Le niveau de vulnérabilité du secteur financier dans les économies émergentes et en développement reflète largement les disparités de revenu : alors que les vulnérabilités sont faibles à modérées dans les économies à revenu plus élevé, la moitié des économies à faible revenu sont confrontées à des risques beaucoup plus importants. En outre, les progrès vers les objectifs de développement financier, et en particulier l’approfondissement des marchés de capitaux locaux, sont au point mort dans de nombreux pays. On observe toutefois des avancées en matière d’inclusion financière et sur le plan des initiatives en faveur du verdissement du secteur financier.
Dans le même temps, les avoirs des banques en emprunts d'État ont considérablement augmenté ces dernières années dans les économies émergentes et en développement. Ce degré d’exposition, d’une ampleur sans précédent depuis dix ans, soumet le secteur financier à des risques supplémentaires, en particulier dans les pays dont les politiques macroéconomiques sont moins rigoureuses et qui sont en butte à des problèmes de viabilité de leur dette publique.
En outre, le défi du changement climatique est particulièrement aigu pour les économies émergentes et en développement, car elles sont exposées à des risques plus élevés que les économies avancées, alors même que le manque de financements climatiques y est plus grand. Dans ces pays, le secteur bancaire constitue la principale source de financement, mais il ne fournit qu’un petit volume de prêts pour l'action climatique. Les autorités bancaires commencent à se doter d’outils et de nouvelles stratégies pour remédier aux vulnérabilités du secteur financier liées au climat et au déficit de financements climatiques. Mais il leur faut en même temps se garder de transiger avec les impératifs que sont la stabilité et l’inclusion financières.
Graphique 1 : Le niveau de vulnérabilité du secteur financier reflète les disparités de revenu
Les risques auxquels est exposé le secteur financier des économies émergentes et en développement sont largement fonction de leur revenu. Dans les douze prochains mois, les vulnérabilités apparaissent comme faibles à modérées dans les économies à revenu plus élevé, tandis que plusieurs économies à faible revenu sont nettement plus vulnérables. Dans bon nombre de ces pays, les vulnérabilités intérieures sont exacerbées par des risques de portée mondiale liés à la politique monétaire et aux perspectives de croissance des économies avancées, ainsi qu’aux conflits géopolitiques.
L’appréciation des risques repose sur le jugement des experts de la Banque mondiale, lui-même fondé sur l’état du cadre régissant le secteur financier et sur les données macroéconomiques et financières de chaque pays.
Graphique 2 : Les économies émergentes et en développement présentant des vulnérabilités financières élevées n’ont souvent pas la capacité de faire face aux tensions du secteur financier
La majorité des pays dont le secteur financier est exposé à des risques élevés ne sont actuellement pas préparés à faire face à des tensions financières. Ils présentent des faiblesses importantes dans leurs cadres réglementaires et de surveillance, et ne disposent pas, ou pas suffisamment, d’éléments structurants pour la gestion des crises et de filets de sécurité pour le secteur financier. Ces pays vulnérables devraient prendre des mesures urgentes pour remédier aux carences de leurs cadres réglementaires et institutionnelles et améliorer ainsi la résilience de leur secteur financier.
Graphique 3 : Les banques des pays surendettés sont plus exposées à la dette publique
Dans les économies émergentes et en développement, les avoirs en dette souveraine détenus par les banques ont considérablement augmenté ces dernières années, créant des liens d'interdépendance risqués entre banques et États connus en anglais sous l’expression sovereign-bank nexus. Alors que les États ont emprunté davantage, en partie pour faire face à la pandémie de COVID-19, l’exposition des banques à la dette publique dans les économies émergentes et en développement a augmenté de plus de 35 % entre 2012 et 2023. Dans les pays lourdement endettés, la hausse atteint même plus de 50 %.
Graphique 4 : Le risque d’une double crise souveraine et bancaire est élevé dans certains pays
L’exposition excessive des banques à la dette publique signifie qu’une situation de surendettement pourrait avoir un effet de contagion et provoquer une crise bancaire. Cette combinaison de crises a été particulièrement préjudiciable dans le passé, en amputant considérablement le PIB par habitant. Une nouvelle étude met en évidence que les pays présentant une forte interdépendance entre secteur bancaire et dette publique sont en général moins bien préparés à affronter des tensions financières. S’il est nécessaire de mener avant toute chose des politiques qui préservent la viabilité de la dette publique et la stabilité macroéconomique, les autorités bancaires des économies émergentes et en développement devraient aussi renforcer leurs cadres de gestion des crises financières et leurs filets de sécurité. Elles devraient notamment envisager d'introduire des exigences de divulgation de l'exposition des banques à la dette publique afin d'inciter celles-ci à une plus grande prudence face au risque et de favoriser la discipline de marché.
Graphique 5 : Dans les économies émergentes et en développement, les banques occupent une place prédominante dans le secteur financier, mais leur volume de financements climatiques est très limité
En plus d'être confrontées à des risques climatiques élevés, les économies émergentes et en développement manquent des fonds nécessaires pour financer une croissance sobre en carbone et climato-résiliente, en particulier en ce qui concerne les financements intérieurs et privés consacrés aux objectifs climatiques. La majeure partie des financements climatiques est destinée à la Chine et aux économies avancées, et principalement à la réduction des émissions (autrement dit, à l’atténuation). L'adaptation reçoit 16 % seulement des financements domestiques et internationaux alloués à l’action climatique dans les économies en développement (hors Chine). Et de cette petite proportion, 98 % proviennent soit de fonds publics, soit de financements d'aide.
Source : Calculs des équipes de la Banque mondiale tirés des travaux de Buchner et al. (2023) et de la Banque mondiale (2023d). Note : Les chiffres ayant été arrondis, leur somme ne correspond pas toujours au total indiqué pour les différents flux. La catégorie « Objectifs multiples » recouvre les financements consacrés à des projets qui concourent en même temps à l’atténuation et à l’adaptation. La catégorie « Indéterminée » recouvre les financements dont l'affectation est incertaine. La catégorie « Régionaux » recouvre les financements qui portent sur plusieurs régions du monde. md(s) = milliard(s) ; EAP = Asie de l’Est et Pacifique ; ECA = Europe et Asie centrale ; LAC = Amérique latine et Caraïbes ; MENA = Moyen-Orient et Afrique du Nord ; SAR = Asie du Sud ; SSA = Afrique subsaharienne.
Dans les économies émergentes et en développement, le secteur financier est dominé par les banques. Sachant que les banques détiennent plus de 80 % des actifs du secteur financier, elles peuvent jouer un rôle important pour financer les mesures d'atténuation et d'adaptation. Or, selon une enquête de la Banque mondiale, dans près de 60 % d'entre elles, les financements en faveur du climat ne représentent que 5 % du portefeuille total de prêts — et 28 % des banques ne proposent aucun financement de ce type.
Graphique 6 : Les autorités bancaires des économies émergentes et en développement ont commencé à s’attaquer au changement climatique, mais il reste encore beaucoup à faire
Les banques centrales et les autorités de surveillance commencent à se doter de stratégies pour faire face aux risques que fait peser le changement climatique sur le secteur financier et pour mobiliser des financements en faveur de l'action climatique. L’application de ces mesures souffre néanmoins d’un manque d’orientations, tandis que leur efficacité potentielle est mitigée et parfois non avérée. Les autorités bancaires doivent par conséquent veiller à privilégier la stabilité financière et continuer à promouvoir l’inclusion et l’efficacité financières. À la lumière de l’expérience acquise à ce jour, ces nouveaux outils peuvent être classés en trois catégories : ils sont soit gagnant-gagnant, soit encore insuffisamment documentés, soit contre-indiqués. L’ampleur du déficit de financements pour la lutte contre le changement climatique nécessitera des soutiens qui vont au-delà du seul secteur bancaire. Cela passera par une intervention de l'État (avec notamment des politiques budgétaires telles que les mesures de tarification du carbone), des marchés de capitaux plus profonds et des institutions financières de développement nationales.
Ce billet revient sur les thèmes traités dans le Finance and Prosperity Report 2024 (a), publié récemment.
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