J’ai longtemps pratiqué la médecine sur le terrain au Nigéria, mais rien ne m’avait préparé au choc que j’ai ressenti en participant à l’élaboration du projet d’investissement dans le secteur nigérian de la santé.
Après trois années dans le public en début de carrière, j’avais opté pour le privé, où j’ai travaillé plus de dix ans. Je ne pouvais pas imaginer l’état de délabrement des infrastructures publiques, des toits qui fuient aux piles d’ordures en passant par les équipements hors d’usage et les ruptures sans fin de stocks de médicaments. Sans parler du moral du personnel soignant, aux premières loges, obligé parfois de ruser pour assurer un service correct aux patients, en achetant son propre stock de médicaments.
Comment s’étonner, dans ces conditions, de la désaffection du public et de la qualité déplorable des soins ?
Rien ne distinguait vraiment Wamba, une commune de l’État de Nasarawa, du reste du pays. En moyenne, la fréquentation des centres atteignait entre 5 et 30 patients par mois, pour 2 à 5 accouchements. Dans l’apathie générale : la population n’avait pas son mot à dire dans la gestion de ces structures et les employés étaient en sureffectifs pour une activité quasiment nulle. Je redoutais par-dessus tout cette forme d’indifférence. De fait, personne ne semblait s’alarmer de la situation. Je n’aime pas devoir rapporter cette anecdote, mais un jour, candidement, un des consultants rwandais associés au projet a demandé « quand la guerre s’était terminée ici ? ». ça en dit long, n’est-ce pas ? Dans ces conditions, on pouvait à juste titre douter de la réussite de la stratégie de financement axé sur les résultats appliquée aux centres de santé primaires du Nigéria, alors même que cette nouvelle approche avait été couronnée de succès au Rwanda. Pour en avoir le cœur net, nous avons tenté notre chance.
Grâce au financement initial des États participants (Adamawa, Nasarawa et Ondo), nous avons lancé une opération pilote en novembre 2011. Chacun a retroussé ses manches, du personnel de la Banque mondiale aux partenaires gouvernementaux sans oublier les consultants rwandais. Il a fallu renforcer les capacités du personnel municipal et des prestataires de santé, mobiliser les habitants et trouver de quoi compléter les ressources publiques. Les centres de santé ont commencé à recevoir leurs dotations directement, en fonction de la quantité de services essentiels dispensés et de l’amélioration des soins prodigués. Cela les a incités à privilégier les résultats et l’argent les a aidés à améliorer leurs services. Ces structures semi-autonomes ont désormais leur propre compte en banque. Elles achètent leurs médicaments auprès de distributeurs agréés et consacrent la moitié de leurs primes à la performance à l’entretien des installations, le reste finançant des incitations pour le personnel soignant.
En 15 mois, la situation sur ces sites pilotes a radicalement changé. Dans les États de Nasarawa et d’Adamawa, le nombre de patients a bondi de 200 à 300 %. De même, les accouchements en maternité sont passés de 12 à 28 % dans l’État d’Adamawa, de 11 à 34 % dans celui de Nasarawa et de 17 à 33 % dans celui d’Ondo. Le projet a aidé les centres de santé à regagner la confiance des communautés en améliorant significativement le volume de médicaments et la quantité d’équipements disponibles mais aussi l’hygiène et la prise en charge. Le docteur Gabriel Attai, de l’hôpital général de Wamba, a récemment affirmé que « grâce à un environnement de meilleure qualité, le nombre de consultations par jour est passé de 5 à 10 auparavant à 70 à 100 en moyenne ». La vidéo présentée ici (an anglais) vous fera découvrir les témoignages d’habitants de Wamba.
J’ai pour ma part l’impression d’assister à une résurrection : alors que l’acte de décès des soins primaires dans des communes comme Wamba avait été signé, le financement axé sur les résultats leur a rendu la vie. Pour le docteur Ado Mohammed, directeur exécutif de l’Agence pour le développement national des soins primaires (NPHCDA), cette stratégie a « changé la donne ». Je suis bien d’accord. Si les chiffres de fréquentation se sont redressés, que dire des gains incroyables en termes de qualité des soins ? Les locaux sont plus propres, les déchets mieux gérés et les patients ont accès à des WC et des salles de bain. Les centres qui connaissaient avant les pires pénuries ont désormais des stocks de médicaments essentiels. Les salles d’accouchement sont propres et bien équipées. Grâce aux incitations et à une meilleure supervision, le personnel est motivé. Et la collectivité s’est appropriée ces centres, en fournissant par exemple des infrastructures supplémentaires.
Voici quelques mois, j’ai accompagné le ministre d’État de la Santé, le docteur Mohammed Ali Pate, pour une visite dans des centres de Wamba couverts par le programme de financement à la performance. L’activité battait son plein à l’hôpital général. Auparavant, nous étions allés dans des centres hors programme et le contraste était impressionnant. Le Nigéria souhaite généraliser cette approche. Notre ambition, c’est de parvenir à toucher plus de 9 millions d’habitants dans les six prochains mois. Qui sait ? Nous assistons peut-être à la naissance d’une nouvelle forme de « science de la prestation » dans le secteur de la santé nigérian...
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