Si vous faites votre shopping dans la chaîne de magasins Diane & Geordi, il y a de fortes chances que vous soyez servi par un réfugié vénézuélien. L’entreprise d’habillement colombienne recrute en effet activement des réfugiés. Par souci du bien commun, mais pas seulement, car ces employés sont d'excellents vendeurs et des ouvriers très performants.
Angel Diaz, responsable des ressources humaines chez Diane & Geordi, se félicite d’une démarche hautement fructueuse. À ses yeux, l’embauche de réfugiés est une opportunité. Et de mettre en avant l’engagement dont ils font preuve, leur désir d’autonomie et leur aspiration à travailler légalement en Colombie.
Si Diane & Geordi fait figure de chef de précurseur mondial dans l'intégration des réfugiés et des migrants, l’entreprise est loin d’être un cas isolé. Une étude récente (a) commanditée par l’initiative de la Banque mondiale « Private Sector for Refugees (PS4R) » présente les conclusions d’entretiens menés auprès de 65 parties prenantes, dont des entreprises privées. Il en ressort unanimement que les réfugiés sont en général des employés sérieux et efficaces. Les entreprises les recrutent pour des considérations de responsabilité sociale et aussi, souvent, parce que ce sont des éléments motivés et compétents — qui ont également l’avantage de connaître le marché que représente la clientèle des réfugiés.
En Amérique latine, les Vénézuéliens connaissent des conditions relativement favorables à l’insertion sociale et à l’emploi. Le partage de la langue et des caractéristiques culturelles communes y contribuent sans aucun doute, mais ils ne font pas tout. Ce sont les politiques d'accueil qui jouent un rôle encore plus important. En Colombie, les réfugiés ont le droit de travailler et accès à des services de base et des prestations sociales. En vertu de la directive sur la protection temporaire, les pays de l’Union européenne ont pour leur part levé les restrictions pour les personnes fuyant l’Ukraine, permettant ainsi à ces réfugiés de bénéficier de droits au travail, à la libre circulation, au logement, à l’assistance médicale, à l’éducation et à l’ouverture d’un compte bancaire.
Dans un grand nombre de pays, les choses sont généralement plus compliquées. Les réfugiés ne sont souvent pas autorisés à exercer un emploi et n’ont guère accès aux services financiers. Ils ont pourtant beaucoup à offrir aux entreprises et aux communautés qui les accueillent, comme le montre notre étude.
Les États d’accueil doivent revoir leurs lois et réglementations s’ils veulent réellement soutenir les réfugiés et tirer parti de leurs potentiels. Certains pays, comme la Colombie, le font déjà. Les pouvoirs publics doivent en outre mettre en place des politiques qui favoriseront activement l’intégration. En Suède, par exemple, l'accueil des réfugiés passe en priorité par l'accès à des cours de langue dès leur arrivée. La recherche suggère qu’une telle approche peut améliorer considérablement les résultats en matière d’emploi.
De Diane & Geordi à Ben & Jerry’s en passant par IKEA, de nombreuses entreprises ont pris conscience de ces enjeux et mis en place des programmes spéciaux pour le recrutement de réfugiés. Rappelons que le monde compte 122,6 millions de personnes déplacées, dont 43,7 millions de réfugiés. Fuyant les conflits et les violences, les catastrophes climatiques ou les persécutions, ces personnes déplacées arrivent sur leur terre d'asile avec la volonté de reprendre leur vie en main. Elles souhaitent généralement s'affranchir de l’aide humanitaire et gagner leur autonomie. Comme le montrent une précédente étude de PS4R (a) et un module de formation en ligne (a), cela peut vouloir dire démarrer ou « transplanter » une activité entrepreneuriale ou encore chercher un emploi en entreprise.
Or il n’est pas aisé de relier les réfugiés (et les personnes déplacées en général) aux opportunités économiques. Les réfugiés vont se heurter à de multiples obstacles, à commencer par des cadres juridiques qui les empêchent de travailler. Et quand bien même ils seraient autorisés à travailler, ils peuvent être confrontés à d’autres difficultés, des restrictions sur leur liberté de mouvement à l’inadéquation de leurs compétences avec le marché du travail local en passant par l'incapacité de produire des documents administratifs. Par ailleurs, les populations d’accueil éprouvent souvent des sentiments contrastés à l’égard des personnes déplacées — si beaucoup manifestent d’abord de la bienveillance, au fil du temps, la compétition sur le marché de l’emploi peut parfois créer des tensions.
Nos travaux de recherche indiquent que les communautés d’accueil peuvent en réalité bénéficier de l’accueil des réfugiés, et c’est aussi ce qu’illustre l’exemple de Diane & Geordi. Outre le fait que les réfugiés sont de « bons employés » (et de bons entrepreneurs), leur accès à l’emploi peut avoir des retombées positives : une activité économique accrue, des salaires plus élevés et une plus forte cohésion sociale. Lorsque réfugiés et populations d'accueil travaillent côte à côte, les mentalités et les comportements sont susceptibles d'évoluer.
En matière d’emploi de réfugiés, Diane & Geordi a une longueur d’avance. La marque est déjà connue au Venezuela et son nom attire de nombreux réfugiés, qu’ils soient clients ou salariés potentiels. D’autres entreprises en sont sans doute à des stades différents, mais celles qui sautent le pas, dans un contexte rendu propice par des politiques publiques judicieuses, pourront constater que le recrutement de réfugiés est payant.
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