Publié sur Nasikiliza

L’approche axée sur l’obtention de résultats rapides : une solution plus adaptée à la réforme du secteur public au Sénégal ?

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« Je suis fière de moi, vraiment », confie Rokhaya Niang tout en travaillant. Elle et son équipe n’ont eu que 100 jours pour rationaliser et accélérer le traitement des demandes de lotissement de l’antenne locale du ministère de l’Urbanisation, à Rufisque, une ville située à 25 kilomètres à l’est de Dakar. Futur siège de l’administration nationale, la région est en plein boum et le service de Rokhaya est engorgé par des dossiers qui n’ont pas été traités à temps.

Début 2017, la Banque mondiale a testé un projet destiné à accélérer la mise en œuvre d’un programme de modernisation du secteur public voulu par les autorités sénégalaises. Ce projet pilote s’attaquait à deux des 50 procédures visées par le programme : le traitement des demandes de lotissement géré par le ministère de l’Urbanisation et les raccordements au réseau d’eau confiés à une entreprise privée.
 
Misant sur une intervention courte mais intensive pour éviter l’inertie qui, jusque-là, avait fait avorter tous les efforts de réforme descendante, le projet a opté pour une approche axée sur l’obtention de résultats rapides. Cette démarche consiste à révéler les capacités et le potentiel inutilisés au sein des organisations, en permettant au personnel qui connaît le mieux une procédure donnée d’identifier des solutions et, ce faisant, ouvrir concrètement la voie aux réformes. C’est ainsi que, malgré sa fonction relativement subalterne, Rokhaya s’est retrouvée chargée d’une mission ambitieuse : apurer les dossiers en instance.
 
Ce n’est pas la première fois que la Banque mondiale utilise cette approche — elle le fait depuis 15 ans au Burundi, à Madagascar ou au Kenya, y compris à grande échelle — mais, parce qu’elle est en phase avec le concept, plus récent, de science de la prestation, celle-ci revêt un nouvel intérêt. Plutôt que de planifier par le haut et ex ante, il s’agit de privilégier la qualité de la mise en œuvre et de développer les capacités d’adaptation en interne.
 
Particulièrement efficaces pour identifier des problèmes, mobiliser les troupes et corriger le tir, mais aussi pour encourager la performance, ce type d’approche n’est pas adaptée à toutes les situations ni à tous les profils. Du côté du client, le gouvernement doit mobiliser — et faire perdurer — un soutien politique et stratégique de haut niveau, ce qui signifie que l’initiative doit bénéficier d’un champion motivé et d’une « fenêtre d’opportunité ».
 
De l’importance d’un soutien affirmé
 
Dans le cas du Sénégal, l’équipe a bénéficié du soutien du président, attaché personnellement à la réforme de l’administration publique. Mais cela n’annule pas les inévitables arbitrages à réaliser : les ministères doivent réaffecter des moyens humains importants, notamment à court terme, ce qui peut rejaillir négativement sur d’autres secteurs importants. Sans oublier la difficulté de trouver localement des individus capables de parrainer les équipes… ou le risque de mettre au jour des problèmes de gouvernance. Dans notre exemple, c’est probablement ce facteur qui a provoqué le remaniement inattendu d’un service entier du ministère de l’Urbanisation.
 
Pour autant, cette plongée fortuite au cœur de l’administration publique s’est révélée extrêmement riche et précieuse, comme nous le relatons dans cet autre billet.
 
L’approche axée sur l’obtention de résultats rapides mobilise aussi d’importantes ressources humaines au sein de la Banque mondiale : pas forcément coûteux (100 000 dollars dans le cas du Sénégal), ce type de projet peut se révéler extrêmement gourmand en personnel et chronophage. Ainsi, la fixation des limites pour la phase pilote, dont notamment certaines clarifications sur le rôle de la Banque mondiale et la prise en charge des dépenses quotidiennes sur place, a pris beaucoup de temps. Sachant également qu’un projet à résultats rapides ne sera pas forcément jugé prioritaire ou intéressant par rapport à d’autres opérations de grande envergure — et qu’il ne produira des résultats structurels concrets qu’à l’issue de nombreuses itérations (au Burundi, par exemple, nous en sommes à 245…). Toutes ces caractéristiques ne sont pas toujours compatibles avec la durée d’un cycle de projet, voire avec le calendrier stratégique du pays.
 
Quoi qu’il en soit, Rokhaya et les autres personnes mobilisées ont bel et bien obtenu des résultats : au bout des 100 jours, les délais de raccordement à l’eau ont été réduits de moitié et 308 demandes en attente ont été traitées ; l’équipe du ministère de l’Urbanisation est quant à elle venue à bout de 62 dossiers en instance (dont certains remontaient à 2011) et a pu traiter huit des dix nouvelles demandes de lotissement en 60 jours — soit deux fois moins que le délai légal.
 
Reste à voir si, dans les mois qui viennent, ces améliorations se confirmeront et se généraliseront — et si le gouvernement étend l’exercice aux 50 procédures prioritaires qu’il a retenues.
 
Avec du recul, c’est peut-être le choix de la bonne approche qui aura été l’exercice le plus facile.


Auteurs

Tom Dickinson

Spécialiste de la protection sociale à la Banque mondiale

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