Quel est le plus grand défi de développement que doit relever l’Afrique subsaharienne aujourd’hui ? Éradiquer la pauvreté extrême qui n’affecte pas moins de 400 millions de personnes. Etant donné l’abondance des terres inexploitées et des ressources minières, ce défi n’est pas insurmontable à condition d’améliorer la gouvernance foncière. Une nouvelle étude, intitulée Securing Africa’s Land for Shared Prosperity, propose une feuille de route en dix points pour accélérer les réformes et booster les investissements en la matière, pour un coût estimé à 4,5 milliards de dollars sur 10 ans.
Cette étude décrit les étapes à suivre afin que la question du droit foncier, souvent associée au sujet controversé de l’accaparement des terres, devienne une opportunité de développement. Il s’agit d’améliorer la gouvernance foncière afin d’éviter que les petits exploitants et les communautés locales soient privés de leurs terres mais aussi d’encourager les investissements au profit de tous.
Une meilleure gouvernance des terres permettra d’augmenter la productivité des petites exploitations et motivera les investisseurs à acquérir, de manière responsable, des terres inexploitées en vue de passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale.
Cependant, les défis restent nombreux. Tout d’abord, en Afrique subsaharienne, 90 % des terres rurales ne sont pas enregistrées et sont donc sujettes aux appropriations et expropriations sans compensation équitable. Les réformes et les investissements à mettre en œuvre d’ici une décennie doivent consister à établir des titres de propriété sur toutes les terres communales et sur les terres individuelles à fort potentiel. Il s’agit aussi de régulariser les droits des squatters installés sur des terrains publics en zone urbaine, sachant que 70 % de la population des villes d’Afrique habite dans des bidonvilles et que ces habitants sont constamment menacés d’expulsion. Autre problème majeur : l’absence de gouvernance et la prévalence de la corruption qui favorisent le statu quo. Le manque de volonté politique des gouvernements africains et les difficultés à obtenir le soutien de la communauté internationale constituent également un défi.
Il n’en reste pas moins que les conditions pour agir n’ont jamais été aussi propices qu’aujourd’hui.
- Premièrement, l’envolée des prix des denrées de base et l’expansion des investissements directs étrangers accroissent les perspectives de rentabilité des investissements dans l’administration foncière. Une meilleure gestion des terres entraîne des gains de productivité, une augmentation des revenus et un retour sur investissement plus élevé.
- Deuxièmement, l’Union africaine a élaboré un cadre de politique foncière qui est aujourd’hui en cours d’application. Cette initiative africaine, de même que des initiatives mondiales telles que les Principes pour des investissements agricoles responsables ou les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, proposent une vision commune ainsi qu’un cadre politique pour promouvoir les réformes.
- Troisièmement, la plupart des pays d’Afrique se sont dotés de lois qui reconnaissent les droits fonciers coutumiers et l’égalité des sexes, ce qui est essentiel pour catalyser et soutenir les réformes.
- Quatrièmement, les nouvelles technologies, en particulier les satellites et les technologies de l’information et de la communication, contribuent à réduire les coûts et à faire bénéficier un nombre croissant de personnes d’une meilleure gouvernance foncière.
Il y a environ deux semaines, j’ai présenté notre programme en dix points à l’assemblée générale du Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA), qui réunit le plus grand nombre de scientifiques spécialistes de l’alimentation et de l’environnement, de représentants du secteur privé et de responsables de la société civile. Alhaji Inusah Fuseini, ministre chargé des terres et des ressources naturelles du Ghana, s’y est exprimé ainsi : « à elles seules, les terres représentent plus de 75 % du PIB de [notre] pays. Le régime de propriété et le mode de gestion des terres déterminent largement les performances de notre économie ». Il faut voir dans cette déclaration encourageante des raisons d’espérer, et un appel à l’action et au changement.
Le programme en dix points offre une feuille de route utile, à laquelle les pouvoirs publics, les chefs d’entreprise et la société civile peuvent adhérer. Il faut que les différents acteurs unissent leurs forces pour que nous puissions faire définitivement disparaître la menace des appropriations de terres et le fléau de la pauvreté en Afrique.
Investir dans la gouvernance foncière permettra d’améliorer les rendements agricoles et d’augmenter les revenus des petits exploitants dans les zones rurales. Dans le même temps, une offre plus abondante s’accompagnera d’une baisse des prix des denrées dans les villes et les métropoles d’Afrique en plein essor, au profit de la population urbaine pauvre qui est contrainte d’acheter des produits alimentaires faute de pouvoir en cultiver. La majorité des citadins pauvres qui vivent dans des bidonvilles n’aura plus à craindre d’être délogée.
Une meilleure gouvernance des terres, c’est le gage d’un avenir meilleur pour tous les Africains.
Frank F.K. Byamugisha est spécialiste des questions foncières pour la Région Afrique de la Banque mondiale et l’auteur d’un rapport récent : « Securing Africa’s Land for Shared Prosperity: a Program to Scale Up Reforms and Investments ».
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