L'utilisation des technologies numériques pour résoudre les défaillances du marché dans l'agriculture suscite beaucoup d'enthousiasme. Selon une publication de la Banque mondiale qui paraîtra bientôt, elles peuvent soutenir des systèmes alimentaires plus efficaces, équitables et respectueux de l'environnement en réduisant les coûts de transaction tout au long de la chaîne de valeur agroalimentaire et en permettant de fournir des conseils de plus en plus personnalisés aux agriculteurs. L'expérience nous suggère cependant de ménager nos attentes et de faire attention à ne pas penser que ces technologies résoudront tous nos problèmes. Si vous avez déjà passé une journée entière à essayer de connecter une imprimante à un ordinateur ou si vous avez perdu des heures de travail en raison d’une erreur de votre programme informatique, vous comprendrez ce que nous voulons dire. Parce que lorsqu'il s'agit de technologie numérique, ce qui semble souvent simple, finit par être très compliqué, même en 2020. Tout comme certaines imprimantes, toutes les technologies ne sont pas suffisamment matures pour réparer notre système alimentaire.
Alors, qu'est-ce que cela dit d'un projet visant à utiliser les technologies numériques pour stimuler la production de noix de cajou au Bénin, en Afrique de l'Ouest ? Bon, trêve de suspens: vous devez être créatif et incroyablement persévérant.
Le Bénin produit actuellement environ 3,8 % de la production mondiale en noix de cajou et est déterminé à optimiser ses chaînes d’approvisionnement agricoles, de la ferme aux usines, afin d’améliorer encore son avantage concurrentiel . Avec le soutien de TechnoServe, une ONG basée à Washington, le pays vise à numériser son secteur de la noix de cajou en déployant la big-tech pour la petite agriculture afin d'organiser les agriculteurs et d'améliorer la qualité.
La première étape de cette initiative a été le lancement d'une bibliothèque numérique des meilleures pratiques agricoles pour la culture de la noix de cajou. L'idée paraissait simple: la bibliothèque serait accessible aux vulgarisateurs à travers le pays via une fonction de chat mobile automatique, ou ce que nous appelons communément un chatbot (ou boîte de dialogue en ligne).
Mais comment connecter un vulgarisateur de la région du Borgou au Bénin à un moteur de traitement linguistique compatible Google hébergé aux États-Unis?
Vérification de la réalité
Quiconque a récemment visité une boutique en ligne sait que les chatbots sont partout de nos jours. Ces communicateurs artificiels sont passés d'une fenêtre contextuelle ennuyeuse sur une page Web à des outils de plus en plus utiles pour connecter les utilisateurs à des informations. Alors pourquoi ne pas apporter cette technologie aux vulgarisateurs au Bénin ?
Mais par où commencer et avec quels prestataires devriez-vous vous associer ? Il existe de nombreux fournisseurs de technologie, et ils affirment tous que tout est techniquement faisable. Mais ce n'est que lorsque vous créez votre premier produit minimal viable (PMV) que vos hypothèses les plus élémentaires sont remises en question. C'est à ce moment que vous commencez à plonger vos orteils dans les eaux glacées de la «mise en œuvre».
Les questions vont commencer à affluer: y a-t-il une connectivité Internet ? C'est évident, mais le diable se cache dans les détails. Par exemple, comment expliquez-vous des pratiques agricoles complexes dans des SMS de 140 caractères? À bien des égards, les vulgarisateurs ne sont pas très différents des acheteurs en ligne. Ils sont pointilleux sur la convivialité et vous devrez bientôt comprendre que la technologie n'est utile que si elle est conviviale . Cela vous prépare aux tests utilisateur.
La bonne nouvelle est que les tests sont plus faciles que vous ne le pensez et parfois vous devez simplement faire preuve de créativité, comme faire semblant d'être un chatbot (un soi-disant prétendotype) pour simuler et apprendre comment les utilisateurs interagiraient avec la technologie. L'enregistrement, la mesure et l'apprentissage de ces expériences vous permettent de comprendre les besoins des utilisateurs - ainsi que d'apprendre que certains utilisateurs flirtent avec un chatbot agricole tandis que d'autres se renseigneront sur les opportunités d'emploi.
Beaucoup d'itérations
Au Bénin, l'un des principaux défis était de fournir des services de chat sur une variété de plates-formes de communication. Il a fallu une dizaine de PMV distincts pour identifier les bons fournisseurs de services et interfaces utilisateur et pour lancer la première version publique du BeninCajù Chatbot sur SMS, WhatsApp et Facebook. Étonnamment, le canal le plus ancien et le plus fiable - SMS - s'est avéré être le plus difficile à déployer. Fournir une communication SMS bidirectionnelle automatisée à un coût raisonnable semblait impossible. Les acteurs les plus importants de l'espace des chatbots, comme Twilio, n'ont pas encore pénétré de nombreux marchés africains et les alternatives disponibles au Bénin étaient bien trop chères.
Encore une fois, la solution a nécessité un peu de créativité et de recâblage des solutions existantes. Nous avons fini par héberger une carte SIM virtuellement dans un autre pays et transmettre des messages à l'autre bout du monde pour obtenir les bonnes réponses aux vulgarisateurs sur le terrain. Cela a permis à la technologie de s’appuyer sur l’infrastructure de télécommunications existante du Bénin et a également permis d’apporter des services que les télécommunications locales n’étaient pas en mesure d’offrir.
Grâce à notre expérience, nous avons appris qu'il y a trois principales actions que les gouvernements peuvent prendre pour lancer avec succès des solutions innovantes pour attirer les acteurs technologiques vers de nouveaux marchés à travers l'Afrique :
Premièrement, une étape évidente: les gouvernements doivent créer des environnements favorables à la technologie et permettre aux innovateurs d'éclairer les politiques. Ils doivent veiller à ce que le pays dispose d'un secteur des télécommunications compétitif et d'un accès au marché pour une gamme de services fournis depuis l'étranger.
Deuxièmement, une étape logique: les gouvernements doivent investir dans l'innovation institutionnelle pour créer des réseaux de parties prenantes. Cela soutient le partenariat public-privé et connecte les cas d'usage aux fournisseurs de technologie, révélant souvent des opportunités de marché manquées et attirant des acteurs technologiques dans leurs pays.
Et enfin, une étape souvent douloureuse: les gouvernements et les donateurs qui investissent dans l'innovation doivent être préparés aux échec en cours de route. L'échec fait partie des projets technologiques réussis, à condition que les échecs conduisent à l'apprentissage et à de meilleurs résultats. Les gouvernements et les donateurs peuvent aider à définir les résultats souhaités - en laissant les méthodes créatives aux entrepreneurs - et en créant des canaux de partage des connaissances qui soutiennent le renforcement de l'expérience dans la mise à l'échelle de la technologie pour le secteur des technologies agroalimentaires.
À l'instar des chaînes de valeur agricoles, la chaîne de valeur numérique de la révolution technologique africaine doit également être réparée. Une action politique peut attirer les entreprises technologiques vers de nouvelles opportunités commerciales, permettant à terme aux fournisseurs de technologie de prouver leurs capacités sur le terrain et de transmettre leurs connaissances aux acteurs locaux.
Ce billet fait partie de notre série What's cooking ? Repenser la politique agricole et alimentaire à l'ère du numérique (a). Nous invitons des personnes de tous les horizons et de points de vue différents à nous rejoindre et à nous faire part de leurs commentaires. À travers cette conversation mondiale sur l'alimentation et la technologie nous espérons ainsi recueillir certaines des meilleurs idées du moment.
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