Publié sur Nasikiliza

La lutte contre la pauvreté : une arme efficace contre le changement climatique

Cette page en:

Image

La Mauritanie, comme ses voisins du Sahel, est aux prises avec trois fléaux : la sécheresse, la cherté des produits alimentaires et le risque sécuritaire. Ces fléaux sont, de près ou de loin, liés au changement climatique et ont pris de telles proportions qu’ils menacent la croissance économique, la stabilité et la paix.

La cote d’alerte a été atteinte en 2011, lorsqu’une sécheresse particulièrement prononcée a privé la Mauritanie de plus d’un tiers de sa récolte de céréales. Le niveau élevé des cours internationaux des produits alimentaires est venu aggraver la situation, compte tenu de la forte dépendance du pays vis-à-vis des importations de denrées (celles-ci représentent plus des deux tiers de sa consommation). Les prix des aliments ont flambé, l’approvisionnement est devenu critique, surtout dans les zones rurales, et la Mauritanie s’est retrouvée à deux doigts d’une catastrophe humanitaire.
 
La réaction des autorités a été radicale.
 
Court terme versus long terme
 
Au lieu d’avoir recours à l’aide alimentaire, le gouvernement a lancé un programme d’urgence financé sur les deniers de l’État. Le dispositif, baptisé Emel (« espoir » en arabe), prévoyait un large éventail d’interventions en faveur des populations vulnérables : distribution gratuite de nourriture aux plus démunis, subventions alimentaires pour les pauvres, banques de céréales pour les agriculteurs et, mesure vitale dans ce pays d’éleveurs, distribution d’aliments pour le bétail afin de préserver les troupeaux (et donc le capital).
 
Pari gagné : grâce à Emel, les Mauritaniens ont pu se procurer de la nourriture à des prix modérés et la crise a été évitée.
 
Mais à quel prix ? Le programme Emel représentait pratiquement 9 % des dépenses publiques totales en 2012 et 2,6% du PIB. Les conséquences du changement climatique justifiant sa poursuite, il est en passe de prendre une ampleur démesurée.
 
Au-delà de la charge budgétaire qu’ils représentent, ces programmes d’urgence finissent par perturber l’activité économique locale et, dans le cas des distributions de produits alimentaires à grande échelle, ils déstabilisent la production et les marchés nationaux. Pire, s’ils permettent d’éviter une crise à court terme, ils ne remédient pas aux causes profondes de la pauvreté ou de la vulnérabilité.
 
Le gouvernement mauritanien a conscience, nous l’avons constaté lors d’une mission récente, d’être rentré dans un engrenage intenable : l’efficacité du programme est telle qu’il a été étendu et qu’il apparaît de plus en plus comme un dispositif sur lequel peut compter le gouvernement, de même que la population. En témoigne par exemple le succès des magasins chargés de vendre les denrées subventionnées : mises en place en 2011 pour une durée de six mois, ces boutiques ont vu leur nombre doubler depuis et sont, encore aujourd’hui, bien achalandées et florissantes.
 
S’attaquer aux causes profondes de la pauvreté
 
Confrontée à la décision de maintenir ces coûteuses interventions d’urgence qui, en définitive, entretiennent le statu quo, la Mauritanie a préféré s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté afin de renforcer, à terme, la résilience.
 
Le pays teste des programmes de transferts en espèces et de bons d’alimentation en lieu et place des distributions d’urgence ; parallèlement, il est en train d’élaborer un registre national pour mieux cibler les ménages les plus démunis et leur apporter ainsi une aide plus durable. Il alloue aussi d’importants moyens à l’agriculture durable (en se fixant pour objectif de doubler la superficie de terres arables d’ici 2017) et au pastoralisme, secteur qui constitue l’un des piliers économiques et culturels de la Mauritanie. Une dynamique confortée par les travaux de la récente conférence internationale sur le pastoralisme, qui a débouché sur la déclaration de Nouakchott.
 
Les mêmes menaces qui conduisaient hier la Mauritanie à adopter, avec succès, un programme national d’urgence l’incitent aujourd’hui à adopter une stratégie de lutte contre la pauvreté globale et de grande envergure.
 
Face à la sécheresse de 2011, les autorités ont prouvé qu’elles pouvaient réagir avec clairvoyance et habileté à une urgence nationale. Le programme déployé a quant à lui démontré que, à l’opposé des mesures d’urgence, seuls des investissements sur le long terme visant à renforcer la résilience des populations constituaient une réponse adaptée au changement climatique.
 
Surtout, cette expérience aura sans doute fait comprendre, au bout du compte, que la lutte contre la pauvreté est la première des urgences en Mauritanie, avant le changement climatique. Mieux armés en cas de crise, les pauvres seront en mesure de s’adapter et de lutter.
 
D’où cette forme de « réconfort » paradoxal: la lutte contre la pauvreté est probablement la meilleure arme dont nous disposons face aux multiples menaces que fait peser le changement climatique.


Auteurs

Tom Dickinson

Spécialiste de la protection sociale à la Banque mondiale

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000