Le télétravail et les horaires flexibles sont plus que des conditions de travail agréables pour les employés. Ce sont des facteurs d'inclusion et de croissance économique qui favorisent la productivité, améliorent l'équilibre vie privée-vie professionnelle (a), et qui permettent aux économies d'exploiter le plein potentiel de leur main-d'œuvre (a). La pandémie de COVID-19 a souligné l'importance de ce type d'aménagements et entraîné une réévaluation mondiale des modalités traditionnelles du travail. Le projet Les Femmes, l'Entreprise et le Droit s’est emparé de cette évolution en analysant l'existence de lois et de politiques accordant aux employés le droit de demander des assouplissements de leurs conditions de travail, tels que les horaires flexibles et le télétravail.
Les données collectées dans le cadre du projet montrent que les pays qui soutiennent légalement le travail flexible créent des conditions favorables à l'entrée et au maintien des femmes sur le marché du travail. Les bénéfices économiques potentiels sont considérables : selon l'estimation de la Banque mondiale, si les taux d’activité des femmes étaient égaux à ceux des hommes, le revenu à long terme par habitant pourrait augmenter de près de 20 % (a). La flexibilité des conditions de travail est donc essentielle pour favoriser la croissance économique.
Un corpus de données mondiales sur la flexibilité au travail
Le projet Les Femmes, l'Entreprise et le Droit a collecté des données sur les législations en matière de flexibilité au travail qui couvrent la période 1971-2024 dans 190 économies. Celles-ci indiquent les pays qui ont assoupli les modalités de travail depuis le plus longtemps et ceux qui n'ont commencé que récemment à légiférer sur cette question. Elles permettent également de cerner les tendances régionales et l'évolution du droit dans le monde depuis l'apparition de la pandémie.
Aux fins du projet, la flexibilité au travail fait référence à la fois à la souplesse dans le choix du moment du travail, comme l'heure de début et de fin (« horaires flexibles »), et à la possibilité de choisir le lieu de travail, qu'il soit entièrement ou partiellement effectué sur un site autre que le lieu de travail par défaut (« télétravail »).
Que révèlent nos données ?
Les séries de données révèlent que l'adoption de lois sur le travail flexible a été hétérogène. Les législations sur les horaires flexibles ont gagné du terrain au milieu des années 1990, tandis que le télétravail a commencé à apparaître au début des années 2000. Des disparités régionales sont également observées : jusqu'aux années 2010, la plupart des législations sur la flexibilité au travail étaient concentrées dans les économies à revenu élevé de l'OCDE et dans les pays d'Europe et d'Asie centrale, tandis qu'elles étaient inexistantes jusqu'à récemment dans des régions telles que l'Asie de l'Est-Pacifique.
Comme le montrent les séries de données — construites par cycles du projet (a) —, la France a été le premier pays au monde à adopter des lois sur les horaires flexibles en 1974, marquant ainsi une étape importante il y a déjà 50 ans. Toutefois, ce n'est que lors du cycle de 2013 que la France a reconnu le droit de travailler à distance.
Près de vingt ans après la France, la Bulgarie a rejoint les rangs des pionniers en 1993, devenant ainsi le deuxième pays à légiférer en matière d'horaires flexibles. Il est intéressant de noter qu'il a fallu vingt ans de plus à la Bulgarie pour étendre ces droits au travail à distance, par coïncidence la même année que la France, en 2013.
En 2003, la Slovaquie a créé un précédent mondial en étant le premier pays à autoriser à la fois les horaires flexibles et le travail à distance, reconnaissant ainsi les différentes problématiques d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. En inscrivant ces deux modalités dans la loi, le pays a admis qu'il n'existe pas de solution uniforme pour tous et a offert aux travailleurs — en particulier aux femmes — la possibilité de choisir l'option qui répond le mieux à leurs besoins spécifiques. Cet événement marquant a servi d'exemple au reste des économies, qui ont néanmoins mis près d'une décennie à réglementer les deux formes d’aménagement du travail.
Les données du projet montrent que parmi les 190 économies, seules 42 (22 %) disposent d'une législation permettant aux employés de bénéficier d'horaires flexibles, tandis que 61 (32 %) prévoient des dispositions légales les autorisant à demander à télétravailler. Cependant, à peine 12 % des pays (23 sur 190) offrent les deux options, signe d'écarts importants en matière de flexibilité au travail. Cela suggère que, bien qu'il y ait une tendance croissante à l'adoption du travail à distance, l'intégration à la fois des horaires flexibles et du télétravail reste limitée.
La pandémie de COVID-19, un moteur de la flexibilité au travail
L'ensemble des données mondiales sur les modalités de travail flexible offre une occasion unique pour évaluer l'impact de la pandémie de COVID-19 dans ce domaine entre le début de la crise, en 2020, et octobre 2023, la dernière année couverte par nos données.
Plus précisément, 16 économies ont introduit à cette époque de nouvelles lois accordant le droit aux horaires flexibles. Parmi les pays de l'OCDE à revenu élevé, la Finlande, la Grèce et la Pologne ont promulgué de nouvelles lois en faveur des horaires flexibles. En Europe-Asie centrale, Saint-Marin, la Türkiye et l'Ukraine en ont fait autant, de même que le Honduras, le Pérou et l'Uruguay en Amérique latine. En Afrique subsaharienne, la Guinée-Bissau et Maurice ont adopté des lois en faveur des horaires flexibles. Enfin, en Asie de l'Est-Pacifique, la Malaisie, la Thaïlande et le Viet Nam se sont également engagés dans cette voie de la souplesse des horaires de travail.
Parallèlement, les mesures de confinement adoptées pendant la pandémie ont mis en évidence l'importance — et la nécessité — du travail à distance. En conséquence, 38 pays sur 190 ont promulgué des lois autorisant le télétravail.
Ces évolutions suggèrent que la pandémie n'a pas seulement perturbé les marchés du travail, mais qu'elle a également incité les gouvernements à moderniser leurs cadres juridiques. De nombreux pays de l'Union européenne ont adopté une législation sur la flexibilité au travail pas seulement en réponse à la pandémie, mais aussi dans le cadre de leur obligation de transposer la directive 2019/1158 de l'UE relative à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entrée en vigueur en juillet 2019. Ce texte visait à améliorer la situation des parents et des aidants, en renforçant les droits à des modalités de travail souples et à différents congés. Les États membres de l'UE avaient jusqu'au 2 août 2022 pour intégrer ces dispositions dans leur droit interne, ce qui a provoqué une vague de législations sur les horaires flexibles et le travail à distance dans toute la région, laquelle a coïncidé avec — et a probablement été accélérée par — les changements du marché du travail provoqués par la pandémie.
Tendances régionales de la flexibilité au travail
La plupart des pays dotés d'une législation sur les formules de travail flexibles sont des économies à revenu élevé de l'OCDE. Sur les 32 pays de ce groupe, 20 ne disposent que de lois sur les horaires flexibles, tandis que deux — la Lituanie et le Portugal — réglementent exclusivement le travail à distance. Au total, 18 économies (56 %) ont adopté une législation couvrant à la fois les horaires flexibles et le télétravail.
Dans la région Europe-Asie centrale, 17 pays sur 23 ont légiféré sur le télétravail. Parmi eux, 11 prévoient également des aménagements du temps de travail, ce qui représente 47 % des économies de la région.
En Amérique latine-Caraïbes, 8 des 32 économies (25 %) ont promulgué des lois autorisant à la fois les horaires flexibles et le télétravail. En revanche, sept pays ne réglementent que le travail à distance, tandis qu'Haïti et Porto Rico ont introduit uniquement des dispositions sur les horaires flexibles.
Au Moyen-Orient et Afrique du Nord, les Émirats arabes unis sont la seule économie à disposer d'une législation sur le télétravail, aucun pays de la région ne réglementant actuellement les horaires flexibles.
En Afrique subsaharienne, le temps de travail flexible est réglementé en Guinée-Bissau et à Maurice, mais seule la Guinée-Bissau a légiféré sur le travail à distance, ce qui en fait le seul pays de la région à autoriser les deux modalités d'assouplissement.
En Asie de l'Est-Pacifique, seuls la Malaisie, la Thaïlande et le Viet Nam réglementent à la fois les horaires flexibles et le travail à distance. La Mongolie et les Philippines ont quant à elles des lois qui ne concernent que le télétravail.
Aucune législation — qu'il s'agisse d'horaires flexibles ou de travail à distance — n'a été à ce jour adoptée dans la région de l’Asie du Sud.
Pour que la flexibilité devienne la règle
Les données du projet Les Femmes, l'Entreprise et le Droit montrent que si la législation sur le travail flexible a gagné du terrain ces dernières années — en particulier en réponse à la pandémie de COVID-19 —, les avancées législatives demeurent inégales et fragmentées.
En l'absence de cadres juridiques et favorables clairs, la flexibilité au travail reste souvent une pratique plutôt qu'un droit, donc soumise à l'accord de l'employeur, proscrite dans de nombreux secteurs et inaccessible aux femmes qui pourraient en retirer le plus de bénéfices. En revanche, les pays qui inscrivent des assouplissements dans la loi contribuent à combler les disparités hommes-femmes en matière de participation au marché du travail, à mieux accompagner les aidants et à permettre un accès plus équitable au travail décent.
La flexibilité au travail ne doit pas être considérée comme un aménagement temporaire ou une réponse à une crise : c'est un outil puissant de l'inclusion économique et de la résilience. L'avenir du travail doit être souple et la loi doit montrer la voie. Il est plus que temps de passer de solutions temporaires à des protections juridiques durables.
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