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« Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles » - Utiliser des modèles de risque pour évaluer rapidement les conséquences d’une catastrophe

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En général, après la survenue d’une catastrophe naturelle, les deux premières questions que l’on se pose sont « combien de personnes ont été touchées ? » et « quels sont les dommages ? ». On veut connaître le nombre de personnes affectées et l’impact potentiel sur l’économie — ce qui n’est pas facile à chiffrer dans des circonstances par nature chaotiques. Pour comprendre la situation sur le terrain, il faut des moyens de coordination, des données et du temps. Or, c’est précisément ce dont on manque le plus souvent. En anticipant les catastrophes grâce à la modélisation du risque, il est néanmoins possible d’améliorer la coordination et de compiler des données essentielles, pour éviter de devoir agir dans l’urgence.
 
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Carte des cyclones tropicaux majeurs (de catégorie 3 et plus) ayant frappé Madagascar entre 1983 et 2016. Source : Historical Hurricane Tracks, NOAA (Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique)

L’anticipation des risques permet en effet aux autorités de disposer d’informations en amont, avant qu’une catastrophe ne se produise.

Au sein de la Facilité mondiale pour la prévention des catastrophes et le relèvement (GFDRR), nous réalisons des modèles de risques de catastrophe, un outil d’analyse utile pour évaluer la probabilité et le coût d’un aléa potentiel futur. Les modèles probabilistes calculent le risque en estimant, d’après l’occurrence d’aléas multiples (tels qu’un séisme ou un tsunami), les dommages probables et leur coût. Sur la base de ces informations, des décisions peuvent être prises afin de gérer le risque.

Par exemple, l’Initiative d’évaluation et de financement des risques dans le sud-ouest de l’océan Indien (projet SWIO RAFI) a récemment permis d’établir le profil de risque de catastrophe de plusieurs États insulaires situés dans cette région : Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles et Zanzibar (en Tanzanie). Ces profils, qui reposent sur une modélisation probabiliste, donnent une vue d’ensemble du risque de survenue de cyclones tropicaux, de séismes et d’inondations dans ces pays. Ce risque est quantifié comme la probabilité de pertes, pour différentes périodes de récurrence, et comme la perte moyenne annuelle due à ces phénomènes climatiques.

Ainsi, à Madagascar, la modélisation a permis d’évaluer à 87 millions de dollars la perte annuelle moyenne imputable aux cyclones tropicaux. Le modèle utilisé pour ce calcul prend en compte les cyclones tropicaux potentiels sur une période de 10 000 ans, l’exposition de l’économie du pays (valeur de remplacement des infrastructures et des actifs) et les vulnérabilités (comportement des infrastructures et des actifs lors de la survenue d’un cyclone tropical). Les pertes peuvent être très variables selon les années : certaines années, l’île ne sera touchée par aucun cyclone tropical, tandis que, d’autres années, elle risque de subir un ou plusieurs cyclones tropicaux majeurs. En outre, le modèle ventile les pertes par secteur. Pour ce pays, les données indiquent que le secteur résidentiel est le plus vulnérable.

Si les pouvoirs publics disposent de chiffres sur le coût et la probabilité de survenue d’une catastrophe, ils peuvent plus facilement déterminer quelles mesures permettront de mieux se préparer, et identifier les secteurs à cibler en priorité.

Les modèles de risque de catastrophe ont un autre intérêt : ils peuvent également servir à estimer rapidement les pertes économiques après une catastrophe, lorsque les informations sont rares et, donc, d’autant plus importantes. C’est cette approche qui a été récemment déployée à Madagascar.

Le 7 mars 2017, le cyclone Enawo a frappé le nord-est de l’île. En raison de la puissance de cette tempête tropicale et de la forte densité de population le long de sa trajectoire, on s’attendait à de lourdes conséquences sur le plan humanitaire. Ayant pu accéder à l’avance aux données de modélisation provenant du projet SWIO RAFI, notre équipe disposait déjà d’informations utiles, mais souhaitait estimer les pertes causées par ce cyclone sans devoir procéder à une évaluation in situ.

Nous avons réappliqué le modèle, cette fois avec des données locales communiquées par Météo Madagascar, pour estimer l’impact prévisionnel d’Enawo sur les infrastructures (immeubles, équipements critiques, réseaux de transport). Nous avons évalué les pertes directes à environ 208 millions de dollars (dollars de 2015), pour une période de récurrence de quelque 11 ans. Ces données sont comparables à celles relatives au cyclone tropical Gafilo, survenu en 2004 à Madagascar, qui a fait plus de 250 millions de dollars de dommages (pertes de production agricole et diminution du stock de capital).

Grâce à cette approche, notre équipe a pu fournir aux autorités une estimation dans les jours qui ont suivi la catastrophe. Une évaluation in situ détaillée reste nécessaire pour élaborer un plan d’action et de relèvement adapté à la situation du pays, mais, même si les chiffres provenant d’une évaluation approfondie peuvent différer des estimations initiales du modèle, cette approche a permis aux pouvoirs publics d’avoir une vue d’ensemble des conséquences d’une catastrophe immédiatement après sa survenue. Pour paraphraser le statisticien George Box, disons que le modèle n’a peut-être pas simulé exactement la réalité, mais il a été utile.
 
Rapport sur l’estimation post-catastrophe des dommages dus au cyclone tropical Enawo : http://www.primature.gov.mg/cpgu/wp-content/uploads/2017/03/MG-Report-on-the-Estimation-of-Economic-Losses.pdf
 
Profil de risque de catastrophe pour Madagascar : https://www.gfdrr.org/sites/default/files/madagascar_fr.pdf
Les estimations de l’équipe de projet ont été publiées par différents médias à Madagascar :


Auteurs

Emma Phillips

Spécialiste en gestion des risques de catastrophes naturelles, Laboratoire d’innovations, Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR)

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