C'est la première fois que je pénètre dans l’enceinte de l’ancienne prison du Cap-Haïtien destinée aux femmes, prisonniers de droits communs et politiques. L’espace est saisissant : des arbres majestueux projettent leurs ombres sur l’espace de 10 000m2 où se dressent encore les murs fissurés jaunes et roses de plus de six mètres de hauteur. La beauté et le silence du lieu contrastent avec son histoire récente.
Sous la dictature des Duvalier, la police et l’armée y emprisonnait les ennemis du régime. Sur les parois et les plafonds des anciennes cellules, je peux distinguer les vestiges des dessins, des appels à l’aide et à la mémoire partiellement gravés dans la chaux :
« My God It’s me » ou « Recuerdo de Un Dominicano »
Le pire c’était la « pénurie et la promiscuité » me confie Charles Manigat au lendemain de ma visite de la prison. Plusieurs fois emprisonné sous la dictature duvaliériste, il m’explique comment les prisonniers étaient entassés. Et les détenus torturés par la police que l’on y amenait.
30 ans après la chute de la dictature, c’est ce lieu que les Ministères de la culture et du Tourisme envisagent de transformer en centre culturel avec le support de la Banque mondiale, dans le cadre du projet « Préservation du Patrimoine Culturel et du Secteur du Tourisme Projet d'Appui ». Sa position stratégique au centre-ville et sa dimension en font un choix de premier ordre.
Découverte : la prison est devenue lieu mystique
Cette ancienne prison fait partie des 33 monuments haïtiens classés patrimoine national : avant les Duvalier, à l’époque coloniale, l’ensemble servait à la fois d’hôpital et de prison civile. Après la démobilisation des Forces Armées d’Haïti en 1994, l’institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) a rénové une aile et en a fait ses bureaux.
C’est en organisant des rencontres avec les acteurs locaux autour de la réhabilitation et la transformation en centre culturel, sujet sensible, que l’équipe de la Banque mondiale a découvert la dimension sacrée du lieu pour certains secteurs de la communauté capoise, me raconte Jean Garry Denis, chargé de la réalisation des consultations publiques : il n’avait aucune idée que des catholiques et des vodouisants accordaient autant d’importance à cet espace pour célébrer leurs cultes respectifs.
La population, intégrée dans la discussion
Assise face à Louise Anna Philippe, prêtresse vaudou, et Rictrude Pierre, représentante du secteur catholique dans l’ancienne prison, je les écoute. « C’est très mystique, » m’explique la prêtresse. « Non seulement à cause des gens qui sont morts ici mais nous reconnaissons qu’il y a beaucoup de lwa (esprits) ici ». Le vaudou est une religion de la nature et les vodouisants considèrent que les arbres du site constituent des reposoirs pour les lwa. Chaque arbre au niveau de l’ancienne prison correspond à un lwa ou à une famille de lwa bien spécifique.
Les catholiques y organisent des messes pour la Notre Dame de la Merci, patronne des prisonniers, le 24 septembre et parfois des neuvaines. Les vodouisants organisent deux jours de conférences, suivis d’une cérémonie chaque dernier samedi du mois de novembre, et viennent s’y recueillir régulièrement.
Avec ses informations disponibles, on envisage maintenant d’avoir un espace de culte universel.
Louise Philippe m’exprime sa satisfaction d’avoir été intégrée dans le processus : « c’est rare que nous (les vodouisants ) soyons consultés dans ce qui se passe dans le pays. Grâce à cela ce sera un centre pour tous, sans exclusion »
Un pas vers la mémoire collective
« Je suis pour que cet espace soit un centre culturel, me déclare Rictrude Pierre. C’est parce qu’une histoire ne doit pas passer inaperçue. Il y a trop de choses qui se sont passées ici et que l’on entend dans la bouche des profanes…qui ne peuvent même pas bien vous l’expliquer ».
Pour Jean Garry Denis, l’impact sera énorme. Le centre devrait être un véritable atout touristique pour les habitants de l’aire métropolitaine du Cap-Haïtien, soit plus de 430 000 personnes. En plus du centre culturel pour promouvoir les potentialités de la région, il y aura un centre d’interprétation de l’histoire. Selon lui « comme ce lieu a été un espace de martyre (…) certains faits vont être réhabilités pour les nouvelles générations ». Les victimes seront réhabilitées.
Charles Manigat, âgé de plus 80 ans, n’est jamais retourné dans la prison.
Il n’en habite pas loin. Il est passé devant et a vu que la vielle barrière en fer forgé a été arrachée. Probablement des gens dans la précarité m’explique-t-il. Le lieu a même été squatté. Il regrette les pillages.
« Si c’est un centre culturel, j’y retournerais » m’assure-t-il.
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