éloigné de son village. Ou Alphanso : ce jeune homme de 25 ans était allé jusqu’en 9 e année avant de tout abandonner pendant la guerre. Pour vivre, il achète et revend des produits au marché noir et lave des voitures. Il gagne de quoi s’en sortir mais redoute de ne pas avoir les moyens de soigner ses quatre enfants s’ils venaient à tomber malades.
Le Libéria n’a rien d’une exception : en Afrique subsaharienne, 89 millions de jeunes non scolarisés et déscolarisés — soit pratiquement la moitié des jeunes que compte le continent — connaissent le même sort. Ce chiffre déjà inquiétant fait écho à une autre statistique alarmante : dans les dix prochaines années, 40 autres millions de jeunes auront abandonné leurs études et se retrouveront confrontés à un avenir incertain, faute de maîtriser les compétences qui leur permettraient d’échapper à la pauvreté.
Alors que les pays d’Asie de l’Est sont parvenus à faire de cette « bulle » démographique un levier de croissance, l’Afrique subsaharienne risque fort d’être confrontée à une catastrophe économique et sociale potentiellement explosive. Des données collectées dans le monde entier prouvent que les initiatives pour remédier au décrochage scolaire et à la déscolarisation doivent être engagées de manière concertée entre les différents ministères concernés et les plus hauts dirigeants de l’État sur la base d’une analyse rigoureuse permettant d’élaborer une stratégie fondée sur des éléments probants.
Le rapport que nous publions, intitulé Les jeunes non scolarisés et déscolarisés d’Afrique subsaharienne, s’intéresse à la cohorte des 12-24 ans. Un examen approfondi des données et des informations relatives aux programmes a permis d’identifier six facteurs clés caractérisant cette jeunesse hors du système scolaire :
- la plupart des jeunes abandonnent l’école avant le secondaire et beaucoup n’ont jamais mis les pieds à l’école ;
- la perspective d’un mariage précoce est un obstacle majeur à l’éducation des jeunes filles et perturbe leur scolarité avant même qu’il ne soit conclu ;
- le fait de vivre en milieu rural augmente les risques de non-scolarisation des jeunes par rapport aux citadins ;
- le niveau d’instruction des parents est le principal déterminant des résultats éducatifs des jeunes ;
- le nombre d’adultes qui travaillent au sein de la famille importe plus que le revenu dans la probabilité que les enfants soient scolarisés ;
- la difficulté d’accès à l’école et la médiocrité de l’enseignement sont des contraintes majeures en termes d’offre.
Trois angles d’attaque sont particulièrement cruciaux : la rétention, la remédiation et l’insertion.
Le maintien à l’école des jeunes à risque pourrait être optimisé grâce à des interventions plus précoces pour scolariser les enfants à l’âge prévu. La rétention peut également s’améliorer en s’efforçant de redresser la qualité de l’enseignement primaire et de développer l’enseignement secondaire (y compris en faisant appel au secteur privé). Il convient enfin de mieux sensibiliser à l’importance de l’éducation, notamment pour les filles et les jeunes ruraux.
Pour fonctionner, la remédiation doit pouvoir s’appuyer sur des programmes alternatifs efficaces et financés durablement. Il faut également insister sur l’obligation qu’ont les jeunes de travailler pour survivre et sur des interventions coordonnées à grande échelle en leur faveur dans les zones touchées par un conflit.
Enfin, l’ insertion sur le marché du travail passe par des programmes de développement de la main-d’œuvre durables. Pour cela, les pouvoirs publics doivent engager des actions concertées avec des organismes régionaux, des acteurs privés et des ONG et lever les freins juridiques et institutionnels au financement des entreprises créées par les jeunes. Cela exige notamment un alignement des programmes et de la pédagogie mis en œuvre dans l’enseignement élémentaire et la formation professionnelle avec la demande du marché.
Pourquoi les progrès sont-ils si lents ?
Les jeunes non scolarisés et déscolarisés sont des orphelins de la politique dont le sort est aux mains de multiples acteurs. Tandis que la rétention scolaire incombe aux ministères de l’Éducation, les programmes d’éducation de la deuxième chance et de développement de la main-d’œuvre relèvent des attributions des organismes chargés de l’enseignement technique et de la formation professionnelle et des ministères du Travail. Quant aux interventions précoces et à la protection sociale, elles impliquent plusieurs ministères compétents (services sociaux, développement de la petite enfance) ainsi que le ministère de l’Économie et des finances.
La communauté internationale pourrait faire la différence en faisant de la question des jeunes non scolarisés et déscolarisés un thème politique unique mais aussi en privilégiant la coordination et en élaborant des programmes globaux qui tiennent compte des contraintes rencontrées par cette jeunesse.
C’est ce qu’a bien compris le Mali où, après la crise politique et sécuritaire de 2012, de nombreux jeunes peu ou pas instruits se sont retrouvés face à des débouchés d’emploi productif encore plus restreints qu’avant. Les autorités maliennes et la Banque mondiale se sont alors attelées à la conception et au déploiement d’un vaste programme de développement de la main-d’œuvre et de création d’entreprise pour impartir à plus de 30 000 jeunes ruraux et urbains vulnérables des compétences de base ainsi que des qualifications techniques et commerciales. À 23 ans, Traoré s’est inscrit dans le programme et se réjouit de pouvoir, à l’issue de cette formation, créer sa petite entreprise agricole.
À votre avis, comment votre pays pourrait-il améliorer le sort des jeunes vulnérables ? Faites-nous part de vos idées dans la section ci-dessous réservée aux commentaires.
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