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Le Cameroun peut-il atteindre l’émergence à l’horizon 2035?

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Au début des années 1980, après une décennie de forte croissance, le Cameroun était comparé aux économies d'Asie de l'Est. Cette célébrité s'est brusquement arrêtée à la fin des années 1980, lorsque le pays s’est enfoncé dans l’une des périodes de récessions les plus profondes et les plus prolongées de l’histoire. La dette - auparavant maîtrisée – a explosé, les banques se sont écroulées et la pauvreté a augmenté. La dette libellée en devises a atteint 100% du PIB, suite à la dévaluation de 50 % du franc CFA.  Cela a déclenché le processus d'allégement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) dont le Cameroun est parvenu à sortir en 2006. Depuis, les autorités se sont fixé comme objectif de devenir un pays à revenu intermédiaire haut d'ici 2035, ancrant leur stratégie de croissance sur la construction d'infrastructures structurantes. Après un certain succès initial, avec une croissance réelle qui est passée de 1,9 % à 5,9% entre 2009 et 2014, le pays est de nouveau confronté à des tensions budgétaires. Et en seulement 3 ans, son risque de surendettement est passé de faible à élevé.

Le Cameroun peut encore devenir un pays à revenu intermédiaire haut d'ici 2035 (figure 1), mais il devra ancrer sa stratégie de croissance sur autre chose que l'accumulation de capital.

Figure 1  : Parvenir au statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure en 20 ans est une entreprise titanesque
 

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Source : Indicateurs du développement dans le monde (NY.GDP.KD).
Notes : Le niveau de revenu intermédiaire de la tranche supérieure fixé par la Banque mondiale en 2016, qui est de 4 036 dollars par habitant (RNB en USD selon la méthode de l’Atlas), est établi à un PIB de 3 973 dollars par habitant (USD de 2010) en supposant que le PIB et le RNB enregistrent un même taux de croissance.

Pour devenir un pays à revenu intermédiaire haut d’ici 2035, le Cameroun devra accroître sa productivité et libérer le potentiel de son secteur privé. Telles sont les principales conclusions du Mémorandum économique du Cameroun (CEM) récemment achevé par la Banque mondiale et intitulé «Marchés, administration publique et croissance». Son PIB réel devra croître d'environ 8 %, ce qui nécessitera une augmentation du taux d'investissement d'environ 20% du PIB à 30% et une croissance de la productivité de 2% par an, comparé à son taux moyen de croissance de 0% au cours de la dernière décennie.

Ce sont des défis titanesques. Maintenir un tel niveau de croissance pendant plus de 20 ans n’a été réalisé que par très peu de pays : la Chine, la Corée, le Vietnam, et le Botswana. Et seuls 5 % des pays de la planète sont parvenus à augmenter de 2 % leur taux de productivité des 25 dernières années.

Pour relever ces défis, le secteur public devra se réinventer. En analysant rigoureusement l’économie camerounaise, le Mémorandum économique identifie les obstacles à la croissance, explore les contraintes à surmonter pour améliorer la compétitivité, examine le rôle actuel de l'État et formule un ensemble de recommandations pratiques.

Des marchés plus concurrentiels favoriseraient des gains de productivité. Divers facteurs freinent aujourd’hui la concurrence. Parmi eux, une forte concentration du marché, certaines réglementations gouvernementales et la prise de participations de l’État dans de nombreuses grandes entreprises, ce qui décourage l’investissement privé. La limitation de la concurrence dans l’environnement économique camerounais conduit à une répartition considérablement inefficace des ressources, où les entreprises plus productives le sont en moyenne 10 fois plus que les entreprises moins productives.

La faible compétitivité de l’économie camerounaise à l’échelle nationale, régionale et internationale est un indicateur des distorsions qu’entraîne la forte participation de l’État à l’activité économique.

De fait, la très forte participation de l’État dans le secteur productif limite la concurrence locale. Le Cameroun est classé 109e sur 144 pays en matière de  vitalité de la concurrence au niveau national et occupe le 78e en ce qui concerne l’efficacité de la politique de concurrence. Seules quelques grandes entreprises se partagent la plupart des secteurs et sous-secteurs de l’économie : 31 % des entreprises manufacturières opèrent en situation d’oligopole, de duopole ou de monopole, contre respectivement 25 % et 22 % au Kenya et au Ghana. Dans les sous-secteurs représentant des intrants essentiels pour d’autres activités — télécommunications, transports et électricité — une seule entreprise est active. Même lorsque l’État n’est pas l’actionnaire majoritaire, il dispose souvent de droits particuliers qui renforcent son influence sur les décisions de l’entreprise.

Il est temps que le Cameroun adopte un ensemble coordonné de politiques publiques afin de s’éloigner d’une stratégie de croissance ancrée sur l'accumulation de capital. Cela permettrait de promouvoir la croissance en augmentant la production et en stimulant l'innovation, en favorisant la compétitivité en encourageant la concurrence au niveau local, régional et mondial. De cette manière, l’État pourra se retirer de la production pour se recentrer sur ses fonctions fondamentales de régulation et de promotion économique.

Le Mémorandum économique du Cameroon propose une série de mesures concrètes pour promouvoir la croissance, favoriser la compétitivité et recentrer l’Etat sur ses fonctions principales pour assurer que la Vision 2035 soit à portée de main. Quelques une d’elles sont :

  • Suspendre les incitations fiscales et les subventions aux entreprises déficitaires et mettre fin aux monopoles publics dans les marchés contestables.
  • Adopter une stratégie agressive d'attraction des IDE ciblant les multinationales opérant dans des secteurs à fort potentiel de création d'emplois et d'exportation.
  • Déréglementer l'industrie du camionnage pour accroître la concurrence afin de réduire les prix des transports et améliorer la qualité des services.
  • Réguler la propriété commune de l'exploitation des infrastructures portuaires et ferroviaires (tarifs et fret) afin d'éviter les restrictions à la concurrence et la tarification monopolistique.
  • Restructurer la gouvernance de la gestion des entreprises publiques afin d'encourager la performance tout en atténuant l'impact sur la concurrence.
  • Se retirer de la production dans les secteurs où le secteur privé a déjà réussi.

Auteurs

Souleymane Coulibaly

Chef de programme et économiste en chef pour l’Afrique centrale

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