Publié sur Opinions

Cinq principes pour accompagner le redressement post-pandémie des entreprises viables mais fragiles

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Photo : © Dominic Chavez/IFC

La pandémie de COVID-19 continue de peser lourdement sur l’activité des entreprises, en particulier dans les pays en développement, où les aides publiques sont inégales et limitées. Avec plus d’un an de recul, que savons-nous des répercussions de la crise sanitaire sur les entreprises et les mesures adoptées par les pouvoirs publics ? Comment garantir un meilleur ciblage des aides ? Quels instruments privilégier : la dette, les prises de participation ou un peu des deux ? Comment lutter contre une éventuelle recrudescence des faillites ? Dans ce nouveau document (a), nous faisons le point sur l’état de nos connaissances.

La pandémie de COVID-19 a eu un effet dévastateur sur les entreprises du monde entier et, plus d’un an après le début de la crise, leur situation reste très difficile.  Celles des pays en développement ont été particulièrement durement touchées, avec des revenus en baisse de 70 % au plus fort de la crise, contre seulement 45 % dans les pays de l’OCDE. Plusieurs mois après le début de la pandémie, les entreprises affichaient toujours un manque à gagner de 40 %. Ces fortes pertes de revenu n’ont pas été atténuées par des aides publiques aussi élevées que dans les économies avancées, augmentant le risque de défauts de paiement généralisés — une situation qui va laisser de profondes marques sur le secteur privé.

Le Groupe de la Banque mondiale collecte et analyse des données sur des entreprises du monde entier pour apprécier l’impact de la COVID-19 et, parallèlement, évaluer la portée des aides publiques. L’objectif de ce travail est de fournir aux décideurs des éléments factuels au moment d’élaborer des programmes de relance de l’économie. Nous avons examiné les nombreuses mesures prises par les gouvernements, soit environ 1 600 interventions destinées à soutenir les petites et moyennes entreprises dans 135 pays ainsi que plus de 3 400 mesures applicables au secteur financier dans 156 pays. Notre note récente consacrée au soutien à la restructuration et la reprise des entreprises (a) s’appuie sur les derniers éléments recueillis pour avancer des recommandations sur la meilleure manière d’accompagner le secteur privé dans cette trajectoire de redressement.

De la rapidité à l’efficacité

Aux premiers jours de la pandémie, les pouvoirs publics ont fait de la préservation des emplois et de l’évitement de faillites en cascade leurs priorités. Il s’agissait avant tout d’apporter aux entreprises privées des liquidités et d’autres formes de mesures pour atténuer les coûts (a). La rapidité ayant probablement primé sur l’efficacité, l’imprécision du ciblage des dispositifs que nous avons constatée n’a rien de surprenant. Ainsi, 20 % des entreprises n’ayant subi aucun choc négatif du fait de la pandémie ont reçu malgré tout une aide publique, contre 26 à 29 % des entreprises effectivement fragilisées par la crise. Par ailleurs, certains des acteurs économiques les plus vulnérables selon nos travaux — les petites entreprises et les entreprises féminines par exemple — avaient moins de chance de recevoir une aide que d’autres, en grande partie par méconnaissance de l’existence de ces dispositifs.

Alors que la pandémie entre dans sa deuxième année avec, pour corollaire, une hausse des tensions sur les bilans des entreprises, les demandes d’aide sont en augmentation.  Ainsi, 70 % des entreprises interrogées entre octobre 2020 et janvier 2021 indiquent avoir eu des difficultés pour accéder à des financements. La situation est particulièrement dramatique en Afrique subsaharienne, où 10 % des entreprises les plus durement touchées ont juste assez de liquidités pour tenir un jour de plus. Dans le même temps, l’érosion des ressources budgétaires contraint les gouvernements à de douloureux arbitrages.

Dans ces conditions, comment les autorités peuvent-elles cibler leur soutien sur les entreprises les mieux placées pour favoriser une reprise axée sur la productivité tout en consolidant les cadres prévus en cas de faillite et de restructuration de dette dans l’objectif d’éviter une vague de cessations de paiement ?

Privilégier les entreprises viables

Il n’est jamais évident de décider de la viabilité ou de la non-viabilité d’une entreprise, particulièrement au vu des changements économiques structurels engagés avant la crise — et que la pandémie a accélérés. Deux secteurs illustrent bien ces difficultés : l’énergie et le commerce de détail. Il est facile d’imaginer le choix cornélien auquel doivent se résoudre les décideurs pour affecter au mieux des ressources limitées — sachant qu’il s’agit de préserver autant d’emplois que possible, d’éviter les effets de la disparition massive d’entreprises viables et de garantir un redressement économique plus résilient.

Soucieux d’accompagner les responsables publics dans ce processus, nous avons identifié cinq principes clés à suivre pour organiser les aides aux entreprises lors de la prochaine phase de la pandémie.  Ces principes permettront de mieux cibler les entreprises viables mais vulnérables, à savoir celles qui étaient en bonne santé avant la pandémie mais qui, à cause de la COVID-19, connaissent actuellement des difficultés financières pouvant les conduire à la faillite. Tout l’enjeu est de ne pas soutenir involontairement des entreprises qui avaient des problèmes de viabilité avant la crise.

Le tableau 1 résume l’approche globale envisagée pour cibler le soutien aux entreprises en fonction de quatre niveaux de difficultés financières.

Tableau 1 : Ciblage des entreprises et mesures à prendre en fonction de quatre niveaux de difficultés financières

Type d’entreprise

Type d’aide

Instruments

Entreprise viable ne rencontrant pas de difficultés financières

Aucune aide ciblée n’est nécessaire pour surmonter les difficultés financières, mais des politiques générales de soutien au développement peuvent rester pertinentes en vue d’atteindre des objectifs de plus long terme (innovation, adoption des technologies, exportations, participation des femmes, économie verte et circulaire, etc.).

Différents instruments permettant d’améliorer l’environnement des affaires et l’accès aux aides financières, de faciliter l’accès aux marchés et de renforcer les capacités de l’entreprise. Assouplissement des restrictions réglementaires sectorielles. Le cas échéant, des procédures de pré-insolvabilité peuvent également être utilisées, en prévision de difficultés financières croissantes.

Entreprise viable rencontrant des difficultés financières

Aide ciblée pour soulager les problèmes de liquidité.

Recours aux dons, prêts, subventions et reports d’imposition. Des procédures de pré-insolvabilité peuvent également se révéler nécessaires.

Entreprise viable mais insolvable

Restructuration de la dette (suivie, si possible, d’une aide ciblée).

Des procédures de restructuration de la dette gagnant-gagnant pour l’entreprise et les prêteurs, à travers des prises de participation. Cela peut impliquer des procédures d’insolvabilité extrajudiciaires, officielles et hybrides.

Entreprise non viable et insolvable

Liquidation

Amélioration des procédures d’insolvabilité pour réduire le coût des faillites et protéger les bilans du secteur financier.


Venons-en aux cinq principes :

  1. Idéalement, la viabilité sera évaluée par des acteurs du secteur privé — liés à l’entreprise et à ses actifs — tandis que la puissance publique joue un rôle d’organisateur. La détermination du degré de viabilité se fonde sur plusieurs critères : la solvabilité (en fonction du bilan ou de la trésorerie), la vulnérabilité (les difficultés financières sont-elles liées ou non à la pandémie ?), la taille de l’entreprise et son appartenance ou non au secteur formel (les mécanismes de protection sociale constituant la forme optimale de soutien aux micro-entreprises et aux entités moins formelles).
  2. Les programmes de soutien aux entreprises doivent dépendre de l’État et être conditionnés à des objectifs de redressement clairs, comme le contrôle de la pandémie et la faisabilité d’un fonctionnement à pleines capacités. Ils doivent également intégrer des critères simples et transparents. Dans la mesure du possible, toutes les décisions d’aide doivent être prises sur la base de données probantes et éviter tout favoritisme indu envers les entreprises d’État.
  3. Les informations entourant les programmes de soutien, les cadres d’insolvabilité et les options de restructuration doivent être largement diffusées et de manière accessible. La méconnaissance de l’existence de ces dispositifs a constitué un obstacle majeur pour accéder aux aides publiques, en particulier parmi les groupes défavorisés.
  4. Le choix des instruments financiers pour soutenir les entreprises — dette, prises de participation ou une combinaison des deux — doit être fonction de l’ampleur du passif financier. Pour une entreprise viable peu endettée, les garanties d’emprunt continueront d’être privilégiées mais à des conditions moins généreuses. Pour les entreprises ayant un lourd passif financier, un juste équilibre entre financement par fonds propres/quasi-fonds propres et restructuration de la dette peut se révéler adapté. Certaines entreprises, même aidées, seront peut-être contraintes de restructurer leur dette.
  5. De solides cadres d’insolvabilité et de restructuration, y compris des processus de restructuration de la dette approuvés par les tribunaux, des plans de redressement extrajudiciaires (a) et des procédures simplifiées de liquidation pour les PME peuvent résoudre les difficultés financières, préserver les ressources productives et protéger la stabilité financière.

Bien conscient que ces décisions et ces arbitrages sont potentiellement difficiles, le Groupe de la Banque mondiale se tient prêt à prodiguer son assistance technique et financière aux pays qui entament la phase de redressement post-pandémie.

LIEN UTILE

Le Groupe de la Banque mondiale et la pandémie de coronavirus (COVID-19)


Auteurs

Caroline Freund

Directrice principale du pôle Commerce, investissement et compétitivité

Jean Pesme

Directeur, Pôle mondial d'expertise en Finance

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