Depuis plusieurs années, Ebola frappe de manière disproportionnée notre continent, et plus particulièrement les populations d’Afrique Centrale et de l’Ouest entrainant de vastes pertes en vies humaines et causant des pertes économiques considérables dans des contextes de pauvreté extrême.
Nombreux sont les observateurs à constater que les ravages provoqués par cette épidémie reflètent la faiblesse de nos systèmes de santé, incapables de répondre à de tels chocs, alors que d’autres soulignent la difficulté des partenaires à coordonner leurs actions. La République Démocratique du Congo, pays dont je suis originaire, est confrontée à sa dixième épidémie d’Ebola. Chaque nouvelle épidémie provoque un enchaînement de réactions similaires : mobilisation des prestataires de soins et des partenaires techniques et financiers, déploiement de ressources matérielles et humaines colossales, mobilisation des médias, etc.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette succession d’épidémies qui se suivent mais ne se ressemblent pas ? Avant de rejoindre la Banque mondiale en tant que spécialiste de santé publique, j’étais médecin de brousse en RDC et il s’agit de la sixième épidémie à laquelle je suis confronté. J’en tire trois enseignements principaux.
La première leçon, c’est que chaque épidémie a sa particularité. Tenir compte du contexte géographique, socioculturel ou économique et ajuster notre réponse en fonction de cela est d’une importance fondamentale. Second enseignement ? Mobiliser des ressources –aussi considérables soient-elles—est insuffisant en l’absence de solides mécanismes de coordination entre les acteurs qui cherchent à éradiquer l’épidémie. La troisième leçon, selon moi la plus importante, est que pour éradiquer Ebola, il est essentiel que la communauté s’approprie ce combat.
En 2007, alors que j’effectuais une visite de supervision dans des hôpitaux ruraux de Mweka, localité située dans la province du Kasaï, je fus informé par le personnel de santé d’un afflux inhabituel de malades souffrant de fièvres interminables, diarrhées et maux de ventre accompagnés de vomissements. En visitant un hôpital, on nous présenta le cas d’un jeune garçon mort dans les heures précédentes et qui présentait des signes hémorragiques. Face à de tels symptômes, le mot ‘Ebola’ vous vient immédiatement à l’esprit – mais votre premier réflexe est de chasser cette pensée. Un collègue de l’OMS, présent sur les lieux, proposa cependant de réaliser un prélèvement sanguin. Le diagnostic fut sans appel. Une question continue de m’interpeller : pourquoi, malgré les épidémies récurrentes que connait le pays, nous –personnel médical—mettons toujours autant de temps à détecter la maladie à virus Ebola (MVE) ?
Tous ceux d’entre nous qui ont exercé comme médecin en Afrique subsaharienne savent que ces symptômes font partie du quotidien et qu’il pourrait s’agir de la malaria, ou de la fièvre typhoïde, maladies courantes et banales. Lorsqu’une nouvelle flambée épidémie a été décelée à Mweka en 2008, la mise à contribution de la communauté, dès les premiers signes de la maladie, a cependant permis une détection et éradication rapide de l’épidémie. Une fois sensibilisée, et considérée non pas comme victime mais comme partenaire à part entière, la communauté s’est appropriée la lutte et a mené avec efficacité le suivi des contacts, la recherche active des malades perdus de vue, le soutien social et psychologique des personnes affectées.
Il est donc essentiel, dans la planification des programmes de santé, de donner la part belle à la communauté. A Béni, dans le Nord Kivu, foyer de la dixième épidémie d’Ebola, on sait que la résistance communautaire a entravé les efforts des spécialistes de santé. Or pour vaincre l’épidémie, la population constitue notre meilleur allié. Les relais communautaires, en communiquant l’information auprès des populations et en détectant les premiers symptômes, jouent un rôle fondamental. Dans ce combat face à Ebola, nous avons tendance à trop médicaliser la riposte et à ne jurer que par nos moyens financiers, logistiques et techniques. Le paradoxe avec Ebola, c’est que, s’il est vrai qu’il faut des centres de traitement sophistiqués avec des médecins et infirmiers en costumes d’astronaute et des ressources considérables, miser sur la communauté pour juguler l’épidémie est tout aussi important. Si ce n’est plus…. C’est pourquoi, le Groupe de la Banque Mondiale, qui participe pleinement à la lutte contre Ebola, mise sur la participation communautaire pour endiguer cette épidémie.
Ne soyons cependant pas naïf. L’action communautaire est un combat de longue haleine, et renforcer la confiance entre les communautés et les prestataires des soins dans les structures de santé est un impératif. Maintenir les mesures d’hygiène individuelle et alimentaire qui ont tendance à disparaitre une fois l’épidémie endiguée, va fortement dépendre du niveau d’implication de la communauté. Aujourd’hui, lorsque j’effectue des visites dans des foyers jadis frappés par Ebola, je suis parfois choqué d’apprendre que, certains de mes concitoyens continuent dans les zones à risque à consommer de la viande de brousse. Mais ceci est aussi la réalité : la population est extrêmement pauvre et survit comme elle le peut.
Car Ebola, c’est aussi et avant tout un défi de développement. Permettre aux populations de gagner leur vie en créant des emplois et en améliorant l’accès aux services de santé et à l’éducation est en fin de compte le meilleur rempart contre Ebola.
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