Selon un récent rapport phare publié par la Banque mondiale sous le titre Perspectives : L’école au service de l’apprentissage en Afrique, les pays du continent font face à une situation paradoxale. Ainsi, au cours des 10 à 25 dernières années, de nombreux pays africains ont réalisé des progrès considérables dans la scolarisation des enfants. Et pourtant, si le nombre total d’enfants scolarisés a augmenté, le taux d’achèvement des études primaires dans nombre de ces mêmes pays n’a pas suivi.
Au Bénin, au Burundi, en Éthiopie, à Madagascar, en Ouganda et au Rwanda, pays qui illustrent parfaitement ce paradoxe, le taux brut de scolarisation (TBS) a bondi de 45 points en moyenne pendant une décennie de hausse record au cours des 25 dernières années, soit une progression stupéfiante (selon les statistiques officielles de l’UNESCO téléchargeables sur le site http://data.uis.unesco.org/#). Cela reviendrait, par exemple, à faire passer le TBS de 75 à 120 % en tout juste 10 ans. Ajoutons que le TBS s’est établi à 130 % en moyenne au cours des cinq dernières années, alors que, pendant la même période, le taux d’achèvement de l’enseignement primaire « piétinait » à environ 70 %.
Pourquoi ce problème dure-t-il depuis si longtemps ? Certains des défis existants peuvent être relevés, tels que la mauvaise préparation à l’école, le manque d’assiduité et le faible niveau d’instruction au cours des premières années fondamentales de la scolarité. Les enfants arrivent non préparés à l’école, puis, du fait de la mauvaise conception et application des plans de cours et des ouvrages de lecture, et de la médiocrité de l’enseignement, ils se trouvent face à des écoles où ils n’apprennent pas. Ils abandonnent la classe par intermittence au cours de l’année – pour de multiples raisons, mais notamment parce qu’ils ne comprennent pas les leçons – et ne peuvent pas rattraper quand ils reviennent. De ce fait, de nombreux enfants restent « rivés » aux petites classes. Ils essayent d’apprendre, redoublent, prennent de l’âge dans le système scolaire, puis abandonnent entre 10 et 12 ans, déçus et sans avoir retiré grand-chose de leur effort ni de l’action de la société.
La « saturation » des petites classes saute aux yeux de quiconque se rend dans des écoles primaires en Afrique. Les classes de première et de deuxième années sont surchargées, comptant entre 70 et 120 élèves, voire plus ; l’effectif est bien inférieur dans les classes suivantes. On ne mesure peut-être pas bien la gravité de ce problème ni combien sa persistance brise l’avenir de la majorité des enfants.
La figure ci-dessous montre le nombre d’enfants par classe dans les cinq pays considérés, par rapport à la taille de la population scolaire qui devrait être scolarisée, et par rapport à une proportion idéale. Il ne s’agit que d’une approximation, qui permet toutefois de faire les deux constats suivants : le nombre d’enfants dans les deux premières classes est nettement supérieur à ce qu’il devrait être, et il faut attendre en moyenne la cinquième année pour que l’effectif tombe au-dessous du nombre d’enfants qui devraient y être inscrits. Ainsi, le nombre d’élèves en première année est de 1,5 à 2 fois plus élevé que le nombre d’enfants qui devraient s’y trouver au regard de l’âge officiel d’entrée à l’école. Plus les classes sont surchargées, moins les enfants apprennent, ce qui les conduit à redoubler. Et ce cercle vicieux prévaut depuis plus d’une dizaine d’années.
Que peut-on faire pour jeter des bases plus solides ?
- Commencer par un travail de sensibilisation. En Afrique, nombreux sont les hauts fonctionnaires et les partenaires de développement qui n’ont pas conscience de ce problème. Et, s’ils en ont connaissance, ils n’en mesurent pas suffisamment la portée. Ainsi, la saturation des petites classes est souvent attribuée au fait que les élèves entrent trop tôt ou trop tard à l’école, et la forte baisse du nombre d’inscrits entre la première et la deuxième année est attribuée aux abandons scolaires. L’âge d’entrée à l’école est certes un facteur, mais le véritable problème est celui du manque d’assiduité et du niveau élevé de redoublement hors cause académique, non pris en compte par les statistiques officielles. Les pays d’Amérique latine ont été confrontés au même problème dans les années 90, et le travail de sensibilisation des autorités a joué un rôle fondamental dans les réponses apportées. Depuis le milieu des années 90, l’Afrique du Sud a également adopté des politiques pour réduire systématiquement l’engorgement des petites classes.
- Veiller à la solidité de l’instruction dans les petites classes en mettant l’accent sur des méthodes pédagogiques plus directes, des leçons bien planifiées, à un rythme de progression adéquat, des supports didactiques multiples et diversifiés dans une langue que les enfants comprennent, un enseignement, si possible, dans cette langue, et un appui aux enseignants qui, souvent, ne savent tout simplement pas comment enseigner la lecture et les mathématiques. Cela suppose de démarrer l’enseignement au niveau voulu (en développant progressivement les aptitudes, y compris celles à acquérir avant de savoir lire et compter), au lieu de bousculer les enfants en partant du principe qu’ils maîtrisent les fondamentaux (p. ex. parce qu’on leur fait la lecture à la maison ou qu’ils ont grandi entourés de supports écrits, comme parfois en ville).
- Proposer des possibilités de développement de la petite enfance mettant l’accent sur le renforcement de l’expression orale, favoriser un processus graduel de socialisation par l’école, concentrer la gratuité sur, disons, les 40 % les plus pauvres de la population, associer les parents au renforcement de l’expression orale et soutenir les activités de l’enfant à l’école.
- Apporter un appui financier, surtout dans les dernières classes et si l’on a des raisons de penser que des barrières économiques empêchent les enfants de terminer l’école.
- Établir une politique claire de redoublement. Contrôler de plus près le redoublement officiel et non officiel, sans que la promotion automatique devienne parallèlement une excuse pour faire passer les enfants qui n’apprennent pas en classe supérieure. Utiliser des systèmes de données faciles à interpréter et des mécanismes simples d’évaluation, si possible, formative de l’apprentissage pour suivre les résultats insuffisants.
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