Une nouvelle approche pour les réformes douanières nigériennes : des résultats positifs grâce à la science des données et l’utilisation de technologies innovantes

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Au Niger, une approche originale en termes de réformes douanières est en place depuis plus de 2 années et commence à porter ses fruits. A l’heure des discours sur la digitalisation pour la gouvernance, le Niger offre des idées innovantes transposables à de nombreux pays.

En 2020, la douane nigérienne décide de se doter d’une cellule d’analyse de données et des réformes afin d’exploiter ses données douanières.  Un an après sa pleine opérationnalisation, des résultats tangibles en termes de recettes et de facilitation du commerce ont déjà été enregistrés.

Une approche centrée sur le renforcement des capacités internes

Fin 2019, l’approche a été initiée par la sensibilisation des cadres de haut niveau, sous l’impulsion du Directeur Général des Douanes avec un séminaire d’information sur l’analyse de données, puis des démonstrations d’analyses, en particulier pendant la période de la crise sanitaire pour suivre l’évolution des recettes, des volumes et des routes de commerce et un partage des analyses avec les décideurs politiques.

A l’issue de cette première phase de quelques mois, le Directeur Général a engagé son administration dans un usage plus généralisé des données, en créant une équipe dédiée. La formation et l’institutionnalisation d’une équipe fut le deuxième temps de la transition. Un appel à candidatures fut organisé en interne, sans condition de grade. Sur 42 candidats, une dizaine de douaniers ont été sélectionnés, ayant un goût particulier pour la programmation et les outils informatiques et une éducation scientifique de base. Ces candidats ont suivi une formation de quatre semaines, à partir des données douanières nigériennes, sur un langage de programmation (open source) et un outil d’exploration et visualisation de données (commercial). A l’issue de cette formation, cinq douaniers ont été choisis pour former la cellule d’analyse de données et de réformes de la douane nigérienne, la CADRE, avec à leur tête un douanier très expérimenté.  Cette formation fut assurée, grâce à un financement du Programme Fiscal Mondial auprès de la Banque Mondiale, par des formateurs de la diaspora nigérienne avec l’appui d’un conseiller de la Coopération française.

Une montée en puissance progressive de la prise de décision sur des chiffres (evidence-based)

Même si la cellule reste jeune, elle se place au centre du dialogue sur les réformes, à l’aide des analyses quantitatives (recettes, volumes, risques, analyses sectorielles, simulations…) qu’elle réalise à la demande du Directeur Général et qui sont partagées avec l’ensemble des directeurs de la douane nigérienne et avec l’autorité politique. Il y a  deux réunions mensuelles avec les cadres dirigeants et deux autres avec le ministre des Finances, qui sont les moments forts où la cellule est toujours appelée à présenter ses analyses. C’est par ces rendez-vous réguliers que le travail de la cellule permet l’émergence d’un dialogue sur les réformes et les mesures fiscales et techniques, fondé sur des évaluations quantitatives.

Ce résultat – l’institutionnalisation progressive des analyses de données dans le dialogue interne - n’est pas quantifiable, mais il constitue la clef de la réussite des autres actions.  Une nouvelle culture s’installe dans les prises de décision au niveau central fondée sur les faits et les chiffres.et tangibles 

En outre, la cellule est au cœur de l’amélioration des pratiques sur le terrain car elle gère les « contrats de performance ». Sur un modèle identique à ce qui a été développé au Cameroun, au Togo et à Madagascar, les inspecteurs vérificateurs (première ligne de contrôle) s’engagent vis-à-vis de l’administration des douanes par la signature de contrats individuels de performance. Les critères de l’évaluation reposent sur des indicateurs qui traduisent les axes prioritaires de la douane nigérienne (réduction du temps nécessaire pour la main levée des marchandises, optimisation des recettes douanières et lutte contre les fraudes et les mauvaises pratiques). Six mois plus tard, les chefs de bureau ont signé des contrats individuels à leur tour, s’engageant sur des critères d’efficacité depuis la prise en charge des marchandises jusqu’au paiement. Ces contrats ont été mis en œuvre sur tous les bureaux principaux par la cellule. Ils ont été précédés d’une longue phase d’analyse des données douanières pour détecter les points faibles des procédures douanières et leur impact potentiel sur les recettes, suivie d’une tournée nationale au cours de laquelle la cellule a expliqué les nouvelles approches fondées sur les données aux personnels sur le terrain et leur a décrit les modes de calcul et d’évaluation des indicateurs pour une meilleure appropriation.

Des résultats initiaux encourageants

L’impact des contrats a été rapide.  En 9 mois d’expérimentation, la douane nigérienne a recouvré 731, 9 millions de francs CFA soit plus d’un million de dollars US de droits et taxes additionnels suite au contrôle de première ligne (pour des recettes annuelles de 222 milliards CFA). Sur la même période, avant les contrats, la douane n’avait récupéré que 63 millions de francs CFA, soit dix fois moins. Bien que modeste, ce chiffre est important, par son évolution d’une part qui marque une rupture dans les modalités du contrôle de première ligne et, d’autre part parce que lutter contre la fraude permet aussi de réduire les collusions. Comme dans d’autres pays, la mise en place des contrats a été l’opportunité de modifications des procédures douanières dans le sens de leur sécurisation. L’impact des contrats de performance se mesure aussi à la réduction de temps de dédouanement qui est passé, en moyenne, de 8,76 heures à 3,29 heures.
 

Niger birder guards

Une force de proposition et d’innovation

La cellule propose des solutions innovantes fondées sur l’analyse de données, pour répondre à des besoins récurrents de l’administration. En l’occurrence, la douane du Niger souhaite confronter son maillage du territoire, en vigueur depuis 1962, à l’évolution économique des zones frontalières dans les 20 dernières années, dans le but de mieux redéployer ses unités. En partenariat avec une société de géomatique, la douane a mobilisé des techniques géospatiales pour évaluer la croissance des flux économiques transfrontaliers, à l’aide de données douanières et de données externes dont des données géospatiales. Des cartes originales à différentes échelles et de nouvelles données géospatiales ont été générées. Ces analyses ont permis d’identifier les principaux centres actuels de commerce transfrontaliers au Niger et dans les pays voisins, d’en analyser leur croissance et les axes qui les relient, brossant un panorama global des activités transfrontalières en 2020. Elles confirment l’existence de nouvelles zones de forte croissance, d’axes de transport alternatifs fréquentés non connus et d’objets d’intérêt tels que des zones de transit de camions, de nouveaux marchés et des zones de stockage. Des patrouilles ont ainsi été organisées par les Brigades des douanes à l’embouchure des zones identifiées.

Africapolis

La transposition de cette approche et ses spécificités ?

L’analyse de données est un thème important pour la communauté douanière. L’Organisation mondiale des douanes en a fait un levier stratégique prioritaire pour améliorer l’efficacité des douanes.

Cette approche semble transposable et révèle des spécificités qui sont autant de leçons à tirer.

  • La douane nigérienne a complètement internalisé son analyse de données. D’une part, elle a choisi de ne pas recourir à des sociétés privées spécialisées, pour plusieurs raisons : confidentialité des données, capacité interne d’interprétation des résultats des analyses en lien avec les réalités parfois non explicites de l’environnement douanier, volonté de ne pas renouveler les formes de contractualisation et de dépendance qui existaient lors des contrats d’inspection. D’autre part, elle n’a pas fait appel à des recrutements extérieurs pour l’instant: il était important que des douaniers acquièrent un savoir-faire dans l’analyse de données et s’approprient les données douanières, avant d’envisager un complément de ressources humaines spécialisées dans l’analyse.
     
  • La douane nigérienne a fait un deuxième choix : centraliser ses capacités sous la forme d’un « data lab », plutôt que de dédier ses ressources d’analyses à un domaine spécifique, traditionnellement l’analyse de risque. Par ce choix, les analystes mobilisent l’ensemble des données douanières, font appel à des données externes pour résoudre des problèmes complexes et diversifiés. Cela fait aussi partie d’un environnement motivant.
     
  • Le troisième choix est celui de l’open source. Les outils open source sont gratuits mais ils occasionnent des coûts, de formation et de veille notamment. Toutefois, ce sont autant d’investissements dans la connaissance et les ressources humaines internes, ce qui contribue aussi à un environnement motivant et ouvert sur l’extérieur.
     
  • Enfin, au soutien des partenaires techniques et financiers à cette initiative, s’ajoute une condition essentielle à l’indépendance et la survie d’une telle cellule : des primes substantielles spécifiques et mensuelles sont accordées aux membres de la Cellule ainsi que divers avantages reconnus aux cadres dirigeants de la douane afin qu’ils s’investissent dans un domaine innovant, au cœur des douanes modernes.

Auteurs

Thomas Cantens

Head of research and policy, World Customs Organization

Dan Bouga Boukari

Colonel des douanes nigériennes

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