Publié sur Opinions

Penser autrement la situation des réfugiés

Penser autrement la situation des réfugiés Crédits : © Groupe de la Banque mondiale/Paul Blake (commande pour le Rapport sur le développement dans le monde 2023).

Les images de ces flots de personnes fuyant la Syrie, le Venezuela, le Myanmar, l'Ukraine ou le Soudan du Sud nous rappellent avec force depuis quelques années l'importance de la Convention de Genève (1951) et de son principe fondamental : un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté sont gravement menacées. Les crises des réfugiés sont une tragédie pour ceux qui sont contraints de fuir et elles posent souvent de graves difficultés aux pays qui les accueillent. Cette Journée mondiale des réfugiés nous invite à réfléchir à comment soutenir au mieux les réfugiés et les pays d'accueil dans un monde souvent en proie à des conflits persistants, aux violences et aux persécutions. Comme le montre la Banque mondiale dans son Rapport sur le développement dans le monde 2023 : Migrants, réfugiés et sociétés, il est possible de faire bien davantage.

Pour commencer, nous devons penser autrement la situation des réfugiés.

Les réfugiés sont souvent associés à des urgences et besoins de court terme : assistance humanitaire, camps, aide alimentaire... Or ces situations sont pour la plupart de longue durée. Avant l'invasion de l'Ukraine, les réfugiés avaient passé en moyenne 13 ans en exil. Au Pakistan, la ville de Peshawar abrite encore de nombreuses personnes qui ont fui l'Afghanistan en 1979, ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants. Gérer de telles situations au moyen de programmes d'aide de secours revient à soigner des pathologies chroniques aux urgences : cela coûte cher et ce n'est pas très efficace. Nous devons changer de paradigme et adopter d'emblée une perspective de moyen terme.

Nous devons également intégrer une dimension économique dans notre réflexion. Lorsque les réfugiés apportent des compétences recherchées dans leur pays d'accueil — pensons à Albert Einstein — les avantages sont évidents et l'élaboration des politiques tend à être relativement simple. Mais ce n'est pas le cas de tous les réfugiés, ne serait-ce que parce que plus de 40 % d’entre eux sont des enfants. Les accueillir reste néanmoins une obligation en vertu du droit international, et cet accueil a un coût. La question est donc de savoir comment gérer ce coût.

Partager les coûts

La plupart des réfugiés se rendent dans le premier endroit sûr auquel ils ont accès. Par conséquent, un nombre relativement restreint de pays — ceux qui sont limitrophes des pays d'origine — accueillent l'écrasante majorité des réfugiés. Et nombre de ces pays sont eux-mêmes déjà confrontés à des problèmes de développement : plus des trois quarts des réfugiés sont accueillis dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. C'est pourquoi les débats internationaux portent depuis longtemps sur la nécessité d'un partage plus équitable des responsabilités.

Il reste encore beaucoup à faire à cet égard. Les deux tiers des financements bilatéraux proviennent de trois bailleurs de fonds seulement. Et dans les trois quarts des cas, la réinstallation (l’installation des réfugiés dans un autre pays qui a accepté de les accueillir sous un statut légal) se fait dans quatre pays seulement : l'Allemagne, le Canada, les États-Unis et la Suède. Seuls 114 300 réfugiés ont été réinstallés en 2022, alors que plus de 2 millions devront l'être en 2023, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Les acteurs du développement, et notamment les organisations multilatérales comme la Banque mondiale, peuvent contribuer à combler ces besoins. Afin de trouver des solutions durables, la Banque mondiale a fourni près de 4 milliards de dollars depuis 2017 pour financer quelque 75 projets dans plus de 20 pays d'accueil à revenu faible ou intermédiaire. À l'heure où la communauté internationale est fracturée, la solidarité régionale est devenue essentielle, comme en témoignent la réponse de l'Amérique latine face à la crise vénézuélienne, celle de l’Europe à l'invasion de l'Ukraine ou encore les efforts de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en Afrique de l'Est.

Faire baisser les coûts

L'un des principaux enjeux consiste à trouver comment assurer une protection internationale efficace de la manière la plus efficiente possible. Il ne s'agit pas d'abaisser les « normes » de protection internationale, mais d'adopter des politiques d'accueil qui soient viables dans la durée, tant sur le plan financier que social.

Il y a trois grandes manières de procéder.

La première consiste à mettre fin à l'oisiveté forcée qui règne dans les camps de réfugiés et à permettre aux réfugiés de travailler. Les réfugiés pourront ainsi contribuer à l'économie et auront moins besoin d'aide. Ils pourront également préserver ou améliorer leurs compétences et épargner. On sait que les compétences et l'épargne sont essentielles pour leur permettre de retourner dans leur pays d'origine et d'y reprendre une vie normale. Il faut sans tarder donner aux réfugiés le droit de travailler, mais aussi celui d'ouvrir un compte bancaire ou d'obtenir un permis de conduire.

La deuxième consiste à intégrer les réfugiés dans les systèmes nationaux de services publics comme l'éducation et la santé. L'éducation des enfants réfugiés est essentielle pour prévenir l'émergence d'une génération privée de ses droits et marginalisée. Et la pandémie de COVID-19 a montré la nécessité d'inclure toutes les populations dans les programmes de santé publique. Or les services fournis aux réfugiés relèvent parfois de structures ad hoc qui fonctionnent en parallèle des systèmes nationaux d'éducation ou de santé. D'un point de vue financier, cette situation est souvent coûteuse et inefficace. D'un point de vue social, elle peut créer un sentiment d'injustice au sein des communautés d'accueil. L'intégration dans le système national constitue une bien meilleure solution, mais elle suppose un soutien et des financements internationaux.

La troisième — et la plus importante — consiste à laisser les réfugiés se déplacer dans le pays d'accueil : leur permettre d'aller là où il y a des emplois, plutôt que de les regrouper dans des camps. On réduit ainsi la charge qui pèse sur les communautés dans les régions où les réfugiés arrivent en premier lieu et on donne à ces derniers davantage de possibilités de contribuer à l'économie.

La bonne nouvelle, c'est qu'il existe des exemples de réussite de ces approches. La Colombie, qui accueille environ 2,8 millions de Vénézuéliens, a adopté un cadre de moyen terme qui offre à ces migrants un statut de protection d'une durée de 10 ans, des possibilités de travail et un accès aux systèmes nationaux. Cette solution se révèle bénéfique à la fois pour les Vénézuéliens et pour la Colombie elle-même.

Alors que nous célébrons une nouvelle édition de la Journée mondiale des réfugiés marquée par une augmentation du nombre de personnes déplacées de force, nous pouvons tirer des enseignements de ces expériences afin d'améliorer l'action internationale. Le Forum mondial sur les réfugiés, qui se tiendra en décembre, constitue une occasion unique de repenser la riposte mondiale face aux crises des réfugiés, de s'inspirer de ces exemples positifs et de passer à la vitesse supérieure pour mieux répondre aux besoins des réfugiés, des pays qui les accueillent et de la communauté mondiale.

Voir aussi : Rapport sur le développement dans le monde 2023 : de migrante en détresse à chef d'entreprise, l'odyssée de Dexibel ou comment une bonne intégration change la donne en Colombie
 

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Authors

Xavier Devictor

Co-Directeur du Rapport sur le développement dans le monde, Banque mondiale

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