Publié sur Nasikiliza

Augmenter les taux d’alphabétisation au Niger : quelques coups de fils peuvent-ils vraiment faire une différence ?

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Un suivi des enseignants et élèves (sans sanction ou prime d’encouragement) peut-il améliorer leurs résultats ? La réponse est oui.

Le développement de l’éducation mondiale se heurte à deux difficultés majeures:
  1. Dans le monde entier, les adultes ont du mal à trouver une bonne formation.
  2. La mauvaise qualité de l’enseignement est un problème qui touche beaucoup de pays africains à tous les niveaux (primaire, secondaire, universitaire et adulte).
Parallèlement, on cherche de plus en plus de solutions à moindre coût pour répondre aux impératifs budgétaires. Le recours aux SMS pour améliorer la performance de l’enseignant ou encore à la formation « en cascade » des professeurs (dans laquelle un professionnel forme un formateur qui formera à son tour quelqu’un qui formera quelqu’un d’autre qui formera un enseignant local : quel mal y aurait-il à cela ? ) sont autant de mesures budgétaires qui me laissent perplexe.

Je viens cependant de découvrir un programme peu coûteux dont les résultats sont encourageants et qui semble prometteur pour améliorer la qualité de l’enseignement. Jenny Aker et Christopher Ksoll viennent de publier un article sur un programme de suivi par téléphone des enseignants et des étudiants dans le cadre d’une formation pour adultes au Niger. Des enquêteurs les ont appelés une fois par semaine pour s’assurer du bon déroulement de la formation. Cette initiative a pratiquement doublé les résultats des étudiants de ce programme.

Contexte de l’enquête

Cette opération s’est déroulée dans deux régions rurales du Niger. Ce pays détient le plus faible taux d’alphabétisation en Afrique  subsaharienne d’après les données recueillies au cours des deux dernières décennies (seule la Somalie ne figure pas dans le classement). Ce taux doit probablement être encore plus faible dans les zones rurales du pays. C’est donc le pays qui a le plus cruellement besoin d’améliorer la qualité de son enseignement.

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Source: Indicateurs du développement dans le monde, liste non exhaustive des pays

Description du projet

160 villages ont été divisés de manière aléatoire en trois groupes : enseignement des adultes (70 villages), enseignement des adultes + suivi de la formation (70 villages), et contrôle-surveillance (20 villages). Le petit groupe soumis à un contrôle a été déterminé à partir de calculs de puissance statistique. Les villages de ce groupe devaient bénéficier de ce programme d’enseignement pour adultes en 2016.

Chaque village du groupe 1 (villages avec un programme d’enseignement pour adultes) offrait deux cours d’alphabétisation (un pour les femmes et un pour les hommes). Ces cours étaient dispensés en Hausa (langue locale la plus couramment parlée) par des membres de leur communauté formés pour ce programme. Chaque cours avait lieu 5 jours par semaine,  durait 3 heures et se déroulait sur une période de 4 mois. Le reste de l’année était consacré à semer et à récolter les champs. Le programme de formation comprenait des enseignements élémentaires en lecture et calcul.

Les villages du groupe 2 bénéficiaient en plus d’un suivi de la formation par téléphone pendant les deux derniers mois de cours. 4 personnes étaient contactées chaque semaine par un enquêteur : le professeur d’alphabétisation, le chef du village, un étudiant féminin et un étudiant masculin choisis au hasard. Les personnes ne possédant pas de téléphone pouvaient emprunter celui d’un voisin. Les enquêteurs utilisaient une liste de questions simples telles que : « le cours de la semaine dernière a-t-il bien eu lieu ? combien d’étudiants étaient présents ? Pourquoi telle classe n’a pas eu lieu ? »

Les auteurs précisent que l’ONG à l’origine de ce programme (Catholic Relief Services) affichait une politique de sanctions en cas de manque d’assiduité.  Mais en réalité, ces sanctions n’étaient jamais appliquées : « nous n’avons renvoyé personne, ni baissé les salaires, n’y mis en place de visites d’inspection ». Je me demande quand même si les enseignants redoutaient des sanctions et si ces bons résultats ne s’effondreront pas au bout d’un an lorsqu’ils comprendront que la politique de sanction n’est pas appliquée.

Les groupes étant très homogènes au début du programme, on peut facilement en mesurer ses effets. Jenny Aker et Christopher Skoll ont recueilli les résultats des tests d’évaluation en lecture, en écriture et en maths (en anglais EGRA and EGMA). Ils ont également rassemblé des informations sur la confiance des étudiants et leur sentiment d’auto-efficacité, ainsi que sur la motivation et le comportement des enseignants.

Résultats

En fin de compte, quelques coups de fils peuvent-ils vraiment faire une différence ? Eh bien oui, une énorme différence ! Les chiffres ci-dessous indiquent leur impact sur les résultats des étudiants en alphabétisation et en maths. Ce programme d’enseignement auprès des adultes a permis d’augmenter le résultat global des tests d’alphabétisation avec un écart-type de  0,23. On constate une augmentation supplémentaire de 0,18 de l’écart-type lorsqu’il y a eu un suivi de la formation. En maths, il y a une augmentation du résultat global  avec un écart-type de 0,23. Le suivi de la formation a eu un impact sur le résultat de 3 des 4 régions de l’enquête, mais pas sur le résultat global du programme.

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En lecture, on peut observer un impact plus important des formations de base pour adulte (par exemple le déchiffrage des lettres plutôt que la lecture de phrases). Leur impact est encore plus important lorsqu’elles sont accompagnées d’un suivi téléphonique.

Comment expliquer un tel impact ?

Les données statistiques fournissent quelques pistes. On peut d’abord observer que le suivi téléphonique de la formation a eu un effet très positif sur la motivation des enseignants : on peut imaginer que le fait d’être l’objet de l’attention de personnes en dehors de leur village les a encouragés à redoubler d’efforts. On constate ensuite que les étudiants contactés par téléphone ont obtenu de bien meilleures notes en lecture (0,58 points d’écart). En outre, ils ont probablement dû motiver leurs camarades, puisque les résultats pédagogiques de leurs groupes restent toujours plus élevés que ceux des autres groupes lorsqu’on ne prend pas en compte les notes des étudiants contactés par téléphone. 

Les auteurs de cette étude font aussi remarquer que les enseignants qui ont peu de perspectives d’emploi ont mieux réagi au suivi téléphonique de la formation (sans doute par peur d’être licenciés) : en particulier les enseignants féminins et ceux qui n’ont pas dépassé le cycle primaire. Les enseignants les plus qualifiés ont également mieux réagi au suivi téléphonique. Ces résultats sont peut-être liés au fait que les enseignants plus âgés ont sans doute moins d’opportunités de carrière. Si cette analyse est fondée, j’ai bien peur que le suivi téléphonique ne fonctionne plus aussi bien une fois que les enseignants réaliseront qu’ils ne perdront pas leur emploi en cas d’absence en classe. D’un autre côté, il est plus probable qu’il y ait moins d’absentéisme chez les enseignants contrôlés et qu’ils s’absentent généralement moins longtemps (mais la différence est faible dans ce dernier cas). C’est le genre de résultat auquel on peut s’attendre de la part de personnes qui redoutent de perdre leur emploi. Je parie donc que ces programmes ont un impact du fait d’enseignants moins absents et d’élèves plus motivés grâce à l’attention qui leur ai porté.

Quelle est la prochaine étape ?

Une des conclusions encourageantes est que cette initiative est facile à réaliser et peu coûteuse. Elle peut donc être facilement reproduite au Niger et dans d’autres pays. Il suffirait d’une personne pour recueillir les numéros de téléphone des participants, les appeler et les évaluer en lecture et en maths. L’essayiste Eula Biss a écrit : « beaucoup d’études ne sont pas forcement très significatives en soi mais peuvent  être amplifiées par d’autres actions qu’elles ont suscités ». Les résultats de cette enquête sont suffisamment encourageants pour « entraîner d’autres interventions complémentaires » aussi bien dans la formation des adultes que dans d’autres domaines.

Les programmes de suivi de l’enseignement scolaire réalisés par le passé ont généralement été accompagnés d’incitations financières explicites, comme l’initiative de Duflo et autres (2012) menée en Inde ou de celle de   Cilliers et autres (2014) réalisée en Ouganda ; ou de menaces de sanctions disciplinaires (ou bien d’extorsion pour éviter une sanction disciplinaire), comme dans l’étude de Muralidharan et autres (2014) menée en Inde (lire la note 20 en bas de page). Les résultats de cette étude sont prometteurs et semblent démontrer que les enseignants et les étudiants sont tout simplement plus réactifs lorsqu’ils font l’objet d’une attention accrue. Je suis curieux de savoir si les résultats obtenus au Niger se maintiendront au delà de la première année et ai hâte d’avoir accès à des données plus récentes s’il y en a. Ce serait aussi intéressant de reproduire cette expérience ailleurs.
 
Suppléments: Quelques suggestions de titres beaucoup moins raisonnables !
  • Baby Don’t Forget My Number: Cheri, n’oublie pas mon numéro ou comment le suivi téléphonique des enseignants permettrait de doubler l’efficacité des programme d’alphabétisation pour adultes.
  • 867-5309: Appels téléphoniques et efficacité de l’enseignement pour adultes au Niger
  • I’ll Be Calling You: Je te passerai un coup de fil chaque semaine pour te rappeler que l’enseignement des adultes c’est important.
Ce billet est le premier d’une série sur les qualifications en Afrique menée par Omar Arias.

Auteurs

David Evans

Senior Fellow, Center for Global Development

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