Il ne fait aucun doute que l’agriculture joue un rôle crucial dans la réalisation des grands objectifs de développement de l’Afrique. Ce secteur est en effet essentiel pour faire reculer la pauvreté, pour permettre la croissance économique et pour promouvoir un environnement durable. Le marché de l’alimentation continue de s’étendre en Afrique. On estime que sa valeur actuelle (300 milliards de dollars) sera multipliée par trois pour atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2030. La part de l’agriculture dans l’emploi total est de 60 % en Afrique subsaharienne, et celle du système alimentaire est encore plus élevée : d’après les projections, ce dernier créera entre 2010 et 2025 davantage d’emplois que le reste de l’économie en Éthiopie, au Malawi, au Mozambique, en Ouganda, en Tanzanie, et en Zambie.
Pourtant, le secteur agricole africain reste confronté à des défis majeurs. Sa productivité est inférieure à celle des autres régions, une personne sur quatre en Afrique subsaharienne souffre de sous-alimentation chronique, et la croissance démographique accentue les pressions qui s’exercent sur le système alimentaire. En outre, on s’attend à ce que l’insécurité alimentaire s’aggrave sous l’effet du changement climatique, qui mettra en péril les cultures et l’élevage. En l’absence de mesures d’adaptation, la production de maïs — l’une des cultures de base en Afrique — pourrait diminuer de 40 % d’ici 2050. À l’évidence, il faut trouver des approches nouvelles si l’on veut transformer l’agriculture et exploiter pleinement son potentiel.
Une partie de la solution pourrait venir des technologies numériques. Mais comment celles-ci peuvent-elles contribuer à la transformation du système alimentaire africain ?
Il est intéressant de se pencher sur les start-up, qui s’imposent comme des acteurs de plus en plus importants dans le paysage agricole de l’Afrique.
L’une des plus connues est Hello Tractor (a). Cette entreprise met en relation des propriétaires de tracteurs dits « intelligents » et des agriculteurs qui souhaitent louer ce type de machine. Ce modèle est susceptible de changer la donne en Afrique, où on dénombre 13 tracteurs pour 100 000 km2 (contre 200, en moyenne, dans le monde). Citons également l’application 2KUZE, qui fait le lien entre agriculteurs, intermédiaires, acheteurs et banques au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. Grâce à cette plateforme mobile, les petits exploitants peuvent contacter directement les acheteurs et les intermédiaires pour obtenir le meilleur prix pour leurs produits et recevoir au moyen de leur téléphone portable des paiements sécurisés, sans avoir à effectuer à pied un trajet de plusieurs heures pour se rendre jusqu’au marché. Au Kenya, Illuminum Greenhouses, une autre start-up, construit des serres et installe des dispositifs d’irrigation goutte à goutte automatisés qui permettent aux petits agriculteurs d’optimiser leur production pour un coût abordable. À ce jour, elle a aidé plus de 3 450 d’entre eux à accroître leurs revenus.
Le potentiel des technologies numériques pour la transformation du système alimentaire africain s’exerce de trois manières. Premièrement, ces technologies peuvent améliorer l’accès des agriculteurs au capital et aux ressources : aujourd’hui, il suffit à un agriculteur de se connecter avec son téléphone portable pour louer une machine, comme un tracteur, dont l’achat serait trop coûteux. Deuxièmement, elles peuvent faciliter l’intégration des petits agriculteurs dans la chaîne de valeur, du fait des économies d’échelle. Par exemple, les plateformes de commerce électronique mettent directement en relation les consommateurs et les producteurs, même lorsque ces derniers ont une exploitation de taille modeste. Troisièmement, les technologiques numériques peuvent apporter des outils de précision qui révolutionnent la gestion des ressources naturelles en contribuant durablement à l’augmentation de la production de denrées alimentaires. En assurant une plus large diffusion des informations sur la terre, les sols et d’autres ressources, elles permettent une utilisation plus précise des intrants, tels que les engrais ou l’eau.
La Banque mondiale commence déjà à renforcer son aide aux start-up qui opèrent dans l’agriculture.
Récemment, la Banque mondiale a exploré avec plus de 35 start-up kenyanes et éthiopiennes les possibilités de partenariats pour l’innovation agricole. Elle travaille aussi avec des sociétés comme Digital Green, qui conçoit des tutoriels vidéo à l’intention des petits exploitants en Éthiopie, au Ghana, au Malawi et au Niger . Par ailleurs, le nouvel Observatoire de l’agriculture qu’elle vient de créer recueille et communique des données agro-météorologiques de haute résolution qui permettent de détecter suffisamment tôt les chocs alimentaires et de prendre ainsi des mesures pour éviter la survenue d’une famine. Dans la province du Kasaï, en République démocratique du Congo, ce dispositif a montré que l’insécurité alimentaire et les mauvaises récoltes étaient dues à des facteurs autres que le changement climatique, ce qui nous a permis de repenser rapidement notre projet de manière à prendre en compte les facteurs pertinents.
À l’heure où les pouvoirs publics et les entrepreneurs explorent des utilisations du numérique qui pourraient transformer le système alimentaire de l’Afrique, demandons-nous quelles devraient être leurs priorités. Je propose quatre domaines d’action. Premièrement, il est essentiel de développer un écosystème numérique pour la vulgarisation, afin qu’un plus grand nombre d’agriculteurs aient accès à des informations pouvant améliorer leurs pratiques. Deuxièmement, il est impératif de promouvoir une plus grande transparence des prix du marché. Il existe aujourd’hui des services et des applications qui permettent aux agriculteurs de s’informer sur les prix sans faire appel à un intermédiaire, qui favorisent la concurrence et qui améliorent les revenus agricoles. Troisièmement, parce que l’agriculture de précision change la donne, il faut rendre ces technologies plus accessibles et financièrement plus abordables. Les drones, les capteurs et autres outils peuvent contribuer à accroître la productivité agricole, et il faudrait que davantage d’agriculteurs y recourent. Quatrièmement, les instituts technologiques agricoles doivent accorder une place accrue aux approches entrepreneuriales : les générations futures doivent se former au design thinking, aux processus d’incubation et, plus généralement, aux méthodes qui leur permettront d’élaborer les solutions, les outils et les technologies qui assureront l’avenir du système alimentaire et de l’agriculture en Afrique.
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