Comprendre l'offre et la demande de transport est souvent un défi dans le monde du développement. Le manque de données et les faiblesses institutionnelles exigent une approche créative lorsque l’on tente de saisir les logiques attachées à la mobilité des habitants (voir le blog précédent). L'équipe de transport de la Banque mondiale a mené une étude sur la mobilité urbaine dans le but de cartographier les tenants et aboutissants de la mobilité à Cap-Haïtien, la deuxième plus grande ville d'Haïti. Dans les situations de fragilité et de conflit comme en Haïti, la collecte de données et le renforcement des capacités sont les deux faces d'une même pièce. En raison de l'absence de supervision réglementaire du secteur des transports, les solutions numériques et disruptives se sont avérées très utiles. C'est d’autant plus vrai dans le contexte de la pandémie de COVID 19 où la supervision à distance est devenue le modus operandi. Grâce à l'utilisation des nouvelles technologies, la Banque mondiale a pu aider les pays à surmonter ces lacunes et à saisir les aspects fondamentaux de la mobilité. Quelles sont les solutions de transport disponibles ? Comment sont-elles structurées ? Comment les habitants se déplacent-ils ? Comment la ville est-elle organisée spatialement ? Quelles sont les améliorations à apporter en priorité ?
Bien que la Banque mondiale et les données publiques sur la mobilité urbaine existaient déjà en Haïti, nous avons réalisé qu'il nous manquait encore une grande partie du tableau. Les approches traditionnelles n'avaient pas réussi à saisir les schémas de mobilité des résidents les plus pauvres et les plus vulnérables qui n'utilisent jamais les services de transport. Une approche innovante était nécessaire pour combler ces lacunes en matière de données. La méthodologie s'est donc appuyée sur un mélange de collecte de données traditionnelles et non traditionnelles. Par exemple, la visualisation du nombre de véhicules transportant des passagers ou biens sur les routes grâce à des données satellitaires ou la détermination de l'accessibilité aux opportunités économiques pour les résidents grâce à une analyse adaptée du système d'information géographique (SIG) à travers un mélange de données.
Toutefois, ces données ne permettaient qu'une compréhension générale des comportements de mobilité. Nous voulions passer à l'étape suivante en produisant un aperçu détaillé des habitudes de transport des habitants et en mesurant les niveaux de congestion du trafic dans des zones spécifiques. Grâce aux applications mobiles et aux drones, nous avons pu atteindre cet objectif. Ces solutions n'ont pas seulement enrichi notre compréhension de la ville mais ont ouvert un nouveau champ de possibilités. Elles ont été réalisées avec le soutien de plusieurs startups numériques :
- La startup sud-africaine WIMT a fourni une application qui a été utilisée pour dessiner les toutes premières cartes GTFS (General Transit Feed Specification) de Tap Taps. En faisant appel à des enquêteurs locaux, l'application a identifié les arrêts le long des principaux itinéraires avec les horaires de transit associés (voir la carte ci-dessous). La méthodologie a été inspirée par l'expérience réussie de la Banque mondiale à Freetown qui a surmonté des défis similaires. Elle s'est avérée être une étape importante de notre étude sur la mobilité urbaine et a permis d'entreprendre des activités supplémentaires de collecte de données le long de ces principaux itinéraires. Ces cartes ont été d'un intérêt particulier pour les autorités nationales et locales. Notre intention est de répéter cette expérience positive à Port-au-Prince.
- Un algorithme fourni par la société Data From Sky a analysé des vidéos de drones surveillant le trafic des zones les plus encombrées de la ville. Cet outil s'est avéré complémentaire à l'analyse du comptage du trafic par le biais de données satellites. Il a apporté une compréhension plus détaillée et plus fiable des flux de trafic dans les zones sélectionnées.
- Enfin, l’entreprise Mobile-Market-Monitor a conçu une application permettant de réaliser une enquête Origine-Destination. En surveillant la mobilité de plus de 500 ménages, on peut s'attendre à une visualisation unique de la mobilité des résidents. Alors que l'application est finalisée, l'enquête est toujours en cours. Les résultats serviront de base à l'étude visant à combler les lacunes du réseau de transport existant et à envisager des solutions conformes aux besoins de la population.
L'étude finale sur la mobilité urbaine n'est pas encore finalisée mais on peut déjà partager plusieurs enseignements clés. Les cartes tirées de notre analyse spatiale apportent un nouvel éclairage sur notre compréhension de l'accessibilité et de la distribution de la population dans la région métropolitaine du Cap-Haïtien. La combinaison unique du GTFS et des données existantes sur la population nous a permis de tirer des connaissances pertinentes sur l'accessibilité. Par exemple, alors que 84% de la population vit à moins de 30 minutes d'un arrêt Tap Taps au Cap-Haïtien, ce chiffre tombe à 61% si l'on considère la région métropolitaine. Cette observation fournit pour la première fois une mesure de l'étendue de la fragmentation spatiale. Combinée à d'autres cartes, comme celles sur la résilience aux inondations ou l'accessibilité aux services essentiels, elle permet d'identifier les améliorations à apporter aux infrastructures routières en matière d'accessibilité urbaine. Par ailleurs, une analyse de la répartition de la pauvreté au Cap-Haïtien a mis en évidence la corrélation entre la pauvreté et le faible accès aux Tap Taps. 9,5% des résidents les plus pauvres vivent à plus de 30 minutes d'un arrêt Tap Taps contre 2,7% pour les plus hauts revenus. Bien que la marche soit le principal mode de transport, cette étude attire l'attention sur la nécessité de fournir un accès équitable et abordable aux transports publics, indépendamment des niveaux de revenus.
La phase finale de notre étude est proche et les conclusions aideront grandement le gouvernement haïtien et la municipalité à concevoir les politiques et les investissements futurs en matière de transport. Bien que cette méthodologie sur mesure rende le rapport à venir particulièrement intéressant, il faut également noter que plusieurs défis ont dû être relevés. Le nombre d'acteurs impliqués a effectivement augmenté la complexité de notre tâche, surtout dans le contexte de la pandémie de COVID et de l'instabilité politique. Cette dimension doit être intégrée dans la planification de l'étude. Nous espérons avoir l'occasion de concevoir d’autres études sur la mobilité urbaine en nous appuyant sur cette expérience. Restez à l'écoute pour d'autres mises à jour dans les mois à venir !
L'étude sur la mobilité urbaine de Cap Haïtien est financée en partie par le Fonds d'investissement pour la qualité des infrastructures.
Prenez part au débat