Enfant, j’ai beaucoup aidé ma mère à cultiver des légumes. Nous vivions dans une ferme urbaine dans la lointaine banlieue d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. C’est là, en travaillant à la ferme avec mes frères et sœurs et en observant ma mère consacrer toute son énergie à obtenir les meilleures récoltes possibles, que j’ai compris à quel point l’agriculture pouvait être une aventure aussi redoutable que passionnante pour une paysanne dans un pays à faible revenu. Face à l’adversité — rudesse du climat, vols de récolte ou encore manque d’intrants, de main-d’œuvre et de services nécessaires — ma mère ne cédait jamais et continuait à tout gérer, ne négligeant ni ses quatre enfants ni les tâches ménagères.
Quoi qu’il arrive, elle faisait preuve de persévérance, de sens des responsabilités et d’optimisme. Cette force intérieure que je voyais s’exprimer au quotidien, ce cran (a) dont elle faisait preuve, lui permettait de surmonter toutes les difficultés et de faire fructifier l’exploitation familiale. Son enthousiasme et son ardeur au travail étaient contagieux, ce dont nos voisins se sont rendus compte le jour où elle s’est engagée bénévolement dans une organisation locale sans but lucratif de soutien aux femmes agricultrices. Grâce à elle, plus de 400 femmes venues de régions pauvres ont appris à devenir autonomes en plantant et en vendant des légumes qui leur rapportaient un revenu stable. Toutes ces femmes avaient en commun une volonté farouche, refusant de se laisser abattre, quelles que soient les épreuves.
La culture et la vente des récoltes sont deux étapes vitales pour créer et faire prospérer une activité agricole. Les agriculteurs qui se lancent dans les cultures de rapport doivent notamment supporter de lourds investissements dans la main-d’œuvre et les intrants, en plus de posséder les connaissances pratiques et commerciales requises. S’ils vivent dans un pays en développement, de multiples difficultés vont se rajouter, comme les problèmes d’accès aux marchés, le manque d’intrants de qualité et le caractère embryonnaire des places financières — tous facteurs qui augmentent les coûts, les risques et le caractère aléatoire de ces investissements. Et du fait de la persistance des normes sociales sur la place respective des femmes et des hommes dans l’agriculture, ces obstacles seront encore plus prégnants pour les femmes.
Selon des données du Laboratoire d’innovation de la Banque mondiale sur le genre et l’égalité des sexes en Afrique (GIL) collectées au Malawi, ce sont leurs compétences entrepreneuriales non cognitives ou leurs qualités personnelles, comme la persévérance, l’optimisme et la passion du travail qui peuvent aider les femmes à surmonter ces difficultés et à se tourner vers les cultures de rapport pour construire une activité agricole rentable. Le GIL a analysé des données recueillies auprès de 500 ménages agricoles malawiens, en s’attachant particulièrement au lien entre savoirs comportementaux des agricultrices et conversion à la culture du tabac, une activité extrêmement rentable. Résultat, les exploitations gérées par des femmes ayant des qualités personnelles supérieures avaient nettement plus de probabilité de produire du tabac que les exploitations gérées par des individus aux compétences sociales moins affirmées. Conclusion, ces compétences non cognitives peuvent avoir un effet accru sur la rentabilité d’une exploitation agricole. L’étude suggère que les responsables politiques devraient concevoir des interventions visant à développer ce type de qualités chez les agricultrices, dans le but de conforter leur indépendance et leur autonomisation économique.
Toujours en Afrique, une autre évaluation d’impact réalisée par le GIL au Togo met en évidence l’importance des savoirs comportementaux, cette fois-ci en milieu urbain. L’expérience a montré que le fait d’apprendre aux femmes à développer leur sens des affaires lors d’une formation à l’initiative personnelle était plus efficace qu’une formation commerciale classique qui leur apprend à accroître leurs profits, innover davantage et s’affirmer dans leur secteur. Encouragé par ces résultats prometteurs au Malawi et au Togo, le GIL réalise actuellement un essai randomisé contrôlé au Mozambique afin de mesurer l’impact d’une formation à l’initiative personnelle sur les femmes agricultrices.
Les données expérimentales du GIL et l’expérience personnelle que j’ai pu acquérir en observant ma mère et d’autres agricultrices de Mongolie ont conforté l’idée que je me fais du rôle clé des compétences non cognitives pour stimuler la productivité agricole et faire reculer la pauvreté. Nous manquons cependant encore de données probantes pour comprendre plus finement l’impact de ces compétences dans d’autres contextes et savoir quelles sont les interventions les plus efficaces pour développer ces qualités chez les femmes agricultrices. D’où cet appel lancé aux responsables politiques du monde entier : il faut privilégier la conception, la mise en place à titre pilote et l’évaluation de programmes fondés sur des données probantes qui permettent de conforter ces aptitudes comportementales chez les femmes agricultrices partout dans le monde, en tablant sur cette incroyable force d’âme qui les caractérise…
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