La technologie suffit-elle à garantir la transparence budgétaire et l'ouverture? Les leçons tirées en Asie de l'Est et en Afrique du Nord

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ImageLes 6 et 7 mai 2014, l'Indonésie a accueilli la conférence régionale du Partenariat pour un  gouvernement ouvert (OGP) à Bali, une étape importante dans sa présidence de l'OGP. Autour des thèmes mobilisateurs de l'innovation, de l'ouverture et de la participation citoyenne, la transparence budgétaire, et notamment sa mise en œuvre par le biais de la technologie, est l'un des sujets dont les représentants des pouvoirs publics, de la société civile, des entreprises, des universités et des médias ont discuté.

L'OGP a été annoncé en 2011, après le début du printemps arabe. Trois ans plus tard, à l'occasion de la conférence régionale de Bali, nous avons pensé qu'il serait intéressant d'examiner les indicateurs de la transparence budgétaire dans quatre pays appartenant à deux régions différentes. Ces pays à revenu intermédiaire ayant connu des régimes autoritaires dans le passé, l'Indonésie, les Philippines (Asie de l'Est), la Tunisie et le Maroc (Afrique du Nord) sont susceptibles d'enregistrer des progrès importants en matière de transparence budgétaire. L'Indonésie et les Philippines sont des membres fondateurs de l'OGP. Les Philippines sont l’un des chefs de file de l'Initiative mondiale pour la transparence des finances publiques (GIFT). Suite au printemps arabe, la Tunisie et le Maroc ont engagé des réformes de gouvernance importantes et une nouvelle constitution. La Tunisie viens de rejoindre l’OGP avec la cohorte 2014 et le Maroc a exprimé serait éligible avec l’adoption d’une loi d’accès à l’information.  

Différentes valeurs mondiales de référence et méthodes donnent des indications sur les cadres réglementaires et les systèmes de notre échantillon. Les mesures de la performance des systèmes d’information comprennent des applications du Code de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques (en cours de refonte) du FMI, du cadre sur les dépenses publiques et la responsabilité financière (PEFA), de l'Indice sur le budget ouvert (OBI) du Partenariat budgétaire international, du Système d'information de gestion financière (SIGF) ainsi que des données tirées des sites Web des ministères des Finances et des sites nationaux de données libres. La situation juridique et institutionnelle renvoie aux lois sur la liberté de l'information et aux plans de l'OGP. Une grande partie de ces informations est présentée par Dener et Min dans leur analyse intitulée « FMIS and Open Budget Data » agrégeant les principaux indicateurs sur l'état actuel des plateformes électroniques d'un pays qui servent à publier les données budgétaires libres tirées du SIGF. Ces données ont été obtenues en examinant les sites sur les finances publiques de 198 pays et en utilisant 176 solutions du SIGF.

Nous examinons les données concernant les pays de notre échantillon selon trois axes de recherche : a) point de départ de la transparence budgétaire, b) situation juridique et institutionnelle, c) voies d'accès aux informations budgétaires et principaux intérêts. En vue de la prochaine rencontre de l'OGP qui aura lieu à New York en septembre, nous nous penchons sur les enseignements tirés des réformes en matière de politique, de technologie, de transparence budgétaire et d'ouverture dans ces différents pays.

Le tableau 1 résume les points saillants et les indicateurs de référence sur la transparence réglementaire et budgétaire pour notre échantillon. Cliquez ici ou sur l'image pour l'agrandir le tableau.

ImageEn Indonésie, la LLI et la présidence de l'OGP traduisent une nouvelle vague de changements et d’opportunités. Néanmoins, l'Indonésie n'a pas encore mis ses données budgétaires à disposition dans des formats libres d'accès, ce à quoi elle s'attelle actuellement (voir le rapport d'avancement de l'OGP sur  l’Indonésie). Un nouveau SIGF (SPAN) pourrait en principe permettre la publication en temps réel de données libres d'accès sur les allocations budgétaires et l'exécution du budget. Alors que presque la moitié des ressources des services publics est dépensée aux niveaux infranationaux, la transparence sur ces dépenses repose encore sur un rapportage décentralisé.

En janvier 2014, sous le parrainage du Bureau du Président, les Philippines ont lancé un portail national pour accéder librement aux données budgétaires, mais la LLI reste pour l'instant à l'état de projet. Bien que les Philippines aient fait de grands progrès en rendant la transparence budgétaire obligatoire avec l'introduction d'un « sceau de la transparence » (voir le rapport d'avancement de l'OGP sur les Philippines), il reste des défis importants à relever aux niveaux national et infranational en matière de suivi de l'exécution du budget. La gestion des dépenses allouées à la reconstruction suite au typhon Haiyan/Yolanda l'a bien illustré. Un SIGF n'a encore été mis en place, mais il sera certainement déployé dans les 2-3 ans à venir. À l'issue de l'administration réformiste à l'horizon 2016, le défi majeur consistera à renforcer la crédibilité du budget et la transparence budgétaire qui lui est associée concernant les dépenses réelles.

Après la révolution, la Tunisie a adopté une loi sur l’accès à l’information (mai 2011) et récemment, trois ans plus tard, le pays a fêté l'introduction d'une nouvelle constitution. La Tunisie est le premier pays de la région à élaborer un portail d'accès libre sur les données budgétaires proposant également des outils d'analyse des dépenses tels que Boost. Cependant, le pays a du retard en matière d'indicateurs sur la transparence budgétaire et d'exploitation d'un système intégré de gestion de la dépense, qui n’a pas été conçu pour la publication de données budgétaires.  Concernant la participation des citoyens, la Tunisie a fait des progrès en élaborant un budget citoyen et des plateformes gérées par la société civile telles que Marsoum41 pour recevoir les demandes d'informations, y compris par téléphone portable.

Le Maroc a adopté une nouvelle constitution en juillet 2011, comprenant des dispositions sur le droit à l'information, les pétitions, les propositions de loi et la consultation des citoyens afin de favoriser une démocratie plus participative. Des projets de lois organiques ont été élaborés en s'appuyant sur un dialogue national avec la société civile et une LLI est en cours de préparation. Le système de Gestion Intégré de la Dépense (GID) est devenu opérationnel en 2010 et est en cours de déploiement dans les collectivités territoriales. Il constitue une base solide pour fournir des données budgétaires libres d'accès. Cependant, on attend encore des plans pour la publication de données budgétaires libres d'accès. Le Maroc publie des données budgétaires vulgarisées avec un budget citoyen, mais la stratégie d'engagement des citoyens, notamment au niveau local ne sont pas claires. Un projet de loi organique relatif aux lois de finances introduisant une gestion du budget programmatique et axée sur la performance est actuellement en discussion au parlement afin de renforcer la transparence et la redevabilité en matière de ressources publiques. Bien que le Maroc n'ait pas officiellement demandé à adhérer à l'OGP, il a exprimé son intérêt et travaille sur les critères d'admissibilité, qui requiert l’adoption d’une loi d’accès à l’information en ligne avec les standards internationaux.

Transparence budgétaire et ouverture : entre politique, technologie et demande intérieure

L'ère du numérique a indéniablement favorisé le dialogue mondial sur la transparence comme moyen de catalyser la redevabilité du gouvernement et d'améliorer les services aux citoyens. Cependant, il soulève également quelques nouvelles questions : la rencontre de populations locales, de normes mondiales, de groupes de pairs et de technologies habilitantes (SIGF et Internet) peut-elle donner de l'élan aux réformes sur la transparence budgétaire et l'ouverture ? Quel est le rôle de la politique ?

Des études récentes ont montré que les initiatives favorables à la transparence sont rendues possibles ou limitées par des facteurs tels que le niveau de démocratisation, le degré de volonté politique, les conditions générales d'économie politique (Khagram et al, 2013 ; McGee et Gaventa, 2010) et, du côté de la demande, par des facteurs tels que les capacités de la société civile à accéder et à utiliser l'information, les liens avec l'action collective et la mobilisation et l'intégration dans le cycle de la politique (Kuriyan et al, 2011). Aux Philippines, le programme d'ouverture est dirigé par le Département de la Gestion budgétaire (DBM) avec le soutien actif du Bureau du Président. Les pilotes de la réforme indonésienne sont localisés au Service de l'action publique du Président, ainsi qu'à l'agence d'exécution de l'OGP, avec un petit soutien de l'office national des statistiques. En Tunisie, l'élan politique est né de la révolution et de la volonté du gouvernement de transition de rompre avec les anciennes pratiques du secret. Ces nouvelles politiques sur la transparence sont désormais inscrites dans la constitution. Au Maroc, les nouveaux droits et principes de gouvernance de la constitution de 2011 répondent directement aux demandes des citoyens en matière de transparence et de participation suite au printemps arabe. Dans ces pays, l'examen du programme en matière de transparence budgétaire et d'ouverture montre qu'une étape importante consiste aujourd'hui à évaluer le degré de volonté politique et les principaux moteurs de ces initiatives. En d'autres termes, y a-t-il des piliers au sein des pouvoirs publics sur lesquels s'appuyer pour créer un espace pour la réforme et soutenir l'utilisation des technologies et des politiques favorables à la transparence budgétaire et à l'ouverture?

Notre évaluation sommaire (tableau 1) montre que ces pays affichent différents niveaux de référence pour apprécier leurs progrès en matière de gestion des données sur les finances publiques, de systèmes, d'ouverture, de participation des citoyens et de liberté d'information. La technologie, notamment avec les plateformes en ligne, peut permettre de mettre en évidence des progrès tangibles (par exemple, en Tunisie et aux Philippines). L'enjeu fondamental consiste alors à aller au-delà de l'apparence d'ouverture (lois approuvées et portails Web mis en place) et de faire coïncider l'offre et la demande prévue en matière de priorités budgétaires et de données sur l'exécution. Les solutions du SIGF peuvent fournir des données d'exécution basées sur les transactions, en temps réel, qui peuvent être partagées de manière innovante avec les citoyens (par exemple, aux Philippines). Toutefois, l'absence de suivi en temps opportun de l'exécution du budget, de données détaillées par secteur ou région, et des passations de  marchés réduit les perspectives de traduire les « données libres » en informations pour les citoyens et limite la possibilité de réaliser des analyses détaillées fondées sur les faits. Dans certains pays, compte tenu des services publics de base fournis, une part importante des ressources publiques revient par ailleurs aux dépenses infranationales et aux entreprises publiques. Il est plus compliqué de suivre les transactions à ce niveau qu’au niveau national, ce qui est pourtant essentiel. Ces préoccupations montrent qu'il est nécessaire d'adopter une approche globale et holistique de la transparence des finances publiques et de l'ouverture, ce qui exige non seulement un cadre juridique unifié, mais aussi des systèmes plus intégrés/interopérables ainsi que des leviers interdépendants tels que les réformes du budget, la technologie (SIGF et outils d'analyse) et la gouvernance d'entreprise.

L'OGP est fondée sur l'idée générale selon laquelle les normes mondiales, les groupes de pairs et la coopération internationale peuvent faire avancer la transparence et la redevabilité. Un défi plus délicat consiste à veiller à ce qu'une dynamique soit tirée de la demande intérieure pour l'accès à l'information, notamment sur la façon dont les ressources publiques sont dépensées, et à ce que les administrations nationales et infranationales soient disposées et aptes (par exemple, par le biais d'un SIGF fonctionnel et de comptes consolidés) à partager de façon proactive les données sur les finances publiques avec les citoyens. En dehors des piliers au sein de l'exécutif, la classe moyenne et les populations ouvertes au numérique sont susceptibles de soutenir cette entreprise. La crédibilité tant des budgets nationaux que de l'OGP dépendra de la mise à disposition de données significatives sur l'exécution budgétaire afin que les citoyens puissent suivre ouvertement la façon dont les ressources publiques sont allouées et effectivement dépensées.

Nous aimerions tout spécialement remercier Cem Dener, spécialiste en chef du secteur public, Nicola Smithers, spécialiste principale du secteur public et Saw Young Min, administratrice auxiliaire, pour leurs précieux commentaires et conseils.
 
Cette publication fait partie d'une série mensuelle sur l'administration électronique dans les pays en développement. La série cherche à présenter de nouvelles perspectives et de nouvelles connaissances sur la politique, les dimensions institutionnelle et technique de la technologie et la gestion publique, ainsi qu'à comprendre comment les services publics sont modernisés, organisés et dispensés aux citoyens, dans un souci d'ouverture et de redevabilité des pouvoirs publics. Le quatrième poste de la série se penche sur les questions de transparence budgétaire et d'ouverture à la lumière de la conférence régionale Asie-Pacifique de l'OGP, en mettant l'accent sur l'évolution de grands pays à revenu intermédiaire en Asie de l'Est et en Afrique du Nord.
 


Auteurs

Tina George Karippacheril

Sr. Social Protection Specialist

Kai Kaiser

Économiste principal, Banque mondiale

Fabian Seiderer

Spécialiste senior du secteur public

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