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La 10e épidémie d'Ebola en République démocratique du Congo (RDC), la deuxième plus grande épidémie au monde, a été déclarée le 1er Août 2018. Cette épidémie constituait un défi d’autant plus sérieux qu’elle a éclaté dans une zone active de conflit et a été considérée comme une urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pendant des années, les fréquentes attaques de plusieurs groupes armés ont affecté les communautés et ont souvent interrompu les interventions de réponse d’urgence. Ces années de conflit armé et d'instabilité politique ont par ailleurs créé un climat de méfiance à l'égard des intervenants.
Au cours des 22 mois qu’a duré l'épidémie, deux vaccins différents ont été administrés à plus de 300 000 personnes.
Comprendre les perceptions de la communauté
La Cellule d'analyse en sciences sociales (CASS) a été mise en place par l'UNICEF pour soutenir une intervention rapide du gouvernement en réponse à Ebola. Cette plateforme intégrée réunit des acteurs multidisciplinaires et permet de fournir des analyses en sciences sociales rapides pour informer en temps réel les interventions de riposte. La CASS a travaillé aux côtés de la Cellule d'analyse épidémiologique soutenue par l'OMS, menant des études régulières pour comprendre les perceptions de la communauté et du personnel de santé ainsi que les comportements relatifs à la recherche de soins de santé, afin d'adapter et d’améliorer les stratégies d'intervention, y compris en matière de vaccination. C'était la première fois que des données épidémiologiques et sociales intégrées étaient analysées ensemble au cours d'une épidémie en vue de mieux comprendre les tendances et leurs causes et effets potentiels. La CASS collabore avec des chercheurs locaux pour s'assurer que les données soient collectées en langues locales et que les résultats soient partagés avec les communautés.
Les résultats d'une méta-analyse sur la perception communautaire conduite en novembre 2019 ont permis l'adaptation et le développement de stratégies d'engagement communautaire autour des enjeux de vaccination, d'impact psychosocial, de communication des risques et d’interventions de surveillance.
En juin 2020, la CASS a assuré un suivi de ses enquêtes auprès des ménages et du personnel de santé, au moment où la 11e épidémie d'Ebola se répandait dans la province de l'Équateur.
La collecte de données selon une démarche suivie tout au long des 10e et 11e épidémies d'Ebola fournit des informations importantes sur les perceptions des communautés concernant les vaccinations et offre des perspectives éclairantes pour les opérations à venir. Les principales conclusions sont les suivantes :
- Les malentendus et les informations erronées sur le vaccin peuvent conduire à la méfiance et à l'hésitation. Le manque d’informations sur le vaccin et la stratégie de vaccination, ainsi qu’une mauvaise compréhension des effets secondaires alimentent ces perceptions. Ainsi, 23 % des répondants à Bunia et 46 % des répondants à Butembo-Katwa ont déclaré avoir refusé la vaccination en raison d'un manque d'information sur le vaccin et des critères d'éligibilité, tels que la vaccination en anneau (qui consiste à vacciner toutes les personnes ayant été en contact avec un cas confirmé d'Ebola).
- La connaissance ne suffit pas à instaurer la confiance. Dans l'enquête 2020 menée dans la région de l'Équateur, jusqu'à 92 % des répondants de la communauté ont déclaré avoir entendu parler du vaccin contre l’Ebola. Cependant, près de la moitié ont refusé le vaccin en raison d'un manque de confiance dans le vaccin (47 %), de la conviction que l'Ebola ne présentait pas de risque (jusqu'à 42 %), de la peur que le vaccin les infecte (24 %) et du manque de confiance dans le personnel de santé (14 %).
- La méfiance à l'égard des acteurs et des autorités de riposte à l'Ebola a eu un impact négatif en ce qui concerne le consentement et l'engagement de la communauté, entraînant un refus du vaccin. Des facteurs tels que le personnel de santé étranger qui administre le vaccin, le choix de lieux inhabituels pour la vaccination (en dehors des établissements de soins de santé) et la présence de la police dans certains lieux de vaccination ont conduit à la méfiance.
- Le manque de formulaires de consentement dans les langues appropriées ou locales et le manque d’implication de figures locales influentes telles que les femmes, les jeunes et les dirigeants ont eu un impact néfaste sur la sensibilisation aux vaccins.
- La confiance limitée dans le personnel de santé était causée par leur manque de formation et de sensibilisation aux vaccins. Environ 42 % du personnel de santé à Mabalako et 55 % à Mandima a déclaré avoir besoin de plus d'informations sur les vaccinations. À Beni, seulement 21 % du personnel de santé a déclaré avoir reçu une formation en matière de vaccination.
- Le personnel de santé a refusé le vaccin en raison du manque d'informations et par peur des effets secondaires. 49 % du personnel de santé n'avait pas été vacciné contre l’Ebola parce qu'il craignait des effets secondaires (46 %) ou manquait d'informations sur les endroits où se faire vacciner.
- La méfiance et la peur vis-à-vis du vaccin contre l’Ebola ont également eu un impact sur les vaccinations de routine. Ainsi, 47 % des personnes interrogées à Beni et 62 % à Mambasa ont déclaré craindre d'autres vaccinations depuis l'épidémie d'Ebola (les considérant toutes comme des vaccins contre le virus Ebola).
Leçons tirées pour le coronavirus (COVID-19)
Les principales leçons tirées des épidémies d'Ebola en RDC peuvent fournir des orientations pour la distribution des vaccins contre le coronavirus . Elles soulignent l'importance (b) d’établir une relation de confiance, de travailler avec le personnel de santé et les communautés pour comprendre comment le vaccin fonctionne, où se le procurer et quels sont les effets secondaires, plutôt que de se contenter d’annoncer l’arrivée du vaccin. Une communication ciblée des risques et un engagement communautaire seront essentiels à la réussite de la campagne de vaccination contre le coronavirus (COVID-19).
Ces leçons (b) comprennent :
- Le développement d'une stratégie de communication intégrée à la stratégie de vaccination. La communication doit être menée par des acteurs de confiance et se concentrer sur la compréhension plutôt que l'acceptation. Il s’agit notamment des informations sur l'éligibilité, l'explication des phases de suivi, la compréhension des effets secondaires, le choix de personnel de santé connu et fiable pour administrer les vaccins et le lancement rapide de campagnes de communication au niveau communautaire, en utilisant les langues et les médias locaux.
- La participation de responsables communautaires et politiques pour informer et impliquer la communauté avec des messages harmonisés afin d’éviter les informations contradictoires ou la désinformation.
- La formation du personnel de santé pour s'assurer qu'il a accès aux ressources clés et peut répondre aux questions. De courtes vidéos diffusées sur les téléphones portables permettent de renforcer la communication.
- La nécessité de fournir des vaccins aux établissements de soins de santé habituels ou à proximité.
- La nécessité de fournir des formulaires de consentement et du matériel de communication (y compris des vidéos) dans les langues locales et expliquer clairement l'essai, l'éligibilité et les effets secondaires.
- L’intégration des sciences sociales, de l'épidémiologie et des données sur l'utilisation des services afin de comprendre la dynamique de perception et pour orienter les stratégies de vaccination, de communication et la sensibilisation des communautés.
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