Alors que notre véhicule roule sur une piste pleine de nids-de-poule dans une région isolée de la République centrafricaine (RCA), nous passons devant un ensemble de cabanes éparses. Ces zones, qui ont été pillées par divers groupes armés de passage, sont dans un dénuement frappant.
Mon équipe et moi sommes ici pour préparer la mise en œuvre du Projet de connectivité rurale, financé à hauteur de 45 millions de dollars par la Banque mondiale. Enclavé au milieu du continent africain, la RCA est l'un des pays les plus pauvres du monde, classé au 188e rang sur 189 de l'Indice de développement humain (2018). Nous nous rendons de Bangui, la capitale, à la préfecture d’Ouham, dans le nord-ouest du pays, pour inspecter les routes à réhabiliter dans le cadre du projet.
Le long voyage m'a donné le temps de réfléchir. En atterrissant à l'aéroport de Bangui, fin 2016, pour la première de plusieurs missions, j'avais vu une ville constellée de tentes. Il s'agissait d'un camp pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays, qui s'était formé à côté de la piste de l'aéroport. Grâce aux troupes militaires qui y étaient stationnées, l'aéroport était devenu un refuge contre la violence. On estime que le conflit qui a commencé en 2013, a déplacé environ 25 % de la population, et que l'anarchie règne dans une grande partie du pays. La MINUSCA, la force de maintien de la paix des Nations Unies, est présente dans le pays depuis 2014. Et la Banque mondiale est l'un des premiers bailleurs internationaux à s’être réengagé de manière significative après le conflit.
Depuis lors, la situation sécuritaire du pays évolue constamment sous nos yeux et cette imprévisibilité représente un défi permanent pour la mise en œuvre du projet. Les visites sur le terrain exigent beaucoup de planification et de coordination avec les partenaires et, à cause de la situation instable, il arrive souvent de devoir annuler un voyage à la dernière minute.
Alors que nous avançons vers le nord, les forces de maintien de la paix camerounaises viennent escorter notre véhicule pour nous protéger et nous demandent de porter des casques ainsi que des gilets pare-balles. Le trajet de Bangui à Bossangoa, dans la préfecture d’Ouham est d'environ 300 km, mais nous prendra une journée entière.
Après avoir passé la nuit dans une base des forces de maintien de la paix, nous partons tôt le lendemain pour inspecter les routes rurales. Notre chauffeur conduit prudemment le 4x4 sur la route en terre cabossée, tout en essayant de suivre le convoi qui le précède. Il n'y a qu'une poignée d'autres véhicules sur la route. On peut parfois voir jusqu’à 10 personnes entassées dans une même voiture. Le réseau routier en RCA est non seulement insuffisant, mais aussi mal entretenu. Une grande partie du pays reste hors d'atteinte du réseau routier. Et pendant la saison des pluies, certains tronçons de la route sont impraticables, ce qui isole encore plus des communautés entières.
Notre projet vise à améliorer un réseau de routes rurales, sélectionnées pour l’impact important qu’elles auront sur la production agricole. Leur réhabilitation garantirait aux agriculteurs un meilleur accès aux marchés pour vendre leurs produits et pour acheter des intrants agricoles. Elle améliorerait également l'accès aux services sociaux de base, tels que les écoles et les cliniques médicales et, faciliterait les activités humanitaires.
La région était autrefois une importante région productrice de coton, mais les principales usines de coton ont été détruites pendant le conflit. À Bossangoa, nous visitons la seule usine du pays encore sur pied. Malgré la récolte, les agriculteurs n'ont pas été payés et les dettes se sont accumulées. Le transport et la logistique demeurant des contraintes majeures, nous travaillons à assurer des synergies avec un projet agricole en préparation, qui ciblera la même zone d'intervention.
Nous nous rendons ensuite à l'hôtel de ville local pour écouter les habitants qui pourraient bénéficier du projet. Une trentaine d'acteurs locaux, dont des représentants de la communauté locale, des ONG et des industries agricoles et cotonnières, se sont réunis pour discuter du projet et partager leurs idées d'améliorations. Une grande variété de sujets sont abordés, allant de l'emplacement précis des goulots d'étranglement dans le réseau routier, au besoin d'unités de stockage près des marchés. Ce qui m’encourage le plus, c’est que les groupes communautaires dirigés par des femmes, bien qu'ils soient moins nombreux, expriment leurs besoins eux aussi.
Nous terminons la visite par une rencontre impromptue avec Clotilde Namboi, la chef de la préfecture d'Ouham, qui se tient dans un coin du patio situé devant chez elle. Elle est très curieuse de savoir comment nous allons impliquer la communauté dans la mise en œuvre du projet. Un élément important du projet comprend des travaux publics à haute intensité de main- d’œuvre, confiés à des équipes communautaires qui effectueront des tâches non mécanisées, par exemple le défrichage de la végétation le long des routes, le comblement des nids-de-poule ou le nettoyage des ponceaux. Adapté d'un autre projet en cours, le projet utilise un système transparent de tirage au sort pour la sélection des ouvriers. L'objectif est de faire participer les communautés locales et de fournir des emplois temporaires aux groupes vulnérables, tels que les anciens combattants, les femmes et les jeunes. Le projet sera conçu de telle sorte que les femmes devront représenter au moins un tiers de la population active qui y participera. Il fournira également à chaque équipe une formation et des outils pour effectuer le travail, y compris des bicyclettes pour se rendre sur le lieu de travail.
Ce que je trouve le plus frappant, c’est que le projet a des impacts potentiels qui vont bien au-delà de l’infrastructure. La remise en état de la route permettra d'améliorer la connectivité, mais peut aussi faire beaucoup plus, comme ouvrir des possibilités d'emploi, améliorer la cohésion sociale et consolider la paix. En aidant à rouvrir des régions du pays auparavant isolées, nous contribuons aux efforts de relèvement de la RCA et je quitte les lieux avec espoir.
Parfois, nos efforts pour mettre fin à la pauvreté nous entraînent dans des situations extrêmes, notamment lorsque nous devons nous rendre dans des endroits où la sécurité est presque inexistante et où les risques sont élevés. Néanmoins, les besoins dans ces lieux sont élevés eux aussi et, dans ces régions reculées de la RCA, nous avons la possibilité d'aider certaines des personnes les plus pauvres et les plus vulnérables du monde à se reconstruire au beau milieu d'un conflit dévastateur. Des moments comme celui-ci m'aident à me souvenir pourquoi j'ai voulu travailler dans le développement.
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