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Une femme et des chiffres : 7 questions à Rose Mungai

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En tant qu’économiste et statisticienne à la Banque mondiale, je suis chargée de compiler des données émanant de diverses sources afin de produire les Indicateurs du développement en Afrique (ADI), un rapport annuel qui présente la série la plus détaillée de données sur le développement dans cette région du monde.
 
Dès que je parle chiffres, données et autres tableaux,  les gens ont tendance à ne manifester que peu d’intérêt… Or, les données peuvent révéler beaucoup de choses, surtout aux autorités des pays d’Afrique qui élaborent les politiques publiques destinées à soutenir le développement et la croissance économique. En l’absence de données, comment ces dirigeants pourraient-ils planifier et concevoir des politiques ? Comment pourraient-ils agir sans savoir d’où ils partent et dans quelle direction ils vont ?

J'ai donc compilé la liste de questions suivantes afin de mieux faire connaître la base de données ADI et de faire comprendre la manière dont elle aide les dirigeants à prendre des décisions, tout en permettant à la population de s’informer et de demander des comptes à l’État. 
 


Image1. En quoi consistent les Indicateurs du développement en Afrique (ADI) ?
 
Il s’agit d’une compilation annuelle de statistiques pertinentes, et internationalement comparables, relatives à l’Afrique. C’est l’ensemble de données le plus détaillé sur cette région, que l’on peut facilement consulter et qui constitue une référence fiable pour le suivi des programmes de développement et de l’aide au développement en Afrique.
 
Produite par le service chargé de la gestion économique et de la lutte contre la pauvreté au sein de la Région Afrique, la base de données ADI constitue un précieux outil pour les analystes et les autorités qui souhaitent mieux comprendre le développement économique et social de l’Afrique. Bien qu’elle couvre l’ensemble du continent africain, elle est principalement axée sur l’Afrique subsaharienne, qui regroupe 48 des 53 pays de ce continent.
 
La base de données ADI présente des indicateurs macroéconomiques, sectoriels et sociaux pour ces 53 pays. Le CD-ROM qui l’accompagne contient des données supplémentaires, notamment quelque 1 700 indicateurs couvrant la période 1961-2011. Les pays africains et leurs partenaires au développement peuvent ainsi évaluer l’ampleur des problèmes et les défis à relever, mais aussi mesurer les progrès réalisés au fil du temps. L’amélioration de la qualité des statistiques est essentielle, et l’Afrique doit encore accomplir beaucoup d’efforts dans ce domaine.
 
D’autres ouvrages sont publiés en parallèle, notamment The Little Data Book on Africa et The Little Data Book on Gender in Africa, qui synthétisent les indicateurs pour chaque pays. Une nouvelle version de l’application mobile DataFinder pour Android ou iPhone (téléchargeable sur l’Apple Store) est également disponible.
 
 
2. Depuis quand la Banque mondiale recueille-t-elle des données dans les pays d’Afrique ? 
 
Les ADI font suite aux AEFD (African Economic and Financial Data), une série de données économiques et financières sur l’Afrique que la Banque mondiale a commencé à publier en 1989, conjointement avec le Programme des Nations Unies pour le développement. Depuis 1992, les ADI sont publiés tous les ans. Chaque édition contient des informations ciblées, dont la qualité ne cesse de s’améliorer et qui sont de plus en plus facilement disponibles.
 
Jusqu’en 2005, le rapport sur les ADI était extrêmement volumineux, mais, en 2006, il a été remanié et ramené de 400 pages à moins de 200. De 2006 à 2009, il a comporté une étude thématique, supprimée en 2010. Depuis avril 2010, la Banque mondiale donne librement accès à toutes ses données. Actuellement, le rapport ne comporte que quelques tableaux, mais l’édition en ligne détaille environ 1 700 indicateurs qui sont actualisés au moins deux fois par an.
 
 
3. Pourquoi les ADI sont-ils importants pour le développement en général et pour les pays, et pourquoi est-il essentiel que la Banque mondiale contribue à la compilation de données ?
 
Le suivi des avancées du développement et de l’aide au développement en Afrique nécessite des données factuelles de base qui soient simples à utiliser. Les ADI sont à la fois simples à utiliser et accessibles. Nous recourons à une seule et même approche pour traiter et pour présenter les données que nous recueillons auprès de diverses sources. Cette approche unique permet des comparaisons de données entre pays et entre périodes pour la plupart des ADI.
 
Trois grands objectifs président à l’élaboration des ADI :
 
 

  • Élargir nettement les possibilités d’utilisation de ces données dans le cadre d’analyses ou d’activités opérationnelles au niveau d’un pays ou d’une zone géographique, et exploiter ces données avec davantage d’efficacité ;
  • Présenter les évolutions sociales et économiques nationales ou régionales à mesure qu’elles apparaissent ; cela permet de suivre et d’analyser les avancées du développement dans plusieurs pays ou zones géographiques simultanément, ainsi qu’en termes relatifs sur différentes périodes et dans plusieurs pays ;
  • Renforcer les capacités au niveau des pays, de façon à constituer une base de données statistiques standard et stable, en veillant à ce que chaque pays s’approprie le processus de communication de ces données.

 
 
4. Qui communique les données ? Pourquoi un pays a-t-il tout intérêt à recueillir lui-même des données sur sa situation ?
 
Les données sont recueillies auprès de diverses sources. Dans la plupart des cas, elles proviennent des bureaux statistiques des pays d’Afrique. Par ailleurs, nombre d’organisations internationales collectent ou compilent des données sur l’Afrique, et les structurent à l’intérieur d’un cadre harmonisé. Ces données sont complétées par des estimations de la Banque mondiale qui remédient aux problèmes posés par les données manquantes ou incohérentes.
 
Malgré les progrès réalisés ces dernières années, les pays d’Afrique restent aux prises avec un certain nombre d’obstacles qui compromettent leur développement à long terme : une structure de production non diversifiée, un capital humain insuffisant, une gouvernance peu solide, un État fragile, une émancipation des femmes insuffisante, les problèmes d’emploi des jeunes et les effets du changement climatique. Cependant, à l’heure où le suivi des programmes de développement nécessite un volume croissant d’informations et où l’accès aux médias électroniques s’élargit en Afrique, on peut penser que les pays de cette région communiqueront de plus en plus les informations essentielles qui permettront d’observer les progrès du développement. Il faut pour cela mettre davantage en relation la collecte, la compilation et l’utilisation des données, afin de faire naître un sentiment d’appropriation, et obliger les États à rendre des comptes à leur population. En l’absence de données adéquates, il n’est pas possible de définir des politiques et des interventions efficaces.
Les données recueillies dans un pays constituent l’une des principales sources d’informations sur ce pays. Leur large diffusion auprès des analystes et des responsables africains et non africains permet de mieux comprendre le contexte local et de faire avancer le développement sur ce continent. Si les données sont de bonne qualité et pertinentes, elles faciliteront l’élaboration, le suivi et l’évaluation des programmes. C’est pourquoi un pays a tout intérêt à recueillir lui-même des données sur sa situation.
 
5. Comment les données aident-elles à identifier les tendances émergentes en Afrique subsaharienne ?
 
Les séries chronologiques qui vont de 1960 à la dernière année pour laquelle on dispose d’indicateurs sont utiles si l’on veut effectuer des comparaisons entre pays et entre périodes. On peut également procéder à des comparaisons régionales pour certains des indicateurs disponibles en interne. Par exemple, si le ministère de l’éducation fournit des données, l’État pourra comparer les taux de scolarisation entre les différentes régions du pays. Les ADI ne s’appuient pas sur des données locales, mais sur des données nationales agrégées.
 
 
6. Quelles sont les tendances les plus intéressantes mises en évidence par les données publiées cette année ?
 
L’Afrique subsaharienne compte 844 millions d’habitants, dans 48 pays, soit 12,4 % de la population mondiale. Ses taux de natalité élevés et en progression, ainsi que la jeunesse de sa population, représentent l’un des plus grands défis pour son développement : l’Afrique subsaharienne affiche un taux de natalité de 4,9 %, le plus élevé de toutes les régions, contre une moyenne mondiale de 2,5 %. 42,5 % de ses habitants ont moins de 15 ans. Depuis plus de dix ans, elle connaît une croissance économique relativement forte, qui avoisine 5 % par an en moyenne. L’espérance de vie y a également augmenté sous l’effet d’un net recul de la mortalité en une décennie.
 
La question centrale est de savoir pourquoi la situation actuelle de l’Afrique est bien meilleure qu’il y a une vingtaine d’années par exemple. Plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment l’allégement de la dette, l’accroissement de l’aide, le renchérissement des matières premières, ainsi que l’amélioration des politiques macroéconomiques. Ces politiques résultent de décisions prises par les dirigeants africains, qui, par ailleurs, rendent de plus en plus de comptes à la population. Et une population informée est mieux à même de demander des comptes à l’État.
 
 
7. Comment compilez-vous les données ?
 
À la Banque mondiale, chaque économiste-pays exploite les données du pays dont il est chargé en s’appuyant sur la base de données 2gLDB (2nd Generation Live Database) qui recalcule instantanément et agrège tous les indicateurs lorsque les données sont actualisées. Ces données sont également complétées par des estimations de la Banque mondiale qui remédient aux problèmes posés par le manque ou l’incohérence des données provenant des sources classiques. La Banque recourt parfois à des méthodes d’estimation différentes de celles mises en œuvre par d’autres sources, mais, en général, ses estimations sont très robustes.
 
Néanmoins, les données comportent encore de grandes lacunes, tout particulièrement les données relatives aux entreprises publiques, aux inégalités hommes/femmes et à la pauvreté. Le renforcement des capacités statistiques dans les pays d’Afrique est donc fondamental, et c’est un processus continu. Il faudra redoubler d’efforts et accroître le soutien institutionnel si l’on veut améliorer de manière significative la compilation des données.
 
 


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