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« La Terre est verte et belle. Mais il faut bien se nourrir »

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@ThomasDickinson/World Bank

Le mois dernier, pendant un séjour en Mauritanie, j’ai fait une halte dans un village au nord du fleuve Sénégal. Le vieil homme avec qui je prenais le thé, sous une tente qui avait connu des jours meilleurs, me montre alors la savane environnante : un patchwork de prairies d’où émergent ponctuellement quelques acacias.
 
« Quand j’étais petit, tout ça était recouvert d’une forêt dense. Enfants, nous avions peur de rentrer chez nous à la nuit, à cause des bêtes sauvages qui auraient pu nous dévorer. »
 
« Que s’est-il passé ? »
 
« Je n’en sais rien, répond-il en haussant les épaules. Nous avons juste coupé les arbres pour le bois et donner des pâturages à notre bétail. Et voici le résultat. »
 
Autour de nous, il n’y a que quelques vaches et des chèvres en train de brouter. Avoir sacrifié la forêt ne semble guère avoir enrichi cette communauté ni profité à la population.
 
Le lendemain, après avoir lu les enseignements de l’islam sur la question, d’une clarté et d’une élégance remarquables, je retourne voir mon hôte. Nous nous installons à nouveau à l’abri du soleil : « N’est-il pas vrai que ‘la Terre est verte et belle et qu’Allah a fait de vous ses gardiens’ ? ».
 
« C’est vrai. Mais il faut bien se nourrir. »
 
Sans y toucher, cet homme vient de me rappeler que certains impératifs prendront toujours le pas sur les aspirations environnementales, voire spirituelles.
 
La pauvreté agit comme une contrainte où la satisfaction des besoins immédiats se fait au détriment de l’avenir. Quand une mauvaise gestion des ressources ou un seul épisode de mauvais temps peut provoquer une catastrophe, faire sombrer les populations dans la famine ou même les condamner à mort, cela revient à marcher sur un fil. Être pauvre, c’est risqué.

@ThomasDickinson/World Bank

Alors même que les pauvres consomment nettement moins que les riches, ce sont eux qui souffrent le plus de la dégradation de l’environnement parce qu’en général, leur survie dépend des ressources locales. Soumis à un stress — pression démographique, surexploitation, changement climatique ou simple malchance — les écosystèmes s’affaiblissent au risque de disparaître. Et c’est ainsi que des centaines de millions d’habitants des pays en développement se retrouvent plongés dans une crise écologique majeure : disparition des forêts et de la vie sauvage, érosion des terres arables, risques accrus de sécheresse, d’inondations ou de glissements de terrain…
 
Résoudrons-nous cette crise en mettant fin à la pauvreté ? Nous libérerons certes ainsi les pauvres de leur dépendance vis-à-vis des ressources locales, mais l’accès soudain de ces milliards d’êtres humains à la consommation constituera un choc sans précédent pour l’environnement. Soyons lucides : alors que pratiquement 3 milliards de personnes vivent actuellement avec moins de 2 dollars par jour, notre empreinte écologique dépasse déjà de 1,5 fois les capacités biologiques de la planète. Et les 12 % de la population mondiale vivant en Amérique du Nord et en Europe occidentale représentent 60 % environ de la consommation privée, contre un tiers en Asie du Sud et à peine 3,2 % en Afrique subsaharienne. L’écosystème planétaire va avoir le plus grand mal à absorber l’arrivée de ces 3 milliards de consommateurs supplémentaires.
 
Alors bien sûr, mettre fin à la pauvreté reste un impératif moral. Mais on ne peut pas dissocier ce combat de la question environnementale. Car, pour les pauvres, l’environnement est à la fois une opportunité et un piège. Les ressources naturelles peuvent les extraire de la pauvreté ou les y enfermer.
 
Concrètement, mettre fin à la pauvreté et préserver l’environnement sont les deux faces d’une même médaille, à l’échelon local et mondial, et l’on ne peut marquer des points sur un front sans tenir compte de l’autre. L’être humain doit consommer pour vivre et, quand il est pauvre, cette survie passe par les ressources locales. Donc le combat écologique doit associer les pauvres. Faute de quoi, la hausse de la consommation qu’entraînera le reflux de la pauvreté sera délétère pour l’environnement.
 
Poursuivons l’un de ces objectifs indépendamment de l’autre, et nous allons tout rater. À l’image de ce village qui a perdu ses arbres.

Auteurs

Tom Dickinson

Spécialiste de la protection sociale à la Banque mondiale

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