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Billet rédigé par Jean Pesme (a)
En décembre 2010, les appels au changement marquaient l'éclosion du Printemps arabe. Ce changement s'est concrétisé en Tunisie, en Égypte et en Libye et, dans tous ces pays, le rétablissement de la justice est désormais une priorité. Dans l'esprit de nombreux citoyens, il s'agit notamment de recouvrer les fonds détournés par les responsables politiques, pendant des décennies de corruption, au plus haut niveau de l'État. L'actualité récente montre que, dans toute la région, l'opinion s'impatiente de la lenteur des progrès sur ce front.
La réalité, cependant, est que ce processus de restitution demande du temps, qu'il est souvent complexe et qu'il se prolongera bien après la fin de l'euphorie née du changement de régime. C'est ce qui ressort de notre expérience auprès de nos pays clients et de nombreuses affaires qui ont fait les gros titres. Si l'on en croit le dispositif de veille de l'Initiative pour la restitution des avoirs volés (StAR) (a), bien que l'ancien président philippin Ferdinand Marcos ait été renversé en 1986, le processus de recouvrement de sa fortune (qu'on lui reproche d'avoir volée) se poursuit encore aujourd'hui. Par ailleurs, une nouvelle procédure (a) à l'encontre du dictateur nigérian Sani Abacha, décédé en 1998, a été lancée cette année au Luxembourg.
Afin de dissimuler leur fortune (a), les responsables politiques corrompus et leurs associés dans le crime excellent en effet dans la constitution de couches de réseaux où s'entremêlent les comptes bancaires ouverts à l'étranger ou dans leur pays ainsi que de multiples mandataires et sociétés. Ces réseaux intriqués s'étendent généralement sur plusieurs établissements financiers, juridictions et systèmes juridiques dans le monde. Même s'ils disposent d'un cadre judiciaire opérationnel, les pays arabes en transition qui s'emploient à débrouiller cet écheveau doivent être dotés des instruments, capacités et savoir-faire nécessaires — avec ce qu'il faut aussi de coopération internationale, de ténacité et de patience — pour parvenir à identifier, localiser et recouvrer les sommes spoliées. Et s'il incombe à ces pays d'apporter la preuve des malversations, de demander un appui international et de présenter des dossiers irréprochables, ils ne peuvent pas tout. Les centres financiers et les pays occidentaux doivent en faire davantage, en adoptant une approche proactive pour lancer les procédures, tendre la main aux pays en transition, mener des investigations et suivre le cheminement des avoirs spoliés.
Le chemin promet donc d'être long et le Forum arabe pour la restitution des avoirs spoliés (a), qui se réunit à Doha aujourd'hui, en constitue un jalon important. Co-organisé par le Qatar et la présidence américaine du G8, ce forum est destiné à mettre sur les rails une collaboration active entre les parties les plus à même d'œuvrer en faveur de la réparation (professionnels du secteur, enquêteurs, procureurs, décideurs et responsables politiques des pays du monde arabe, du G8, du Partenariat de Deauville (a) et d'ailleurs). Voilà les axes de collaboration que l'initiative StAR souhaiterait voir naître au Forum arabe de Doha :
• Identifier comment faire le meilleur usage des lois, institutions, cadres réglementaires et voies de coordination existantes et les optimiser, afin de doter les enquêteurs et les procureurs des pays concernés des outils nécessaires pour faire progresser les dossiers et de veiller à ce qu'ils disposent de toutes les informations nécessaires ;
• Identifier les besoins des pays sur le plan de l'aide technique et de la formation, afin que l'ensemble des acteurs puisse se mobiliser de manière coordonnée ;
• Entamer des discussions bilatérales sur les dossiers de coopération internationale, afin que les pays puissent décider de priorités et prendre des mesures énergiques pour la restitution des avoirs volés.
L'initiative StAR continuera dans le même temps à accompagner les pays arabes en transition. Nous nous sommes déjà attelés à répondre aux besoins les plus criants, à savoir le manque de capacités. Car si l'on ne connaît pas la meilleure façon d'opérer ou que l'on ne dispose pas des compétences techniques nécessaires pour poursuivre plus avant les enquêtes, comment espérer récupérer les avoirs spoliés ? C'est pourquoi les experts de l'initiative StAR dispensent leur savoir et leurs conseils aux professionnels concernés dans le cadre d'ateliers de formation portant sur les meilleures pratiques internationales. Ils formulent des recommandations aux enquêteurs et aux procureurs sur la marche à suivre pour qu'ils bénéficient d'une aide technique et fournissent des conseils stratégiques et tactiques, afin de faire progresser les enquêtes et les dossiers. Par ailleurs, ils plaident pour une collaboration efficace à l'international, par le recours à la voie diplomatique. Tous les yeux sont tournés vers ces pays. Mobilisée pour mettre fin à la sanctuarisation de la corruption, l'initiative StAR les soutient dans leur volonté de recouvrer les avoirs volés et de veiller à ce que justice soit rendue.
(a) indique une page en anglais.
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