Publié sur Nasikiliza

Un entrepreneuriat féminin 100 % made in Sahel

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Vue de Bamako. Photo: Moustapha Diallo/Banque mondiale Vue de Bamako. Photo: Moustapha Diallo/Banque mondiale

Partout en Afrique, et plus particulièrement au Sahel, les jeunes sont à l’avant-garde pour développer des produits et des services qui répondent aux besoins de leurs communautés, depuis l’accès à l’énergie ou à la santé en passant par la sécurité alimentaire. J’ai eu le plaisir de rencontrer nombre de ces jeunes dans le cadre des activités de la Banque mondiale au Mali, au Niger et au Tchad, et il y a quelques mois, lors de la Semaine mondiale de l’entrepreneuriat (a).  Je suis particulièrement heureuse de constater que cette nouvelle génération d’entrepreneurs se féminise de plus en plus.

Le label« made in Africa » gagne en popularité, sur le continent et au-delà, et c’est une chance à ne pas laisser passer. Néanmoins, les défis à relever sont considérables, surtout pour des jeunes qui manquent d’expérience, de relations et de soutien. Au Sahel, créer et faire vivre une entreprise est avant tout une question de détermination et de persévérance, dans un contexte difficile marqué par une insécurité croissante, une intensification des effets des changements climatiques, une offre de financement inaccessible, et des coûts plus élevés du fait de l’absence de littoral.

Ces obstacles sont d’autant plus redoutables pour les jeunes femmes à qui l’on rappelle constamment leur infériorité sociale, notamment dans le milieu professionnel. Mais l’une des femmes que j’ai rencontrées, Aissata Diakité, ne se laisse pas intimider. Elle fait partie de celles qui sont en train de changer la vision de l’entrepreneuriat féminin au Sahel, y compris dans le secteur agroalimentaire traditionnellement dominé par les hommes.

Étant basée au Mali, j’ai découvert son entreprise agroalimentaire en 2017 lors d’un événement officiel et j’ai beaucoup apprécié la qualité des jus de fruits produits et mis en bouteille dans le pays. Aissata Diakité m’a expliqué que la qualité est précisément l’une des difficultés qui se posent au Sahel, car les contrôles de la qualité et la sécurité sanitaire sont très limités voire inexistants et les consommateurs, dans leur majorité, ne sont pas très regardants dans ce domaine. « Ce qui m’a vraiment frappée, c’est qu’aucune marque africaine reconnue ne cherchait à exploiter et valoriser les produits régionaux, même sur le marché local. Ici au Mali, quand on fabrique un produit de qualité avec des ingrédients locaux les consommateurs sont eux-mêmes surpris », m’a-t-elle confié.

C’est ce constat qui a poussé Aissata, ingénieure agronome de formation, à élaborer des jus de fruits à partir de la production malienne. Alors qu’elle étudiait et travaillait en France, elle a participé à différents programmes d’aide à la création d’entreprise. Lauréate de la première édition du concours Diaspora Entrepreneurship ouvert aux membres de la diaspora malienne en 2016, elle a aussi été la seule porteuse de projet d’entrepreneuriat Nord-Sud sélectionnée par un incubateur français, ce qui lui a permis de tirer parti des atouts des deux marchés. Ainsi au Mali, son entreprise a pu mettre sur pied une chaîne d’approvisionnement structurée pour disposer d’ingrédients locaux de qualité, tandis qu’en France la start-up est parvenue à explorer des pistes d’innovation en menant des activités de recherche et développement (ce qui lui permet désormais de se diversifier dans la production de thés, de confitures et de sorbets).

Aissata avait toujours rêvé de revenir au Mali pour créer une entreprise agroalimentaire. Son travail acharné a permis de concrétiser ces rêves et, aujourd’hui, les mille bouteilles produites à l’heure par Zabbaan sont vendues dans toute la sous-région et sur les marchés internationaux. En trois ans seulement, la start-up s’est transformée en un fleuron de renommée internationale, devenant en outre la première entreprise malienne de jus de fruit à remporter un marché public national, une grande victoire pour une marque « made in Africa ».

Au vu de ce beau succès, j’ai demandé à Aissata quels conseils elle donnerait à de jeunes femmes désireuses de se lancer dans les affaires. Sa réponse est claire : mûrir son projet, innover, s’entourer des bonnes personnes et relever les défis à mesure qu’ils se présentent.

Cependant, elle tient à souligner que ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser. Par exemple, mettre sur pied des chaînes d’approvisionnement fiables et de qualité est toujours un obstacle majeur au Sahel. Et souvent, les ressources techniques et humaines si indispensables au lancement d’une entreprise y font cruellement défaut. Si je me réjouis comme Aissata des perspectives qui se font jour dans la région et du nombre de femmes chefs d’entreprise extraordinaires que nous avons croisées au fil du temps, les entrepreneurs ont besoin d’un soutien extérieur. Ils se débattent jour après jour dans ce parcours du combattant pour trouver des financements et des programmes d’aide, gérer leurs équipes, parler aux investisseurs... Comme le dit Aissata, c’est une acrobatie quotidienne.

C’est là qu’interviennent des initiatives telles que le programme de la Banque mondiale Afrique Excelle et son équivalent pour les pays anglophones XL Africa (a) ou encore le Marathon du Sahel, un concours régional de start-up. Toutes ont pour but d’offrir un coup de pouce déterminant aux jeunes entreprises. Ainsi pendant une période de 42 jours au cours de l’été 2019, le Marathon du Sahel a accompagné 30 start-up prometteuses de sept pays de la région (Burkina Faso, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad). La grande finale qui s’est déroulée à Bamako au mois de septembre a sacré 14 champions nationaux (deux par pays).

Pour conclure sur une note positive, Aissata se dit convaincue que sa génération pourra changer les choses au Sahel. Elle affirme que les obstacles que nous avons évoqués n’arrêteront pas la jeunesse africaine d’aujourd’hui.

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? Ici au Mali, quand on fabrique un produit de qualité avec des ingrédients locaux les consommateurs sont eux-mêmes surpris », confie Aissata Diakité, fondatrice d?une entreprise agroalimentaire. Crédit photo : Zabbaan.
“ Ici au Mali, quand on fabrique un produit de qualité avec des ingrédients locaux les consommateurs sont eux-mêmes surpris », confie Aissata Diakité, fondatrice d’une entreprise agroalimentaire. Crédit photo : Zabbaan.

Auteurs

Soukeyna Kane

Directrice du Groupe Fragilité, Conflits et Violence (FCV)

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