Publié sur Nasikiliza

Suivre un projet dans des pays fragiles ne coûte pas forcément cher

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Alors que les bailleurs de fonds intensifient leurs opérations de développement, les conflits et les violences empêchent souvent d’intervenir dans certaines zones. Dans un tel contexte, de nombreux acteurs du développement tendent à faire appel à des tiers extérieurs pour assurer le suivi de leurs projets afin de concilier des objectifs contradictoires : assurer la sécurité du personnel, faire plus (ou investir davantage) et faire mieux (à travers des projets de meilleure qualité). Une stratégie coûteuse qui n’est pas toujours efficace. L’exemple du Mali prouve qu’il existe des solutions alternatives.

Il y a moins d’une décennie, le personnel de la Banque mondiale pouvait se déplacer librement au Mali, même pour se rendre dans les villages les plus isolés du pays. Aujourd’hui, les attaques terroristes et la violence armée empêchent de suivre la plupart des projets sur le terrain.

Face à cette réalité, et dans le sillage de la crise sécuritaire dans le Nord du Mali en 2013/14, nos équipes ont mis au point un système spécifique de suivi, allégé, peu coûteux et adapté aux zones dangereuses tout en restant centré sur les problèmes et la volonté d’améliorer la mise en œuvre du projet.

Dans un souci d’impartialité, ce système de suivi est conduit par des membres du personnel de la Banque mondiale qui sont extérieurs aux projets concernés. Il repose sur la répétition d’enquêtes auprès des bénéficiaires et se concentre sur un ensemble de questions bien définies. Le but est de recueillir des données pertinentes auprès d’échantillons resserrés et grâce à des questionnaires restreints. Ces informations servent à établir des rapports qui peuvent rapidement attirer l’attention sur quelques points critiques.

La collecte régulière de données est rendue possible par des coûts maintenus au plus bas. Elle présente l’avantage supplémentaire d’inciter le personnel de projet à mettre en place, le cas échéant, des mesures correctives.

Graphique 1 : Les cinq étapes de l’approche de suivi itératif axé sur les bénéficiaires


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La première étape de notre approche consiste à acquérir une connaissance fine du projet. Bien qu’elle prenne du temps, c’est une étape incontournable si l’on veut recueillir des données pertinentes et de qualité. Elle permet aussi de tisser des liens de confiance avec le personnel du projet et d’établir les bases d’un suivi une fois les résultats obtenus.
 
La collecte directe d’informations auprès des bénéficiaires est au cœur de cette approche. Car, ce qui compte en définitive, c’est la manière dont ces derniers perçoivent le projet. Les échantillons n’ont en général pas besoin d’être immenses. Dans la mesure où le respect de normes et de délais s’impose (ces aspects sont en général définis dans le manuel des opérations), la présence d’un petit nombre de données déviantes suffit à signaler un problème.
 
Ainsi, si l’ensemble (ou la plupart) des 20 écoles d’un échantillon représentatif mais constitué de manière aléatoire indiquent ne pas recevoir de subventions pour les repas scolaires, cela traduit vraisemblablement un dysfonctionnement.
 
Il est important de restreindre le nombre de données collectées et donc de résister à la tentation de recueillir plus d’éléments que le strict nécessaire. Une équipe de gestion de projet ne pourra pas gérer plus d’un certain nombre de problèmes en même temps. Les échantillons de petite taille et les questionnaires courts réduisent le coût de la supervision et simplifient la formation des enquêteurs, qui peuvent aller à la rencontre des sondés en utilisant les transports en commun ou une moto, au lieu de déplacer des équipes entières en 4x4.
 
La sélectivité permet de réaliser des économies et de limiter l’exposition du personnel, ce qui compte quand les conditions sécuritaires sont dégradées.
 
Tablettes et téléphones portables facilitent la collecte des données
 
Malgré une étape de conception plutôt longue, moins de quatre semaines suffisent généralement pour monter ce type d’enquête. La collecte de données peut se faire lors d’entretiens directs, mais c’est une solution en général onéreuse que nous ne privilégions pas. Dans la mesure du possible, nous préférons interroger les personnes par téléphone portable, un système moins coûteux ne nécessitant pas de déplacement dans des zones à risque.
 
Dans certains cas, nous avons aussi formé des enquêteurs au sein des communautés bénéficiaires qui, grâce aux tablettes fournies, rendent périodiquement compte des informations recueillies.
 
Une fois analysées, les données sont transmises aux responsables de projet et aux chefs d’équipe Comme il y a peu d’informations à traiter, l’étape de l’analyse est rapide et bon marché. Les rapports, courts et précis (dépassant rarement dix pages), sont discutés avec le chef d’équipe et le personnel du projet.
 
L’équipe de gestion au sein de la Banque mondiale en reçoit un exemplaire, de même que les responsables du projet au niveau des autorités nationales. Avec ces éléments, l’équipe du projet peut rectifier les problèmes identifiés.
 
Une autre vague d’enquête est organisée après quelques mois, pour évaluer les améliorations apportées et, le cas échéant, repérer d’éventuelles nouvelles difficultés. Le nouveau rapport suivra le même parcours que le précédent, l’ensemble du processus étant répété à intervalles réguliers jusqu’à l’achèvement du projet.
 
Cette approche de « suivi itératif axé sur les bénéficiaires » (ou Iterative Beneficiary Monitoring en anglais), a été appliquée à plusieurs projets au Mali (distribution de repas scolaires, de subventions aux engrais et de soins médicaux gratuits). Les constats établis à cette occasion ont servi à informer et améliorer les opérations. Dans tous les cas, la collecte des données a coûté moins de 5 000 dollars et n’aura mobilisé que quelques semaines du temps du personnel.
 
Au vu de son succès, cette méthode suscite aujourd’hui beaucoup d’intérêt. On peut de fait envisager de manière réaliste son déploiement à plus grande échelle : pour reproduire l’expérience, il suffit, d’une part, de disposer sur place de personnels de la Banque mondiale sachant faire preuve de diplomatie et capables de collecter et d’analyser des données, et, d’autre part, de dégager un petit budget pour la collecte proprement dite.
 
Par rapport aux centaines de milliers, voire aux millions de dollars dépensés pour demander à des tiers de suivre les projets, l’approche agile et efficace conçue pour le Mali mérite visiblement d’être reproduite ailleurs, et pas seulement dans des contextes fragiles.


Auteurs

Johannes Hoogeveen

Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit

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