Les programmes de protection sociale ont prouvé leur efficacité pour réduire la pauvreté, les inégalités et la vulnérabilité. Bien que la couverture des programmes augmente à l’échelle mondiale, y compris dans les pays à faible revenu ainsi que dans les États fragiles et touchés par un conflit, des progrès peuvent encore être réalisés pour répondre à l’ampleur croissante des mouvements internes. Les connaissances limitées concernant les schémas migratoires restent un défi, notamment au Sahel, pour permettre par exemple de déterminer si les individus ou les familles se déplacent pour le travail, des raisons familiales, un mariage ou bien de force. Comprendre qui se déplace et pourquoi permettrait une meilleure conception des programmes de protection sociale au Sahel, afin d’assurer un soutien continu et de prendre en compte les différents besoins des personnes en déplacement en coordination avec d’autres services et programmes.
Une étude récente, réalisée à la demande de la Banque mondiale, recense les difficultés rencontrées par les migrants internes et les déplacés internes pour accéder aux interventions de protection sociale et en bénéficier. S’appuyant sur l'expérience internationale, elle met en évidence de bonnes pratiques afin d'intégrer les considérations liées aux mouvements internes dans les programmes et systèmes de protection sociale. Cette étude se concentre particulièrement sur le Sahel et elle offre d'importantes informations tirées d’entretiens menés dans le cadre de trois programmes de protection sociale adaptative – soutenus par le Programme de protection sociale adaptative au Sahel (PPSAS) – pour intégrer les considérations relatives aux migrations internes dans les programmes dans le Sahel. Les trois scénarios ci-dessous, qui s’appuient sur cette étude, illustrent les défis auxquels les systèmes de protection sociale sont confrontés pour répondre aux besoins des personnes en déplacement et mettent en évidence les opportunités d'adaptation de la protection sociale pour mieux répondre aux besoins des migrants internes et des populations déplacées.
Imaginez que vous soyez agriculteur et que vous viviez avec votre famille dans une zone rurale du Sahel. Bien que votre famille ait des ressources limitées, vous êtes en mesure de subvenir à vos besoins quotidiens grâce à vos chèvres et vos champs de mil. Cependant, avec les sécheresses qui s’aggravent, vous prenez ensemble la décision difficile de déménager dans une autre zone rurale offrant plus d'opportunités d’emploi. Mais à votre arrivée, vous vous rendez vite compte que vos revenus sont à peine suffisants pour nourrir vos enfants. Vous décidez de vous adresser au maire pour obtenir de l’aide, et celui-ci vous explique que votre famille doit être identifiée comme faisant partie des ménages les plus pauvres de la communauté et inscrite au registre social pour bénéficier d’un appui. Malheureusement, le processus d’identification prévu tous les 3 ans a été mis en place 18 mois auparavant, ce qui laisse votre famille sans accès à un soutien à court terme.
Opportunités pour améliorer l’inclusion des migrants :
- Renforcer l’inclusion des migrants grâce à des registres sociaux évolutifs, permettant l’enregistrement et l’actualisation des informations à tout moment — aussi bien aux points d’origine que de destination.
- S’adapter aux schémas de migration, grâce à des programmes évolutifs proposant des processus d’inscription à la demande.
- Orienter l’aide aux migrants internes par le biais des registres sociaux, de l’enregistrement des programmes et de processus de suivi, générant des données granulaires sur les dynamiques de mobilité.
- Promouvoir l’accès à l'information et aux services par le biais de campagnes nationales de sensibilisation et de communication utilisant plusieurs canaux, y compris pour des programmes localisés dans une zone spécifique.
Prenons un autre scénario : imaginez que vous soyez une jeune femme vivant avec vos parents au Sahel. Vous êtes sélectionnée pour bénéficier d’un programme de protection sociale, qui vous a permis de recevoir des transferts monétaires mensuels, de participer à des sessions de formation commerciale et de lancer une association d’épargne et de crédit avec d’autres bénéficiaires. Toute votre famille bénéficie du programme, et vous transmettez même à votre sœur, Rokia, les compétences acquises lors de vos formations. Cependant, l’année dernière, vous vous êtes mariée et avez rejoint le foyer de votre mari dans un autre village. Ainsi, vous avez dû arrêter de participer aux formations et quitter votre association d’épargne et de crédit. Le personnel du programme est en mesure de donner à Rokia votre place dans le programme, mais cela signifie également que vous cessez de recevoir vos transferts monétaires mensuels. Est-il injuste que vos prestations cessent maintenant que vous êtes mariée ? Vous êtes fière d’avoir déjà lancé une caisse d’épargne et de crédit dans votre nouveau village — il a fallu beaucoup de temps pour gagner la confiance de vos voisins sans parler très bien leur langue et sans toujours comprendre leurs mœurs sociales et culturelles.
Opportunités pour accroître la pertinence du programme pour les migrants :
- Promouvoir la transférabilité et la continuité des services du programme pour les bénéficiaires selon les besoins, même en cas de migration, afin d’assurer la pertinence du programme.
- Veiller à ce que les mécanismes soient accessibles à tous, connus et sécurisés, pour permettre aux migrants bénéficiaires de communiquer les informations relatives à leur migration.
Aujourd’hui, vous êtes responsable d’un programme de filets sociaux au Sahel. Il y a quelques mois, un grand nombre de ménages fuyant l’insécurité à l’Est est arrivé dans l’une des zones de mise en œuvre de votre programme. Certains ont été accueillis par des familles, mais la plupart ont été pris en charge par des ONG humanitaires, qui leur ont fourni des abris temporaires et une aide en nature. Cependant, l’aide humanitaire a diminué ces derniers temps, et a finalement pris fin. Vous parvenez à obtenir suffisamment de fonds pour venir en aide aux plus vulnérables, mais ce processus prend deux mois, laissant de nombreuses personnes sans aide humanitaire ni protection sociale. Un nouveau cycle du programme est sur le point de commencer, mais certains ménages ont perdu leurs papiers administratifs lors de leur fuite, et votre équipe doit adapter les règles d’inscription et négocier avec l’opérateur de paiement pour faciliter ce processus.
Opportunités pour créer un environnement financier et politique plus favorable pour les acteurs de la protection sociale :
- Mobiliser des financements externes pour contribuer à hauteur d’un certain pourcentage aux budgets nationaux, ce qui permettrait de réagir rapidement aux arrivées soudaines de nouveaux migrants.
- Élaborer des cadres politiques nationaux qui tiennent compte des migrations internes et des déplacements, en orientant la conception des systèmes de protection sociale, en assurant la coordination entre les secteurs et en adaptant les systèmes pour répondre aux besoins spécifiques des migrants.
- Définir des politiques qui lient aide humanitaire à court terme et appui à plus long terme, afin de protéger le bien-être des bénéficiaires et de réduire les effets à long terme des chocs sur la pauvreté.
Ces trois scénarios illustrent l’importance d’intégrer les considérations liées à la mobilité dans les programmes de protection sociale adaptative, afin de mieux soutenir les migrants dans des contextes de mouvements internes importants. Lorsque les programmes de protection sociale adaptative intègrent davantage les migrants internes, ils restent non seulement utiles, mais exploitent également l’immense potentiel des personnes en déplacement au Sahel. Pour adapter la protection sociale adaptative à la mobilité de la population, il faut reconnaître les schémas migratoires et ajuster les politiques, les programmes et les systèmes afin de maximiser leur impact.
Pour en savoir plus, lisez la note politique associée du PPSAS, « Mobilité de la population au Sahel : implications pour les programmes et systèmes de protection sociale », disponible en français et en anglais.
Sources : Núria Branders et Rebecca Holmes. 2024. " Intégration des migrants internes dans les systèmes de protection sociale : revue des bonnes pratiques pour éclairer les programmes de protection sociale adaptative au Sahel " [“Integrating Internal Migrants in Social Protection Systems: Review on Good Practices to Inform Adaptive Social Protection Programs in the Sahel”]. Banque mondiale, Washington, DC.
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