À l'heure où le monde est aux prises avec une double crise alimentaire et énergétique, les subventions généralisées font leur grand retour. Selon les données de suivi de la Banque mondiale, le nombre de mesures de protection sociale adoptées en réaction à la hausse de l'inflation (a) a presque triplé au niveau mondial, d'avril à septembre 2022. Plus d'un tiers de ces mesures a pris la forme de subventions, portant notamment sur les carburants, les produits alimentaires, les engrais et les services d'utilité publique (eau, électricité, chauffage, etc.).
La question se pose de savoir pourquoi les pouvoirs publics optent aussi volontiers pour la solution des subventions, et pourquoi les réformes en la matière sont aussi difficiles à entreprendre. Elle sera au centre des débats qui se dérouleront du 10 au 16 octobre prochains lors des Assemblées annuelles du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale. En amont de ces assemblées, nous vous proposons quelques sujets essentiels de réflexion.
Les pouvoirs publics ont une incontestable prédilection pour les subventions, qui s'explique par différentes raisons. Premièrement, les subventions profitent au plus grand nombre, c'est pourquoi elles suscitent une adhésion politique plus large que les mesures ne bénéficiant qu'à une partie de la population. Deuxièmement, elles ont l'avantage de la transparence : par exemple, le consommateur constate directement les effets d'une aide énergétique sur le prix qu'indique sa facture d'électricité. Troisièmement, puisque les subventions couvrent de longue date un large public, elles représentent un moyen pratique de répondre à des crises qui affectent la plupart des gens et touchent différents secteurs. Enfin, les pouvoirs publics peuvent avancer qu'ils influencent par ce moyen la consommation. Par exemple, en subventionnant le lait ou les œufs, ils assurent aux enfants un apport suffisant en protéines, au lieu de verser une aide financière que les bénéficiaires risquent de gaspiller en achats dits « de tentation », comme l'alcool ou le tabac.
Il n'empêche que pour diverses raisons, les subventions ne sont pas une solution souhaitable. Avant tout, elles sont dégressives, dans le sens où elles profitent davantage aux familles riches qu'aux pauvres, et elles sont extrêmement coûteuses. De plus, certaines subventions spécifiques produisent des effets négatifs. Par exemple, les subventions sur les carburants ont de graves conséquences sur l'environnement. Ou bien, appliquées à certains produits alimentaires comme le pain, elles compromettent l'équilibre nutritionnel. C'est pourquoi il est amplement préférable de leur substituer des transferts, lesquels doivent être monétaires et non en nature. Quant à l'idée selon laquelle les bénéficiaires gaspillent les aides en achats de tentation, il n'est pas d'éléments assez probants pour l'étayer. L'argument de l'influence sur les dépenses ne tient donc guère.
Pour ces raisons, de nombreux pays, avant les crises mondiales actuelles, ont tenté de remplacer les subventions par différents types de transferts monétaires ciblés. Il faudrait accentuer cette tendance.
Pourquoi ? Tout d'abord, il existe différentes façons de cibler les transferts monétaires sur les ménages. De plus, il est démontré que les transferts monétaires ne dissuadent pas les bénéficiaires de travailler, question souvent au cœur de tels programmes. Enfin, les transferts monétaires ont des effets économiques multiplicateurs au niveau local.
Les récentes évolutions technologiques et les améliorations apportées aux systèmes de prestations sociales offrent aux États des moyens plus pratiques pour atteindre les publics nécessitant une aide, sans avoir autant recours aux subventions. La tâche n'est pas facile mais, en appliquant diverses méthodes de ciblage (a), les pouvoirs publics ont la possibilité soit de centrer les transferts monétaires sur les citoyens les plus vulnérables ou sur ceux qui pâtissent le plus de la crise, soit de les étendre à un public plus large.
Disposer d'un système de protection sociale qui couvre les plus vulnérables est un excellent point de départ pour une évolution vers l'universalité. C'est également utile en cas de crise. En effet, lors des situations d'urgence, la réaction la plus simple et la plus rapide à mener en matière de protection sociale consiste à mobiliser les mécanismes existants. Mais l'aide sociale n'est qu'un volet de l'action : les pouvoirs publics peuvent aussi étendre leurs mesures d'assurance sociale de manière à aider les ménages en cas de crise. Des programmes d'action sur le marché du travail, sous forme de subventions ciblées sur certains salaires, jouent aussi un rôle important.
En même temps, une crise peut être source d'innovation. En réaction à des situations de crise, il est souvent possible d’avoir recours à des aides forfaitaires (ou légèrement adaptées) destinées à une population relativement vaste. Cela simplifie les choix d'éligibilité et permet un juste équilibre entre la protection des pauvres, un soutien à un ensemble plus nombreux de ménages pour les aider à faire face à un choc et la réalisation d’autres objectifs stratégiques. Nombre d'innovations sont apparues pendant la crise de la COVID, quand les pays ont entrepris d'aider des citoyens qui, jusque-là, n'étaient pas couverts par la protection sociale.
S'il n'existe pas de système parfait, il a été suffisamment démontré que les mesures de protection sociale peuvent être efficaces et qu'elles le sont. Il est temps d'en exploiter toutes les capacités. Nous vous invitons à poursuivre ce débat avec nous lors du Conclave ministériel sur le capital humain, qui se tiendra en marge des Assemblées annuelles.
Prenez part au débat